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Syrie pour arréter les entreprises de Ptolémée. Epigéne parla le premier, & dit qu'il n'y avoit point de tems perdre : que le Roi devoit incessamment se transporter en perfonne dans l'Orient, afin de profiter des momens & des occafions favorables pour agir contre les révoltés: que quand il y feroit, ou Molon n'auroit pas la hardieffe de remuer fous les yeux de fon Prince & d'une armée; ou, s'il perfiftoit dans fon deffein, les peuples, touchés de la présence de leur Prince, réveillant leur zéle & leur affection pour fon fervice, ne manqueroient pas de le lui livrer bientôt : mais que l'important étoit de ne lui point laiffer le tems de fe fortifier. Hermias ne put s'empêcher de l'interrompre, & avec un ton d'aigreur & de fuffifance, il dit que de faire marcher le Roi contre Molon avec fi peu de troupes, c'étoit livrer fa perfonne entre les mains des révoltés. Sa véritable raison étoit la crainte qu'il avoit de courir les risques de cette expédition. Ptolémée étoit pour lui beaucoup moins redoutable. On pouvoit, fans rien craindre, attaquer un Prince qui ne s'occupoit que de plaifirs. L'a

vis d'Hermias l'emporta. Il fit donner la conduite de la guerre contre Molon & d'une partie des troupes à Xénon & à Théodote : & le Roi marcha avec l'autre partie de l'armée du côté de la Célé-Syrie.

En arrivant à Séleucie près du Zeugma, il y trouva Laodice, fille de Mithridate roi de Pont, qu'on lui amenoit pour l'époufer. Il s'y arrêta quelque tems pour célébrer ce mariage, dont la joie fut bientôt troublée par la nouvelle qu'on reçut d'Orient, que fes Généraux, trop foibles pour faire tête à Molon & à Alexandre qui s'étoient joints, avoient été obligés de fe retirer, & de les laiffer maîtres du champ de bataille. Antiochus vit alors la faute qu'il avoit faite de ne pas fuivre l'avis d'Epigéne, & vouloit abandonner le deffein de la Célé-Syrie pour aller avec toutes fes forces arréter cette rébellion. Hermias perfifta avec opiniâtreté dans fon premier fentiment. Il crut dire des merveilles en déclarant d'un ton emphatique & fententieux, Qu'il convenoit au Roi de marcher en perfonne contre des Rois, & d'envoier fes Lieutenans contre les rebelles. Le Roi eut encore la foiblesse de se rendre à l'avis d'Hermias.

On a peine à comprendre combien toutes les expériences font inutiles à un Prince inappliqué, & qui vit fans réflexion. Ce Miniftre adroit, infinuant, artificieux; qui favoit s'accommoder à tous les goûts & à toutes les inclinations de fon Maître; inventif & induftrieux pour trouver de nouveaux moiens de lui plaire, avoit eu l'art de fe rendre néceffaire en le déchargeant du poids des affaires ; de forte qu'Antiochus ne croioit pas pouvoir fe paffer de lui : & quoiqu'il entrevît dans fa conduite & dans fes confeils plufieurs chofes qui le choquoient, il ne vouloit point fe donner la peine de les approfondir, & il n'avoit pas la force de reprendre l'autorité qu'il lui avoit abandonnée. Ainfi fe rendant encore ici à fon avis, non par conviction, mais par foibleffe & par indolence, il fe contenta d'envoier un Général & des troupes dans l'Orient, & reprit l'expédition de la Célé-Syrie.

Le Général qu'il envoia fut Xénétas Achéen, dont la Commission portoit que les deux premiers Généraux lui donneroient leurs troupes, & feryiroient fous lui. Xénétas n'avoit ja

mais commandé en Chef, & tout fon mérite étoit d'être ami & créature du Miniftre. Parvenu à une place, à laquelle il n'avoit jamais ofé afpirer, il devint fier à l'égard des autres Officiers, & plein d'audace & de témérité à l'égard des ennemis. Le fuccès fut tel qu'on devoit l'attendre d'un fi mauvais choix. En paffant le Tigre, il donna dans une embuscade où l'ennemi l'attira par un ftratagême ; & il y périt lui & toute fon armée. Cette victoire ouvrit aux rebelles la province de Babylonie & toute la Méfopotamie, dont ils fe virent par là les maîtres fans aucune oppofition.

Antiochus cependant s'étoit avancé dans la Célé-Syrie jufques à la vallée qui eft entre les deux chaines de montagnes du Liban & de l'AntiLiban. Il trouva les paffages de ces montagnes fi bien fortifiés, & fi bien défendus par Théodote Étolien, à qui Ptolémée avoit confié le Gouvernement de cette province, qu'il fut obligé de retourner fur fes pas, fans pouvoir paffer outre. La nouvelle qu'il reçut de la défaite de fes troupes dans l'Orient, hâta encore fans doute fa retraite. Il affembla fon Confeil, &

remit de nouveau l'affaire des rebelles en délibération. Epigéne, après avoir dit d'un ton modefte, que le parti le plus fage auroit été de marcher d'abord contre eux pour ne leur point laiffer le moien de fe fortifier comme ils avoient fait, ajouta que c'étoit une nouvelle raison maintenant

de ne plus perdre de tems, & de donner tous fes foins à une guerre qui pouvoit entraîner la ruine de l'Empire fi on la négligeoit. Hermias, qui fe crut offenfé par ce difcours, commença par s'emporter violemment contre Épigéne, en le chargeant de reproches & d'injures, & conjura le Roi de ne point renoncer à l'entreprise de Célé-Syrie, qu'il ne pouvoit abandonner fans marquer de la légéreté & de l'inconstance, ce qui ne convenoit point du tout à un Prince auffi fage & auffi éclairé qu'il étoit. Tout le Confeil baiffoit les yeux de honte. Antio thus lui-même fouffroit beaucoup. II fut conclu d'une voix unanime qu'il faloit marcher à grandes journées contre les rebelles. Alors Hermias, qui vit bien que la réfiftance feroit inutile, changé tout d'un coup en un autre homme, embraffa le fentiment com◄

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