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HISTOIRE PARLEMENTAIRE

DE LA

RÉVOLUTION

FRANÇAISE.

9 THERMIDOR. (SUITE.)

Il suffit de lire la séance de la Convention du 8 thermidor pour pressentir la destinée de Robespierre, et pour la comprendre à mesure qu'elle s'accomplit. Son discours eut le défaut capital et irréparable de n'être que la préface de celui que SaintJust devait faire le lendemain. S'il eût dit clairement sa pensée, s'il eût annoncé à la Convention qu'il fallait retirer des mains des comités l'arme terrible dont ils avaient si cruellement abusé; qu'il fa lait punir les proconsu's de Lyon et de Nantes, et quelques fripons reconnus; s'il eût, en un mot, énoncé sans phrases les crimes qu'on avait commis, les noms de ceux qui les avoient commis, et le bien qu'il se proposait de faire lui-même ; son manifeste eût été couvert d'applaudissemens, et ses ennemis eussent été immédiatement décrétés d'accusation. Il dit tout cela sans doute, mais il le dit dans des formes littéraires, dans des circonlocutions, dans des réticences Deux choses furent parfaitement évidentes pour tout le monde, c'est que Robespierre avait

T. XXXIV.

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fait sa propre apologie, et qu'il y avait une question de vie et de mort entre lui et un assez grand nombre d'individus. Du reste rien ne s'opposait à ce que les conventionnels, à qui leurs collè gues vraiment en danger avaient réussi à faire partager leur crainte, ne prissent les menaces pour eux. Le jugement que nous portons sur la faute inconcevable de Robespierre, dans la séance du 8 thermi lor, fut au reste celui de ses amis eux-mêmes. Sous l'impression de l'effet général produit par les explications de son ami, Saint-Just écrivit ces mots, qu'il devait prononcer à la séance suivante : Le membre qui a parlé long-temps hier à › cette tribune ne me paraît pas avoir assez nettement distingué » ceux qu'il inculpait.

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Robespierre se trompa sur la sensation qu'il avait fait naître. Il pensait avoir frappé de terreur les hommes qu'il voulait perdre, et donné de la sécurité à ceux qu'il voulait sauver. Il crut qu'il fallait parler encore pour augmenter ce résultat, et il alla lire son discours aux Jacobins. S'il eût bien apprécié le moment, il eût vu qu'il ne s'agissait plus de phrases, mais d'actions promptes et énergiques.

Nous n'avons conservé aucun monument du temps qui puisse servir à l'histoire du club des Jacobins pendant les soirées si orageuses des 8 et 9 thermidor. Nul journalisté n'a sténographie les débats, et les procès-verbaux dressés par le bureau du club ont été saisis par les thermidoriens, et dérobés par eux à la postérité. Il ne fut publié alors, de ces séances, que ce qui en fut raconté dans la Convention, et que les deux ou trois lignes des procès-verbaux originaux, qui figurent dans les notes du rapport de Courtois, sur les événemens du 9 thermidor. A ces documens fort incomplets, s'ajouteront maintenant les passages du procès-verbal de la Commune (voir plus bas), où sont rapportés quelques actes du club des Jacobins,

La tradition a transmis certains détails déjà rapportés par quel ques historiens, et que nous allons recueillir. On dit qu'après la lecture de son discours Robespierre s'adressa ainsi aux Jacobins : — « Ce discours que vous venez d'entendre, leur dit-il,

est mon testament de mort. Je l'ai vu aujourd'hui; la ligue des méchants est tellement forte que je ne puis pas espérer de lui échapper. Je succombe sans regret; je vous laisse ma mémoire ; elle vous sera chère, et vous la défendrez. » Et comme ses amis combattaient avec vivacité un tel désespoir, et s'écriaient en tumulte que l'heure d'un second trente et un mai avait sonné:

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Séparez, aurait ajouté Robespierre, les méchans des hommes faibles; délivrez la Convention des scélérats qui l'oppriment; rendez-lui le service qu'elle attend de vous, comme aux 31 mai et 2 juin. Marchez, sauvez encore la liberté! Si malgré tous ces efforts il faut succomber, eh bien! mes amis, vous me verrez boire la ciguë avec calme.» Je la boirai avec toi! s'écria David. Cette exclamation, rendue publique dans le temps, n'a jamais été contredite. Couthon prit ensuite la parole et proposa l'exclusion immédiate des députés qui avaient voté contre l'impression du discours de Robespierre. Cette proposition fut saluée par des acclamations unanimes et arrêtée sur-le-champ. Billaud et Collot étaient dans le club; ils en furent chassés par les épaules, au milieu des injures et des menaces. Quelques instans auparavant Collot s'était jeté, dit-on, aux pieds de Robespierre, en lui demandant de se réconcilier avec les comités.

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Toulongeon, t. 11, p. 502 et suivantes, raconte que Robespierre en rentrant dans sa demeure, où il vivait en commensal, y parla tranquillement des débats du matin (8 thermidor), et dit: Je n'attends plus rien de la Montagne; ils veulent se défaire de moi comme d'un tyran; mais la masse de l'assemblée m'entendra. Ces expressions, que Toulongeon indique clairement avo'r été répétées par quelque membre de la famille Duplay ? sont conformes au reste à ce que Robespierre déclara le matin du 9, avant de se rendre à la Convention. Comme Duplay lui parlait avec beaucoup de sollicitude sur les dangers qui l'attendaient; comme il insistait sur la nécessité de prendre des précautions, Robespierre lui répondit : « La masse de la Convention est pure; rassure-toi; je n'ai rien à craindre. Nous tenons ces détails de Buonaratti, qui les a recueillis, dans les prisons, de la

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bouche de Duplay. Il nous semble que ce langage n'est guère d'accord avec le sentiment de détresse dont sont empreintes les phrases que Robespierre aurait prononcées, selon quelques bi toriens, après la lecture de son discours à la tribune des Jacobins.

Toulongeon (loc. cit.) poursuit ainsi son récit : « A la séance des Jacobins assistaient deux membres du comité de salut public, que leurs collègues y avaient envoyés pour en connaître les résultats. Ces deux observateurs intéressés, Collot-d'Herbois et Billaud-Varennes, revinrent rendre compte de leur mission, effrayés de ce qu'ils venaient d'entendre. Saint-Just était présent. Collot-d'Her bois l'interpel'a rudement, et lui reprocha que les violences dont ils venaient d'être témoins étaient son ouvrage et ce'ui de Robespierre, son chef. Pendant le temps qui avait précé lé le retour de Collot et de son collègue, Saint-Just était resté écrivant sur une table où les autres membres du comité étaient en séance avec lui. Dans la vivacité de l'altercation qui s'établit entre eux et Saint-Just, il se hâta de retirer les écrits qu'il avait commencés. Ce mouvement donna des soupçons. Ses collègues saisirent ses papiers, et y trouvèrent leur dénonciation; alors ils s'assurèrent de sa personne, fermèrent les portes et résolurent de le garder à vue, en prolongeant la séance pendant toute la nuit. Lui-même s'engagea à ne pas faire usage de ce qu'il avait écrit; mais le matin, à l'heure où la Convention s'a semblait, il se déroba à la vigilance de ses gardiens, qui n'attachèrent même que peu d'importance à son évasion. »

Les amis de Robespierre ne partageaient pas sa sécurité. La Commune était sur ses gardes, et se disposait à agir au premier signal. Dans les papiers manuscrits qui nous ont été confiés, nous trouvons la lettre suivante:

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» Au Temple, le octidi 8 Thermidor, l'an 2 de la République française une et indivis.ble. (Pièce inédite.)

› Citoyen maire, des trois membres nommés pourle service du Temple deux sont venus, le troisième (Tanchion) manque; le conseil est permanent, un de nos collègues viendra le remplacer avec

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