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Sur quoi, et attendu que ledit Robespierre ne nous a pas paru en état d'être transporté, sans risque pour ses jours, au comité de salut public, nous en avons référé à l'instant aux trois représentans du peuple indiqués dans la déclaration des citoyens Désormeaux, Boutroux et Haverland; lesquels représentans nous ayant ordonné également de le faire transporter audit comité de salut public, dans quel état qu'il puisse se trouver, nous l'avons remis auxdits Boutroux, Désormeaux et Haverland, ainsi que les papiers trouvés sur lui, cachetés au sceau du comité civil de cette section, dont et de quoi ils se sont chargés, pour le tout remettre au comité de sûreté générale de la Convention, et ont promis en rapporter bonne et valable décharge, et ont signé.

› Ainsi signé, BOUTROUX, HAVERLAND, DÉSORMEAUX, GALIBERT, président, et PAJOT, secrétaire-greffier. » Et, ledit jour, à sept heures du matin, sont comparus devant nous les citoyens Haverland, Boutroux et Désormeaux ; lesquels nous ont remis la décharge à eux délivrée cejourd'hui par le citoyen Filleul, secrétaire principal du comité de sûreté générale et de surveillance de la Convention, de la personne de Robespierre le jeune, et le paquet mentionné au procès-verbal des autres parts, dont ils demeurent déchargés, et ont signé. Laquelle décharge sera annexée à la minute des présentes.

› Signé, BoUTROUX, DÉSORMEAUX, HAVERLAND; GALibert, président, et PAJOT, secrétaire-greffier.

» Pour expédition conforme, signé, PAJOT, secrét.-gref. »

Rapport des officiers de santé sur le pansement des blessures de Robespierre aîné, et son transport à la Conciergerie.

« Nous soussignés, officiers de santé de première classe des armées de la République, et chirurgien-major des grenadiers servant pour la Convention, ayant été requis ce matin, à cinq heures, par les représentants du peuple composant le comité de sûreté générale, de panser la blessure du scélérat Robespierre l'aîné, avons trouvé le susnommé étendu sur une table, dans

une des salles du palais des Tuileries; il était tout couvert de sang, tranquille en apparence, et ne témoignant pas éprouver beaucoup de douleurs ; le pouls se faisait sentir petit et concentré. Après avoir lavé la figure du blessé, nous avons aperçu d'abord un gonflement à toute la face, plus considérable à gauche (le côté blessé ); il y avait aussi érosion à la peau et ecchymose à l'œil du même côté. Le coup de pistolet avait porté au niveau de la bouche, à un pouce de la commissure des lèvres. Comme sa direction était oblique de dehors en dedans, de gauche à droite, de haut en bas, et que la plaie pénétrait dans la bouche, elle intéressait extérieurement la peau, le tissu cellulaire, les muscles triangulaires, buccinateur, etc. En introduisant le doigt dans la bouche, nous avons trouvé fracture avec esquilles à l'angle de la mâchoire inférieure, et nous avons retiré les dents canines, première molaire, et quelques portions d'os de cet angle; mais il nous a été impossible de suivre le trajet du plomb, et nous n'avous trouvé ni contre-ouverture, ni indice de la balle. Nous sommes même fondés à croire, par la petitesse de la plaie, que le pistolet n'était chargé qu'à plomb. Pendant tout le temps de son pansement, le monstre n'a pas cessé de nous fixer sans proférer un mot. L'appareil appliqué, nous l'avons couché sur la même table, et en parfaite connaissance.

» Paris, ce décadi 10 thermidor, l'an 2 de la république française, une et indivisible,

› Signé, VERGEZ fils, officier de santé de première classe;

MARRIGUES."

Citoyens, en exécution de l'ordre pour transporter Robespierre l'aîné à la Conciergerie, et le soin de cet être proscrit à si juste titre nous ayant été confié par vous, nous venons vous instruire que nous avons cru de notre devoir de ne le quitter qu'à la prison, et après l'avoir remis entre les mains des officiers de santé de la Conciergerie : il a souffert le transport sans être plus malade.

» Paris, ce décadi 10 (hermidor, à onze heures du matin, l'an 2 de la république une et indivisible.

» Signé, VERGEZ fils, MARRIGUES. »

Notes relatives à Robespierre, lorsqu'il fut apporté au comité de salut public.

⚫ Robespierre a été apporté sur une planche au comité de salut public, le 10 thermidor, entre une et deux heures du matin, par quelques canonniers et des citoyens armés. Il a été déposé sur la table de la salle d'audience qui précède le lieu des séances du comité. Une boîte de sapin, qui contenait quelques échantillons de pain de munition, envoyés de l'armée du Nord, fut posée sous sa tête et lui servit en quelque façon d'oreiller. Il resta pendant près d'une heure dans un état d'immobilité qui laissait croire qu'il allait cesser d'être. Enfin, au bout d'une heure, il commença à ouvrir les yeux; le sang coulait avec abondance de la blessure qu'il avait à la mâchoire inférieure gauche : cette mâchoire était brisée et sa joue percée d'un coup de feu; sa chemise était ensanglantée. Il était sans chapeau et sans cravate; il avait un habit bleu-ciel, une culotte de nankin, des bas de coton blanc, rabattus jusque sur ses talons. Vers trois à quatre heures du matin, on s'aperçut qu'il tenait dans ses mains un petit sac de peau blanche, sur lequel était écrit : Au Grand Monarque, Lecourt, fourbisseur du roi et de ses troupes, rue Saint-Honoré, près celle des Poulies, à Paris. Et sur le revers du sac: A M. Archier. Il se servait de ce sac pour retirer le sang caillé qui sortait de sa bouche. Les citoyens qui l'entouraient observaient tous ses mouvemens; quelques-uns d'entre eux lui donnèrent même du papier blanc (faute de linge), qu'il employait au même usage, en se servant de la main droite seulement, et en s'appuyant sur le coude gauche. Robespierre, à deux ou trois reprises différentes, fut vivement maltraité de paroles par quelques citoyens, mais particulièrement par un canonnier de son pays, qui lui reprocha militairement sa perfidie et sa scélératesse. Vers six heures du matin, un chirurgien, qui se trouva dans la cour du Palais national, fut appelé pour le panser. Il lui mit par précaution une clef dans la bouche; il trouva

qu'il avait la mâchoire gauche fracassée; il lui tira deux ou trois dents, lui banda sa blessure, et fit placer à côté de lui une cuvette remplie d'eau. Robespierre s'en servait de temps en temps et retirait le sang qui remplissait sa bouche, avec des morceaux de papier, qu'il ployait à cet effet en plusieurs doubles, de sa seule main droite. Au moment où l'on y pensait le moins, il se mit sur son séant, releva ses bas, se glissa subitement en bas de la table et courut se placer dans un fauteuil. A peine assis, il demanda de l'eau et du linge blanc. Pendant tout le temps qu'il resta couché sur la table, lorsqu'il eut repris connaissance, il regarda fixement tous ceux qui l'environnaient, et principalement les employés du comité de salut public qu'il reconnaissait ; il levait souvent les yeux au plafond; mais à quelques mouvemens convulsifs près, ou remarqua constamment en lui une grande impassibilité, même dans les instans du pansement de sa blessure, qui dut lui occasionner des douleurs très-aiguës. Son teint, habituellement bilieux, avait la lividité de la mort.

» A neuf heures du matin, Couthon, et Gobault, l'un des conspirateurs de la Commune, furent apportés chacun sur un bran card, jusqu'au pied du grand escalier du comité, où ils furent déposés. Les citoyens préposés à leur garde restèrent auprès d'eux, pendant qu'un commissaire de police et un officier de la garde nationale vinrent rendre compte de leur mission à BillaudVarennes, Barrère et Collot-d'Herbois, alors réunis au comité. Ils prirent sur-le-champ, à eux trois, un arrêté, portant que Robespierre, Couthon et Gobault seraient transférés de suite à la Conciergerie. Cet arrêté fut exécuté à l'instant même par les bons citoyens à qui la garde de ces trois conspirateurs avait été confiée. On assure que Robespierre, que l'on transporta à la Conciergerie sur un fauteuil, asséna, dans la descente du grand escalier du comité, un coup de poing à l'un des citoyens qui le portaient.

> Saint-Just et Dumas furent amenés au comité jusqu'à la sal'e d'audience, et conduits l'instant d'après à la Conciergerie, par ceux qui les avaient amenés. Saint-Just regarda le grand

tableau des Droits de l'homme placé dans cette salle; et dit, eti le montrant: C'est pourtant moi qui ai fait cela.

-Telle fut la fin de Robespierre. Son agonie fut encore plus cruelle qu'il n'est raconté dans la note où ses ennemis nous ont tracé ses dernières douleurs. Ses collègues des comités vinrent l'insulter, le frapper, lui cracher au visage; des commis de bureau le piquèrent de leurs canifs.

Celui dont, la veille même de sa chute, la presse entière vantait l'eloquence et la probité, celui que Boissy-d'Anglas appelait l'Orphée de la France, un mois avant d'entrer dans la conjuration tramée pour le perdre, n'était plus maintenant qu'un vil scélérat. Presque tous les journaux publièrent de lui le portrait suivant.

Portrait de Robespierre

Il a vécu trente-cinq ans ; sa taille était de cinq pieds deux ou trois pouces; son corps jeté d'aplomb; sa démarche ferme, vive, et même un peu brusque; il crispait souvent ses mains comme par une espèce de contraction de nerfs; le même mouvement se faisait sentir dans ses épaules et dans son cou, qu'il agitait convulsivement à droite et à gauche; ses habits étaient d'une propreté élégante, et sa chevelure toujours soignée; sa physionomie, un peu refrognée, n'avait rien de remarquable; son teint était livide et bilieux, ses yeux mornes et éteints; un clignement fréquent semblait la suite de l'agitation convulsive dont je viens de parler; il portait presque toujours des conserves; il savait adoucir avec art sa voix aigre et criarde, et donner de la grâce à son accent artésien; mais il n'avait jamais regardé en face un honnête homme.

» Il avait calculé le prestige de la déclamation, et, jusqu'à un certain point, il en possédait le talent; il se dessinait assez bien à la tribune; l'antithèse dominait dans son discours, et i maniait assez souvent l'ironie; son style n'était point sou tenu; sa diction, tantôt harmonieuse, modulée, tantôt âpre, brillante, quelquefois et souvent triviale, était toujours cousue de lieux communs et de divagations sur la vertu, le crime,

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