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cours de la justice: vous avez de la force armée pour appuyer l'exécution, partez.

Sur cet ordre, cinq ou six charretées s'acheminèrent à lạ barrière du Trône.

Que dans l'affaire des parlementaires, d'Ormesson de Noiseau fut apporté, sur une civière, empaqueté par les jambes et la tête, de manière qu'il ne pouvait être vu de personne; on lui fit deux ou trois interpellations, sans qu'on pût savoir s'il les avait entendues. Il articula quelques mots, qu'on ne put comprendre, et il fut envoyé au supplice.

Un jeune homme était en jugement avec un grand nombre d'autres personnes. Il était annoncé, dans l'acte d'accusation, pour avoir dix-huit ans : il réclame, lors des débats, alléguant qu'il n'avait que dix-sept ans. Sans prendre aucuns renseignemens sur sa réclamation, il fut condamné et envoyé au supplice au même instant.

Une citoyenne, appelée Maillé, ayant été mise en jugement quelques jours avant le 9 thermidor, à l'aspect des fatals gradins où son fils avait été condamné quelques jours avant, entra dans des convulsions si fortes, et eut des attaques de nerfs telles qu'à peine quatre hommes pouvaient la retenir.

On la mit dans la salle des témoins, où elle resta pendant toute l'audience exposée aux regards du public, au lieu de l'envoyer à l'hospice pour y recevoir des secours, parce qu'on attendait qu'un moment de calme permît de la mettre en jugement. Mais heureusement pour elle ce calme ne revint pas, et j'ai appris qu'elle est libre.

Fouquier ayant donné l'ordre à un huissier d'aller chercher au Luxembourg une citoyenne du nom de Biron, celui-ci vint lui dire qu'il avait trouvé deux femmes de ce nom, l'une veuve du maréchal; et l'autre, veuve de Biron, qui avait été guillotiné (le duc).

Fouquier dit: Amène-les toutes deux, elles y passeront; et toutes deux y passèrent le lendemain : elles furent guillotinées. Un jour, comme un grand nombre d'accusés venaient d'être

condamnés à mort et traversaient la cour de la prison, un prisonnier, et réciproquement un des condamnés qui étaient apparemment liés d'amitié, se tendirent la main. Mais Fouquier, qui était à une des fenêtres, qui vit ce spectacle, cria qu'on mît à la chambre noire ce sensible prisonnier; ce qui fut exécuté. Il fut mis au cachot ; et j'ai appris qu'il fut guillotiné peu de jours après. J'ignore pour quel délit.

Le jour du supplice des soixante-neuf qui y allaient en chemises rouges, comme complices de l'Amiral et de la fille Renaud, accusés d'assassinat envers Robespierre et Collot, Fouquier étant allé à la Conciergerie pour y recevoir la déclaration d'un de ces condamnés, après l'avoir reçue, se mit à la fenêtre du concierge qui donnait sur le guichet par où sortaient ces malheureux pour monter sur les charrettes; là il se repaît de la jouissance de les voir sortir tous en chemises rouges, et monter en charrette; et s'apercevant que de jeunes femmes, du nombre desquelles était la citoyenne Sainte-Amaranthe, allaient au supplice avec cette fermeté que donne le témoignage de l'innocence, Fouquier dit « Voyez comme elles sont effrontées ; il faut que j'aille les voir monter sur l'échafaud, pour voir si elles conserveront ce caractère, dussé-je manquer mon dîner. ›

Un nommé Macé, curé de Saint-Bries, ayant été acquitté et mis en liberté par la chambre du conseil, il survint une nouvelle dénonciation contre lui, signée de plusieurs citoyens, dans laquelle il y avait plusieurs chefs qui, dans ce temps-ci même, méritaient la peine de mort, tels que d'avoir à son prône, au mois d'août 1793, ordonné des prières pour les princes du sang de Capet. Ce prêtre était devenu depuis le plus grand Robespierriste de la République. Fouquier le défendit, soutenant qu'il avait été acquitté pour ce fait. Mais, malgré cela, il fut arrêté qu'il serait décerné mandat d'arrêt, vu la gravité de ces dénonciations signées.

Ce ne fut qu'un mois après que Château, huissier, fut chargé de l'arrêter; aussi ne le trouva-t-on plus.

Lors du procès du malheureux Camille, il récusa l'un des ju

rés, actuellement accusé, Nicolas Renaudin, motivant sa récusation; mais sur délibération, à la chambre du conseil, il fut arrêté que Renaudin resterait juré.

Fouquier ne se donnait pas la peine de faire ouvrir les paquets de pièces à décharge que les accusés lui envoyaient pour leur justification ; j'en ai vu au greffe, qui étaient tout cachetés, et n'avaient jamais été ouverts, quoique ceux qui les avaient produites eussent été condamnés à mort.

J'ai vu même des paquets de pièces à charge, aussi au greffe, qui n'avaient pas été décachetés, et néanmoins ceux contre lesquels elles avaient été produites avaient été condamnés à mort.

Lors de l'affaire de Danton, Camille, Phelippeaux et autres, on avait surpris un décret de mise hors des débats, sous prétexte que les accusés étaient en rébellion ouverte, quoiqu'ils n'eussent pas manqué de respect au tribunal; dans ce procès ces accusés ne furent point entendus sur le fond de l'affaire, mais seulement sur des interlocutoires; quand ils voulaient s'expliquer sur un fait, on les arrêtait en leur disant qu'ils développeraient tous leurs moyens dans leur défense générale. C'est de cette manière que se passèrent trois séances de débats. Le quatrième jour, les jurés se retirèrent, pour la forme, dans leur chambre, et vinrent dire au tribunal qu'ils étaient suffisamment instruits, quoiqu'ils n'eussent entendu ni les accusés ni leurs défenseurs dans leur défense. Ils furent sur-le-champ reconduits à la Conciergerie, où on envoya le greffier leur lire le jugement qui les condamnait à mort. A l'endroit où le greffier citait l'article de la loi qu'on leur appliquait, ils n'en voulurent pas entendre davantage, s'écriant qu'il leur importait peu avec quelle arme on les assassinait. Ainsi ils ont été condamnés à mort sans avoir été entendus.

D'après un décret il était accordé une indemnité aux citoyens qui avaient le bonheur d'être acquittés au tribunal; mais pour l'obtenir, ils étaient obligés de justifier du moment de leur arrestation, pour proportionner l'indemnité à la durée de leur détention: la pièce qui la constatait étant restée au greffe, ils venaient

en demander l'expédition; mais Fouquier avait défendu qu'on délivrât aucune de ces expéditions sans son ordre. Quand les réclamations de ces extraits étaient faites, Fouquier, souvent au lieu de donner l'ordre qu'on leur délivrât cet extrait, s'écriait : Comment f....., ces b......-là ne sont pas contens d'avoir été acquittés? Quels sont donc les b...... de jurés qui ont siégé? etc. Il refusait la permission de délivrer ces extraits. Je cite entre autres les administrateurs du département de la Moselle, qui n'obtinrent ces extraits qu'avec beaucoup de peine.

A l'époque où le tribunal fut divisé en sections, au mois de septembre 1793, les greffiers n'assistèrent que deux ou trois fois au tirage des juges et des jurés, dont il fut dressé des procèsverbaux; mais ensuite on n'appela plus le greffier; et pendant deux ou trois mois seulement on envoya au greffe une note du tirage, dont je ne voulus point faire de procès-verbaux, parce que je n'avais pas assisté au tirage. Depuis même, on n'envoya plus au greffe ces notes de tirage.

A l'époque à peu près du procès de Danton, l'entrée de la chambre du conseil fut interdite aux greffiers qui étaient obligés de rédiger les jugemens sur les notes qu'on envoyait au greffe. Lors du jugement des vingt-et-un députés, Brissot, Gensonné et autres, d'après la déclaration du jury, lorsque Fouquier requit la peine de mort contre eux, Valazé, l'un d'eux, se perça le cœur, et mourut sur le coup. On fit retirer les autres accusés, et on prononça leur jugement, dont ils n'eurent jamais connaissance, car on ne le leur fit pas notifier.

L'accusé Fouquier fit le réquisitoire d'envoyer le cadavre de Valazé à l'échafaud, et de le faire guillotiner comme les autres ; mais le président, Hermann, se récria à cette atroce proposition; et le tribunal se contenta d'ordonner que le cadavre serait conduit au lieu du supplice, ce qui fut exécuté. Le jugement ne porta pas en vertu de quelle loi le cadavre a été traîné sur la claie, parce qu'il n'en existe pas qui l'ordonnât.

Dans le commencement de l'établissement du tribunal, époque à laquelle on jugeait et où l'humanité n'en était pas bannie, lors

qu'une femme condamnée à mort se déclarait grosse, on la faisait visiter, et, lorsque les officiers de santé ne pouvaient prononcer sur son état positivement, dans le doute on donnait le temps à la nature de se développer, et d'éclairer la justice sur l'état de ces femmes. Il cite les femmes Charry et Kolly; à leur égard on tint cette conduite; mais depuis on n'en usa plus de même.

J'ai vu au moins dix à douze femmes envoyées au supplice le même jour qu'elles firent des déclarations de grossesse. Je cite entre autres la femme du citoyen Joly de Fleury, ex-procureur général.

Il y eut plusieurs femmes qui firent des déclarations de grossesse elles furent visitées; il s'en trouva une sur laquelle les chirurgiens prononcèrent affirmativement qu'elle était grosse : une sur laquelle ils prononcèrent aussi affirmativement le contraire; mais sur la femme Fleury, et une autre qui s'étaient déclarées enceintes de cinq à six semaines, les officiers de santé déclarèrent qu'ils n'avaient aperçu aucuns signes de grossesse, ce qui laissait évidemment un doute sur leur état, et surtout à l'époque de six semaines. Eh bien ! malgré une déclaration aussi équivoque à l'égard de ces deux dernières, tandis qu'elle avait été positive pour les deux premières, elles furent envoyées à l'échafaud, et le motif du jugement qui les y envoya fut qu'elles n'avaient pu communiquer avec des hommes.

Un fait qui prouve que Fouquier savait à l'avance le sort des accusés qu'on mettait en jugement, c'est qu'un nommé Ozanne, juge de paix, condamné à deux ans de détention, subissait son jugement à la Force lorsqu'un décret l'indiqua comme complice de Lamiral et de la fille Renaud. Sa femme vint me trouver, me

dit que ce n'était pas de son mari dont il était question, mais d'un autre Ozanne : elle me remit un mémoire pour Fouquier, à qui je le présentai à la buvette. Fouquier, sans vouloir le lire, me dit: C'est une affaire faite, reconduis-là. Sentant la fatale signiication de ces paroles : C'est une affaire faite, je mis lé mémoire

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