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« Votre mère eut raison, ma mie,

Les noix ont fort bon goût, mais il faut les ouvrir.
Souvenez-vous que dans la vie,

Sans un peu de travail, on n'a point de plaisir. »

SEDAINE

FABLES

(1719-1797

A mon Habit

Ah! mon habit ! que je vous remercie !
Que je valus hier 1, grâce à votre valeur !
Je me connais, et, plus je m'apprécie,
Plus j'entrevois que mon tailleur,
Par une secrète magie,

A caché dans vos plis un talisman vainqueur,
Capable de gagner et l'esprit et le cœur.

Dans ce cercle nombreux de bonne compagnie,
Quels honneurs je reçus ! quels égards! quel accueil !
Auprès de la maîtresse et dans un grand fauteuil,
Je ne vis que des yeux toujours prêts à sourire ;
J'eus le droit d'y parler, et parler sans rien dire 2;
Ce que je décidai fut le nec plus ultra.
On applaudit à tout j'avais tant de génie !
Ah ! mon habit ! que je vous remercie !
C'est vous qui me valez cela !

Ce marquis, autrefois mon ami de collège,
Me reconnut enfin, et du premier coup d'œil,
Il m'accorda par privilège

Un tendre embrassement qu'approuvait son orgueil.
Ce qu'une liaison dès l'enfance établie,

Ma probité, des mœurs que rien ne dérégla,
N'auraient obtenu de ma vie,

3

Votre aspect seul me l'attira.

Ah! mon habit ! que je vous remercie !
C'est vous qui me valez cela !

Mais ma surprise fut extrême :
Je m'aperçus que sur moi-même

Le charme sans doute opérait.

Autrefois, suspendu sur le bord de ma chaise,
J'écoutais en silence, et ne me permettais
Le moindre si, le moindre mais;

Avec moi tout le monde était fort à son aise,
Et moi je ne l'étais jamais ;

Un rien aurait pu me confondre ;
Un regard, tout m'était fatal ;
Je ne parlais que pour répondre ;
Je parlais bas, je parlais mal.

Un sot provincial arrivé par le coche
Eût été moins que moi tourmenté dans sa peau.
Je me mouchais presqu'au bord de ma poche,
J'éternuais dans mon chapeau;

On pouvait me priver, sans aucune indécence,
De ce salut que l'usage introduit ;
Il n'en coûtait de révérence

Qu'à quelqu'un trompé par le bruit.
Mais à présent, mon cher habit,

Tout est de mon ressort, les airs, la suffisance,
Et ces tons décidés, qu'on prend pour de l'aisance,
Deviennent mes tons favoris.

Est-ce ma faute à moi, puisqu'ils sont applaudis ?

Dieu ! quel bonheur pour moi, pour cette étoffe, De ne point habiter ce pays limitrophe

Des conquêtes de nos rois !

Dans la Hollande il est une autre loi ;
En vain, j'étalerais ce galon qu'on renomme;
En vain j'exalterais sa valeur, son débit.
Ici l'habit fait valoir l'homme ;

Là l'homme fait valoir l'habit.

Mais chez nous, peuple aimable, où les grâces, l'esprit, Brillent à présent dans leur force,

L'arbre n'est point jugé sur ses fleurs, sur son fruit : On le juge sur son écorce.

DELILLE

(1738-1813)

Le Café

Il est une liqueur, au poète plus chère 1,
Qui manquait à Virgile et qu'adorait Voltaire :
C'est toi, divin café, dont l'aimable liqueur,
Sans altérer la tête, épanouit le cœur.

Aussi, quand mon palais est émoussé par l'âge,
Avec plaisir encor je goûte ton breuvage.
Que j'aime à préparer ton nectar précieux !
Nul n'usurpe chez moi ce soin délicieux.

Sur le réchaud brûlant moi seul, tournant ta graine,
A l'or de ta couleur fais succéder l'ébène ;

2

Moi seul, contre la noix qu'arment ses dents de fer
Je fais, en le broyant, crier ton fruit amer;
Charmé de ton parfum, c'est moi seul qui dans l'onde
Infuse à mon foyer ta poussière féconde,

Qui, tour à tour calmant, excitant tes bouillons,
Suis d'un œil attentif tes légers tourbillons.
Enfin, de ta liqueur lentement reposée,
Dans le vase fumant la lie est déposée ;
Ma coupe, ton nectar, le miel américain
Que du suc des roseaux exprima l'Africain 3,
Tout est prêt du Japon l'émail reçoit tes ondes,
Et seul tu réunis les tributs des deux mondes.
Viens donc, divin nectar, viens donc, inspire-moi :
Je ne veux qu'un désert, mon Antigone 5 et toi.
A peine j'ai senti ta vapeur odorante,

Soudain de ton climat la chaleur pénétrante
Réveille tous mes sens; sans trouble, sans chaos,
Mes pensers plus nombreux accourent à grands flots.
Mon idée était triste, aride, dépouillée ;

Elle rit, elle sort richement habillée,
Et je crois, du génie éprouvant le réveil,
Boire dans chaque goutte un rayon de soleil.

LES TROIS RÈGNES.

(1760-1836)

ROUGET DE LISLE

Chant de guerre pour l'armée du Rhin

ou Marseillaise

Allons, enfants de la patrie,
Le jour de gloire est arrivé !
Contre nous de la tyrannie
L'étendard sanglant est levé (bis).
Entendez-vous, dans les campagnes,
Mugir ces féroces soldats 1 ?

Ils viennent jusque dans nos bras
Égorger nos fils, nos compagnes !

Aux armes, citoyens ! formez vos bataillons !
Marchons (bis), qu'un sang impur abreuve nos sillons!

Que veut cette horde d'esclaves
De traîtres, de rois conjurés ?
Pour qui ces ignobles entraves,
Ces fers dès longtemps préparés (bis) ?
Français, pour nous, ah ! quel outrage !
Quels transports il doit exciter!

C'est nous qu'on ose méditer

De rendre à l'antique esclavage.

Aux armes, etc.

Marchons (bis), qu'un sang impur abreuve nos sillons!

Quoi ces cohortes étrangères
Feraient la loi dans nos foyers !
Quoi ! ces phalanges mercenaires
Terrasseraient nos fiers guerriers (bis) !
Grand Dieu! Par des mains enchaînées
Nos fronts sous le joug se ploîraient !
De vils despotes deviendraient

Les maîtres de nos destinées !

Aux armes, etc.

Marchons (bis), qu'un sang impur abreuve nos sillons!

Tremblez, tyrans, et vous, perfides,
L'opprobre de tous les partis ;
Tremblez ! vos projets parricides
Vont enfin recevoir leur prix (bis).

Tout est soldat pour vous combattre :
S'ils tombent, nos jeunes héros,
La terre en produit de nouveaux,
Contre vous tout prêts à se battre.

Aux armes, etc.

Marchons (bis), qu'un sang impur abreuve nos sillons !

Amour sacré de la patrie,

Conduis, soutiens nos bras vengeurs !

Liberté, liberté chérie,

Combats avec tes défenseurs !

Sous nos drapeaux que la victoire

Accoure à tes mâles accents!

Que tes ennemis expirants

Voient ton triomphe et notre gloire !

Aux armes, etc.

Marchons (bis), qu'un sang impur abreuve nos sillons!

Nous entrerons dans la carrière
Quand nos aînés n'y seront plus ;
Nous y trouverons leur poussière
Et la trace de leurs vertus (bis) !
Bien moins jaloux de leur survivre
Que de partager leur cercueil,
Nous aurons le sublime orgueil
De les venger ou de les suivre.

Aux armes, citoyens ! formez vos bataillons !

Marchons (bis), qu'un sang impur abreuve nos sillons!

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