Page images
PDF
EPUB

ÉLISABETH.

Et tu l'as pu souffrir?

Il est mort?

TILNEY.

Le cœur saisi d'alarmes,

J'ai couru; mais partout je n'ai vu que des larmes.
Ses ennemis, madame, out tout précipité :
Déjà ce triste arrêt étoit exécuté;

Et sa perte, si dure à votre âme affligée,
Permise malgré vous, ne peut qu'être vengée.
ÉLISABETH.

Enfin ma barbarie en est venue à bout!
Duchesse, à vos douleurs je dois permettre tout.
Plaignez-vous, éclatez: ce que vous pourrez dire
Peut-être avancera la mort que je désire.

LA DUCHESSE.

Je cède à la douleur, je ne puis le celer;

Mais mon cruel devoir me défend de parler;

Et, comme il m'est honteux de montrer par mes larmes
Qu'en vain de mon amour il combattoit les charmes,
Je vais pleurer ailleurs, après ces rudes coups,
Ce que je n'ai perdu que par vous, et pour vous.

SCÈNE VII. ÉLISABETH, TILNEY.

Le comte ne vit plus!

ÉLISABETH.

O reine! injuste reine!
Si ton amour le perd, qu'eût pu faire ta haine?
Non, le plus fier tyran, par le sang affermi...

SCÈNE VIII.

ÉLISABETH, SALSBURY, TILNEY.

ÉLISABETH.

Hé bien, c'en est donc fait! vous n'avez plus d'ami!

SALSBURY.

Madame, vous venez de perdre dans le comte

Le plus grand...

ÉLISABETH.

Je le sais, et le sais à ma honte. Mais si vous avez cru que je voulois sa mort, Vous avez de mon cœur mal connu le transport. Contre moi, contre tous, pour lui sauver la vie,

Il falloit tout oser; vous m'eussiez bien servie.
Et ne jugiez-vous pas que ma triste fierté
Mendioit pour ma gloire un peu de sûreté?
Votre foible amitié ne l'a pas entendue;

Vous l'avez laissé faire, et vous m'avez perdue.
Me faisant avertir de ce qui s'est passé,

Vous nous sauviez tous deux.

SALSBURY.

Hélas! qui l'eût pensé?

Jamais effet si prompt ne suivit la menace.
N'ayant pu le résoudre à vous demander grâce,
J'assemblois ses amis pour venir à vos pieds

Vous montrer par sa mort dans quels maux vous tombiez,
Quand mille cris confus nous sont un sûr indice
Du dessein qu'on a pris de hâter son supplice.

Je dépêche aussitôt vers vous de tous côtés.

ÉLISABETH.

Ah! le lâche Coban les a tous arrêtés.

Je vois la trahison.

SALSBURY.

Pour moi, sans me connoître,
Tout plein de ma douleur, n'en étant plus le maître,
J'avance, et cours vers lui d'un pas précipité.
Au pied de l'échafaud je le trouve arrêté.

Il me voit, il m'embrasse; et, sans que rien l'étonne,
Quoiqu'à tort, me dit-il, la reine me soupçonne,
Voyez-la de ma part, et lui faites savoir

[ocr errors]

» Que rien n'ayant jamais ébranlé mon devoir,
>> Si contre ses bontés j'ai fait voir quelque audace,
» Ce n'est point par fierté que j'ai refusé grâce.
» Las de vivre, accablé des plus mortels ennuis,
» En courant à la mort, ce sont eux que je fuis;
» Et s'il m'en peut rester quand je l'aurai soufferte,
» C'est de voir que, déjà triomphant de ma perte,
» Mes lâches ennemis lui feront éprouver... »
On ne lui donne pas le loisir d'achever :

On veut sur l'échafaud qu'il paroisse. Il y monte;
Comme il se dit sans crime, il y paroît sans honte;
Et, saluant le peuple, il le voit tout en pleurs
Plus vivement que lui ressentir ses malheurs.
Je tâche cependant d'obtenir qu'on diffère

Tant que vous ayez su ce que l'on ose faire.
Je pousse mille cris pour me faire écouter;
Mes cris hâtent le coup que je pense arrêter.
Il se met à genoux; déjà le fer s'apprête;
D'un visage intrépide il présente sa tête,
Qui du trone séparée...

ÉLISABETH.

Ah! ne dites plus rien :

Je le sens, son trépas sera suivi du mien.

Fière de tant d'honneurs, c'est par lui que je règne1;
C'est par lui qu'il n'est rien où ma grandeur n'atteigne ;
Par lui, par sa valeur, ou tremblants, ou défaits,
Les plus grands potentals m'ont demandé la paix;
Et j'ai pu me résoudre... Ah! remords inutile!
Il meurt, et par toi seule, ô reine trop facile!
Après que tu dois tout à ses fameux exploits,
De son sang pour l'état répandu tant de fois,
Qui jamais eut pensé qu'un arrêt si funeste
Dût sur un échafaud faire verser le reste?
Sur un échafaud, ciel! quelle horreur! quel revers!
Allons, comte; et du moins aux yeux de l'univers
Faisons que d'un infâme et rigoureux supplice
Les honneurs du tombeau réparent l'injustice.
Si le ciel à mes vœux peut se laisser toucher,
Vous n'aurez pas long-temps à me la reprocher.

Rien ne prouve mieux l'ignorance où le public était alors de l'histoire de ses voisins. Il ne serait pas permis aujourd'hui de dire qu'Élisabeth régnait par le comte d'Essex, qui venait de laisser détruire honteusement en Irlande la seule armée qu'on lui eût jamais confiée.

Il n'y a guère rien de plus mauvais que la dernière tirade d'Élisabeth : Les plus grands potentats par Essex tremblants lui ont demandé la paix, après qu'elle doit tout à ses fameux exploits. Qui eút jamais pensé qu'il dût mourir sur un échafaul? Quel revers! On voit assez que ces froides réflexions font tout languir; mais le dernier vers est fort beau, parce qu'il est touchant et passionné.

FIN

« PreviousContinue »