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Coligny était alors le chef le plus renommé des protestants. Le parlement de Paris le condamna à la mort, et l'arrêt (28 sept.) promettait cinquante mille écus à quiconque le livrerait vivant. Le procureur-général Bourdin requit qu'on donnât la même somme à quiconque l'assassinerait, et que, quand même l'assassin serait coupable de crime de lèse-ajesté, on lui promît sa grâce. L'arrêt fut ainsi formé suivant le réquisitoire. On donna un pareil arrêt contre Jean de la Ferrière, vi. dame de Chartres, et contre le comte de Montgomery; leurs effigies avec celle de l'amiral furent traînées dans un tombereau, et pendues à une potence; mais les têtes de Ferrière et de Montgomery ne furent point mises à prix.

Ce fut là le premier exemple des proscriptions, depuis celles du triumvirat romain. Le cardinal de Lorraine fit traduire en latin, en allemand, en italien et en anglais cet arrêt de proscription.

Un des valets de chambre de Coligny, nommé Dominique d'Albe, crut pouvoir mériter les cinquante mille écus en empoisonnant son maître; mais il eût été douteux qu'un empoisonnement, difficile d'ailleurs à prouver, lui eût valu la somme promise. Il fut reconnu sur le point d'exécuter son crime, et pendu avec cet écriteau: » traître envers Dieu, sa patrie et son maître.<<<

Le parti protestant, malgré les pertes de Jarnac et de Moncontour, faisait de grands pro

grès dans le royaume; il était maître de La Rochelle et de la moité du pays au-delà de la Loire. Le jeune Henri, roi de Navarre, depuis roi de France, et le prince Henri de Condé, son cousin, avaient succédé au prince Louis de Condé tué à la bataille de Jarnae. Jeanne de Navarre avait elle-même présenté son fils aux troupes et aux députés des églises protestantes, qui le reconnurent pour leur chef, tout jeune qu'il était.

Les protestants reprenaient de nouvelles forces et de nouvelles espérances. La cour manquait d'argent, malgré les bulles du pape. Elle fut obligée d'envoyer demander la paix à Jeanne de Navarre, mère de Henri IV. L'amiral Coligny, chef du parti au nom de ce prince, était très-lassé de la guerre: la cour enfin se crut heureuse de revenir au système du chancelier de l'Hospital; elle abolit tous les édits nouveaux qui ôtaient aux calvinistes leurs emplois et la liberté de conscience; on leur laissa tous leurs temples dans Paris et à la cour. On leur permit même dans le Languedoc de ne plus dépendre du parlement de Toulouse, qui avait fait trancher la tête au calviniste Rapin, envoyé du roi lui-même. Ils pouvaient porter toutes leurs causes, des juridictions subalternes du Languedoc aux maîtres des requêtes de l'hôtel. Ils pouvaient, dans les parlements de Rouen, de Dijon, d'Aix, de Grenoble, de Rennes, récuser à leur choix six juges, soit présidents, soit conseillers, et quatre dans Bordeaux. On leur

abandonnait pour deux ans les villes de La Rochelle, Montauban, Cognac et la Charité: c'était plus qu'on n'avait jamais fait pour eux; et cependant l'édit fut enregistré au parlement de Paris et par tous les autres, sans aucune représentation.

La misère publique, causée par la guerre, et devenue extrême, fut la cause de ce consentement général. Cette paix, qu'on appela mal-assise et boiteuse*) fut conclue le 15 auguste 1570. La cour de Rome ne murmura point; son silence fit penser qu'elle était in-struite des desseins secrets de Catherine de Médicis et de Charles IX, son fils. La cour accordait des conditions trop favorables aux protestants pour qu'elles fussent sincères. Le dessein était pris d'exterminer pendant la paix ceux qu'on n'avait pu détruire par la guerre. Sans cela, il n'eût pas été naturel que le roi pressât l'amiral Coligny de venir à la cour, qu'on l'accablât de grâces extraordinaires, et qu'on rendît sa place dans le conseil au même homme qu'on avait pendu en effigie, et dont la tête était proscrite. On lui permit même d'avoir auprès de lui cinquante gentilshommes dans Paris; c'était probablement cinquante victimes de plus qu'on faisait tomber dans le piège.

Enfin arriva la journée de la Saint-Barthélemi, préparée depuis deux années entières;

L'un des négociateurs de la cour était boiteux, et l'autre s'appelait Malassis.

journée dans laquelle une partie de la nation massacra l'autre; où l'on vit les assassins poursuivre les proscrits jusque sous les lits et dans les bras des princesses qui intercédaient en vain pour les défendre, où enfin Charles IX lui-même tirait d'une fenêtre de son Louvre sur ceux de ses sujets qui échappaient aux meurtriers. Les détails de ces massacres que je dois omettre ici seront présents à tous les esprits jusqu'à la dernière postérité.

Je remarquerai seulement que le chancelier de Birague*), qui était garde des sceaux cette année, fut, ainsi qu'Albert de Goudy, depuis maréchal de Retz, un de ceux qui préparérent cette journée. Ils étaient tous deux Italiens. Birague avait dit souvent, que pour venir à bout des huguenots il fallait employer des cuisiniers, et non pas des soldats. Če n'était pas là le chancelier de l'Hospital.

La journée de la Saint-Barthélemi fut ee qu'il y a jamais eu de plus horrible. La maniere juridique dont la cour voulut soutenir et justifier ces massacres fut ce qu'on a vu jamais de plus lâche. Charles IX alla lui-même au parlement, le troisième jour des massacres et pendant qu'ils duraient encore. Il présupposa que l'amiral de Coligny et tous ceux qu'on avait égorgés, et dont on continuait de poursuivre la vie, avaient fait une conspiration contre sa personne et contre la famille royale, et

* Il est omis comme garde des sceaux dans l'Abrégé chronologique du président Hénault.

que cette conspiration était près d'éclater quand on se vit obligé de l'étouffer dans le sang des complices.

Il n'était pas possible que Coligny, assassiné trois jours avant par Maurevert, presque sous les yeux du roi, et blessé très-dangereusement, eût fait dans son lit cette conspiration prétendue.

C'était le temps des vacances du parlement; on assembla exprès une chambre extraordinaire. (27 sept. 1572) Cette chambre condamna l'amiral Coligny, déjà mort et mis en pièces, à être traîné sur la claie, et pendu à un gibet dans la place de Grève, d'où il serait porté aux fourches patibulaires de Montfaucon. Par cet arrêt, son château de Chatillonsur-Loing fut rasé, les arbres du parc coupés; on sema du sel sur le territoire de cette seigneurie: on croyait par là rendre ce terrain stérile, comme s'il n'y eût pas eu dans ces temps déplorables assez de friches en France. Un ancien préjugé faisait penser que le sel ôte à la terre sa fécondité; c'est précisément tout le contraire: mais l'ignorance des hommes égalait alors leur férocité.

Les enfants de Coligny, quoique nes du sang le plus illustre, furent déclarés roturiers, prives non-seulement de tous leurs biens, mais de tous les droits de citoyen, et incapables de tester. Enfin le parlement ordonna qu'on ferait tous les ans à Paris une procession, pour rendre grâces à Dieu des massacres, et pour en célébrer la mémoire. Cette procession ne se

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