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APPENDICE

Poètes dont on ne cite

ordinairement qu'une œuvre

(1589-1670)

RACAN

Stances sur les Douceurs de la Vie champêtre

Tircis, il faut penser à faire la retraite 1 :

La course de nos jours est plus qu'à demi faite ;
L'âge insensiblement nous conduit à la mort.
Nous avons assez vu sur la mer de ce monde
Errer au gré des flots notre nef vagabonde :
Il est temps de jouir des délices du port.

Le bien de la fortune est un bien périssable;
Quand on bâtit sur elle, on bâtit sur le sable;
Plus on est élevé, plus on court de dangers;

Les grands pins sont en butte aux coups de la tempête,

Et la rage des vents brise plutôt le faîte

Des maisons de nos rois que les toits des bergers.

O! bienheureux celui qui peut de sa mémoire
Effacer pour jamais ce vain espoir de gloire
Dont l'inutile soin 2 traverse nos plaisirs,
Et qui, loin retiré 3 de la foule importune,
Vivant dans sa maison, content de sa fortune,
A, selon son pouvoir, mesuré ses désirs!

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Il laboure le champ que labourait son père ;
Il ne s'informe pas de ce qu'on délibère
Dans ces graves conseils d'affaires accablés ;
Il voit sans intérêt la mer grosse d'orages
Et n'observe des vents les sinistres présages
Que pour le soin qu'il a du salut de ses blés.

Roi de ses passions, il a ce qu'il désire;
Son fertile domaine est son petit empire,

Sa cabane est son Louvre et son Fontainebleau 4 ;
Ses champs et ses jardins sont autant de provinces,
Et, sans porter envie à la pompe des princes,

Se contente chez lui de les voir en tableau...

Agréables déserts, séjour de l'innocence,
Où, loin des vanités, de la magnificence,
Commence mon repos et finit mon tourment,
Vallons, fleuves, rochers, plaisante solitude,
Si vous fûtes témoins de mon inquiétude,
Soyez-le désormais de mon contentement.

LE FRANC DE POMPIGNAN (1709-1784)

Ode sur la mort de J.-B. Rousseau1 (1742)

Quand le fameux chantre du monde 2

Expira sur les bords glacés

Où l'Hèbre effrayé dans son onde

Reçut ses membres dispersés,

Le Thrace, errant sur les montagnes,
Remplit les bois et les campagnes
Du cri perçant de ses douleurs :
Les champs de l'air en retentirent ;
Et dans les antres qui gémirent,
Le lion répandit des pleurs.

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Poussaient d'insolentes clameurs,
Le dieu, poursuivant sa carrière,
Versait des torrents de lumière
Sur ses obscurs blasphémateurs.

ODES. (Livre III.)

GILBERT

(1751-1780)

Adieux à la Vie

J'ai révélé mon cœur au Dieu de l'innocence.
Il a vu mes pleurs pénitents;

Il guérit mes remords, il m'arme de constance :
Les malheureux sont ses enfants.

Mes ennemis, riant, ont dit dans leur colère :
« Qu'il meure, et sa gloire avec lui ! »
Mais à mon cœur calmé le Seigneur dit en père :
<<< Leur haine sera ton appui. »

A tes plus chers amis ils ont prêté leur rage;
Tout trompe la simplicité :

Celui que tu nourris court vendre ton image,
Noire de sa méchanceté.

Mais Dieu t'entend gémir, Dieu vers qui te ramène
Un vrai remords né des douleurs ;
Dieu qui pardonne enfin à la nature humaine
D'être faible dans les malheurs.

J'éveillerai pour toi la pitié, la justice
De l'incorruptible avenir;

Eux-même1 épureront, par leur long artifice,
Ton honneur qu'ils pensent ternir.

Soyez béni, mon Dieu ! vous qui daignez me rendre
L'innocence et son noble orgueil ;

Vous qui, pour protéger le repos de ma cendre,
Veillerez près de mon cercueil !

Au banquet de la vie, infortuné convive,
J'apparus un jour, et je meurs :

Je meurs, et sur la tombe, où lentement j'arrive,
Nul ne viendra verser des pleurs.

Salut, champs que j'aimais, et vous, douce verdure !
Et vous, riant exil des bois !

Ciel, pavillon de l'homme, admirable nature,
Salut pour la dernière fois!

Ah! puissent voir longtemps votre beauté sacrée
Tant d'amis sourds à mes adieux !

Qu'ils meurent pleins de jours, que leur mort soit pleurée, Qu'un ami leur ferme les yeux !

(1755-1794)

ODES.

FLORIAN

La Guenon, le Singe et la Noix

Une jeune guenon cueillit

Une noix dans sa coque verte.

Elle y porte la dent, fait la grimace... « Ah_certe !
Dit-elle, ma mère mentit

Quand elle m'assura que les noix étaient bonnes.
Puis, croyez aux discours de ces vieilles personnes
Qui trompent la jeunesse ! Au diantre soit le fruit ! »
Elle jette la noix. Un singe la ramasse,

Vite entre deux cailloux la casse,

L'épluche, la mange, et lui dit :

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