Page images
PDF
EPUB

(1782-1816)

MILLEVOYE

La Chute des Feuilles

De la dépouille de nos bois
L'automne avait jonché la terre :
Le bocage était sans mystère,
Le rossignol était sans voix.
Triste et mourant, à son aurore,
Un jeune malade à pas lents
Parcourait une fois encore

Le bois cher à ses premiers ans :

« Bois que j'aime ! adieu..., je succombe;
Votre deuil me prédit mon sort;

Et dans chaque feuille qui tombe
Je vois un présage de mort.
Fatal oracle d'Epidaure 1!

1

Tu m'as dit : Les feuilles des bois
A tes yeux jauniront encore,
Mais c'est pour la dernière fois.
L'éternel cyprès t'environne :
Plus pâle que la pâle automne,
Tu t'inclines vers le tombeau ;
Ta jeunesse sera flétrie
Avant l'herbe de la prairie,
Avant les pampres du coteau.

Et je meurs !... De leur froide haleine
M'ont touché les sombres autans,
Et j'ai vu comme une ombre vaine
S'évanouir mon beau printemps.
Tombe, tombe, feuille éphémère,
Voile aux yeux ce triste chemin ;
Cache au désespoir de ma mère
La place où je serai demain.
Mais, vers la solitaire allée,
Si mon amante échevelée

ANTHOLOGIE

POÉSIE

14

Venait pleurer quand le jour fuit,
Éveille par ton léger bruit

Mon ombre un instant consolée ! »
Il dit, s'éloigne... et sans retour !...
La dernière feuille qui tombe
A signalé son dernier jour.

Sous le chêne on creusa sa tombe...
Mais son amante ne vint pas
Visiter la pierre isolée ;

Et le pâtre de la vallée

Troubla seul du bruit de ses pas

Le silence du mausolée.

MARIE-JOSEPH CHÉNIER (1764-1811)

...

L'Immortalité d'Homère

Tout s'éteint; les conquérants périssent ;
Sur le front des héros les lauriers se flétrissent;
Des antiques cités les débris sont épars;
Sur des remparts détruits s'élèvent des remparts;
L'un par l'autre abattus les empires s'écroulent;
Les peuples entraînés, tels que les flots qui roulent,
Disparaissent du monde, et les peuples nouveaux
Iront presser les rangs dans l'ombre des tombeaux.
Mais la pensée humaine est l'âme tout entière :
La mort ne détruit pas ce qui n'est point matière :
Le pouvoir absolu s'efforcerait en vain
D'anéantir l'esprit né d'un souffle divin:
Du front de Jupiter c'est Minerve élancée
Survivant au pouvoir, l'immortelle pensée,
Reine de tous les lieux et de tous les instants,
Traverse l'avenir sur les ailes du Temps.
Brisant des potentats la couronne éphémère,
Trois mille ans ont passé sur la cendre d'Homère,
Et depuis trois mille ans Homère respecté
Est jeune encor de gloire et d'immortalité.

ÉPITRE A VOLTAIRE.

(1759-1833)

ANDRIEUX

Le Meunier de Sans-Souci

L'homme est bien variable !... et ces malheureux rois,
Dont on dit tant de mal, ont du bon quelquefois.
J'en conviendrai sans peine et ferai mieux encore ;
J'en citerai pour preuve un trait qui les honore :
Il est de ce héros, de Frédéric second,

Qui, tout roi qu'il était, fut un penseur profond,
Redouté de l'Autriche, envié dans Versailles,
Cultivant les beaux-arts au sortir des batailles 1,
D'un royaume nouveau la gloire et le soutien,
Grand roi, bon philosophe et fort mauvais chrétien.
Il voulait se construire un agréable asile,
Où, loin d'une étiquette arrogante et futile,
Il pût, non végéter, boire et courir les cerfs,
Mais des faibles humains méditer les travers,
Et, mêlant la sagesse à la plaisanterie,
Souper avec d'Argens 2, Voltaire et La Mettrie.
Sur le riant coteau par le prince choisi
S'élevait le moulin du meunier Sans-Souci.
Le vendeur de farine avait pour habitude
D'y vivre au jour le jour, exempt d'inquiétude,
Et, de quelque côté que vînt souffler le vent,
Il y tournait son aile et s'endormait content.
Fort bien achalandé, grâce à son caractère,
Le moulin prit le nom de son propriétaire ;
Et des hameaux voisins les filles, les garçons,
Allaient à Sans-Souci pour danser aux chansons.
Sans-Souci !... Ce doux nom d'un favorable augure
Devait plaire aux amis des dogmes d'Épicure.
Frédéric le trouva conforme à ses projets,
Et du nom d'un moulin honora son palais.
Hélas! est-ce une loi sur notre pauvre terre

Que toujours deux voisins auront entre eux la guerre ;
Que la soif d'envahir et d'étendre ses droits

Tourmentera toujours les meuniers et les rois ?

En cette occasion le roi fut le moins sage:
Il lorgna du voisin le modeste héritage.
On avait fait des plans fort beaux sur le papier,
Où le chétif enclos se perdait tout entier.
Il fallait, sans cela, renoncer à la vue,
Rétrécir les jardins et masquer l'avenue.
Des bâtiments royaux l'ordinaire intendant
Fit venir le meunier, et d'un ton important :

<< Il nous faut ton moulin : que veux-tu qu'on t'en donne ? Rien du tout, car j'entends ne le vendre à personne.

Il vous faut est fort bon..., mon moulin est à moi...
Tout aussi bien, au moins, que la Prusse est au roi.

[ocr errors]

Allons, ton dernier mot, bonhomme, et prends-y garde !
- Oui. -
Faut-il vous parler clair ?
C'est que je le garde :
Voilà mon dernier mot. » Ce refus effronté,
Avec un grand scandale au prince est raconté.
Il mande auprès de lui le meunier indocile,
Presse, flatte, promet : ce fut peine inutile ;
Sans-Souci s'obstinait. « Entendez la raison,
Sire ; je ne veux pas vous vendre ma maison :
Mon vieux père y mourut, mon fils y vient de naître ;
C'est mon Potsdam, à moi. Je suis tranchant peut-être ;
Ne l'êtes-vous jamais? Tenez, mille ducats,

Au bout de vos discours, ne me tenteraient pas.
Il faut vous en passer, je l'ai dit, j'y persiste. »
Les rois malaisément souffrent qu'on leur résiste.
Frédéric, un moment par l'humeur emporté :

---

3

« Parbleu ! de ton moulin c'est bien être entêté 3 ;
Je suis bon de vouloir t'engager à le vendre ;
Sais-tu que sans payer je pourrais bien le prendre ?
Je suis le maître. Vous !... de prendre mon moulin ?
Oui, si nous n'avions pas des juges à Berlin. »
Le monarque, à ce mot, revient de son caprice,
Charmé que sous son règne on crût à la justice.
Il rit, et se tournant vers quelques courtisans :
<< Ma foi, messieurs, je crois qu'il faut changer nos plans.
Voisin, garde ton bien; j'aime fort ta réplique.
Qu'aurait-on fait de mieux dans une république ?
Le plus sûr est pourtant de ne pas s'y fier:

Ce même Frédéric, juste envers un meunier,
Se permit maintes fois telle autre fantaisie :
Témoin ce certain jour qu'il prit la Silésie;
Qu'à peine sur le trône, avide de lauriers,
Épris du vain renom qui séduit les guerriers,
Il mit l'Europe en feu. Ce sont là jeux de prince* :
On respecte un moulin, on vole une province.

CONTES, ANECDOTES ET FABLES EN VERS.

1766-1834)

ARNAULT

La Feuille

De ta tige détachée

Pauvre feuille desséchée,

Où vas-tu ? Je n'en sais rien.

L'orage a brisé le chêne

Qui seul était mon soutien :
De son inconstante haleine,
Le zéphyr ou l'aquilon
Depuis ce jour me promène
De la forêt à la plaine,
De la montagne au vallon.
Je vais où le vent me mène,
Sans résister, sans crier ;
Je vais où va toute chose,
Où va la feuille de rose
Et la feuille de laurier.

FABLES.

« PreviousContinue »