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humaines tombaient périodiquement sous le glaive apparent de la loi, d'après lesquelles encore Paris sembla si long-temps menacé d'une dépopulation prochaine ;

25° Que, craignant apparemment que ces listes ne pussent fournir assez d'aliment à sa férocité, Fouquier-Tinville imagina d'engager ceux de ces hommes lâches, qu'il avait ainsi corrompus, à lui faire en outre des dénonciations particulières de ceux des détenus qu'on voulait perdre; qu'impatient sans doute de ce qu'apparemment on n'allait pas assez vite, et bien que ces faiseurs de dénonciations sussent écrire, Fouquier-Tinville leur prêtait pour cette fonction le secours de sa plume, et faisait revêtir de leurs signatures ces dénonciations qu'on lui faisait, et que lui-même avait écrites;

24° Que non content de chercher ainsi dans les prisons, et parmi les hommes les plus ravalés, des faiseurs de listes et des dénonciateurs, Fouquier-Tinville trouvait encore à se pourvoir de témoins qu'il plaçait au besoin dans telle ou telle affaire, dont il dirigeait le témoignage pour l'appliquer à volonté; qu'on a vu plusieurs de ces prétendus témoins, appelés par lui en témoignage, pénétrer dans son cabinet, y recevoir d'avance la leçon qu'il leur faisait et se dévouer entièrement à cet égard à tout ce qu'on exigeait d'eux; néanmoins ayant eu l'indiscrétion ou plutôt la générosité de déclarer à la prison sur quel pied il en était avec Fouquier-Tinville, celui-ci le fit incontinent traduire en jugement, et de là conduire au supplice comme conspirateur;

25o Qu'inexorable et sans pitié, le jugement qui accidentellement acquittait un accusé était pour Fouquier-Tinville l'objet d'une fureur et d'un rugissement de plus; qu'il s'opposait pres que toujours et de sa seule autorité à l'exécution des jugemens de mise en liberté, et que, s'il était forcé néanmoins de s'abstenir de le contrarier, il menaçait et protestait de rattraper sa victime et de se l'immoler; que ce fut là singulièrement le sentiment qu'il éprouva, la menace qu'il fit, et le sort qu'il réserva à l'un des ci-devant parlementaires dont il avait juré la perte ;

Qu'à ce moyen, et d'après tout ce qui vient d'êtré rappelë;

Fouquier-Tinville s'est jusqu'ici déjà couvert de toute espèce de crimes, et a étrangement et de toute manière prévariqué dans toutes les parties et fonctions de son office;

§ II. Des combinaisons et objets de Fouquier-Tinville.

Les longues cruautés de Fouquier-Tinville avaient pour but sans doute, d'une part de satisfaire à la férocité de son caractère, d'autre part de seconder ceux des conspirateurs et des monstres qui, comme les Robespierre, les Saint-Just, les Couthon et autres, s'étaient promis de dépeupler la France et d'en faire disparaître surtout le génie, les talens, l'honneur et l'industrie.

Fouquier, Saint-Just, Robespierre et autres s'étaient tous proposé de faire à Paris une longue répétition de ces scènes d'horreur qu'on vit se jouer dans le même temps à peu près dans plusieurs grandes communes et aux différentes extrémités de la République; c'était le même plan déployé sur des théâtres différens, mais tendans tous aux mêmes fins et communs à tous les

acteurs.

Déjà il résulte en effet des pièces du procès, que FouquierTinville était et vivait dans la plus grande intimité avec plusieurs de ceux des grands conspirateurs dont la Convention nationale a fait justice au mois de thermidor dernier.

Il sera démontré en outre qu'il avait avec eux des relations secrètes; qu'il leur faisait des visites aux heures les plus enfoncées de la nuit.

Qu'il se rendait dans les lieux où il se serait proposé de les entretenir ils se retiraient à l'écart, regardaient autour d'eux, parlaient bas et paraissaient tourmentés de cette inquiétude que méconnaissent et que dédaignent d'employer la franchise et la loyauté.

Il sera démontré encore que Fouquier-Tinville et plusieurs de ces conspirateurs se rassemblèrent et firent des orgies dans les maisons particulières aux époques où fut découverte leur conspiration.

Il sera démontré de même que Fouquier-Tinville n'en ignorait

ni l'objet, ni les combinaisons, qu'il n'ignorait pas davantage qu'en s'associant comme il a fait à cette conspiration il s'associait à des conspirateurs; qu'ils étaient criminels, et qu'il l'était

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Du caractère et de la moralité de Fouquier-
Tinville.

Il a déjà été plus que prouvé que Fouquier-Tinville se faisait un amusement et une sorte de jouissance du grand nombre de ceux qu'il mettait en jugement et qui s'y trouvaient condamnés ;

Qu'il se promit encore un plaisir plus grand, résultant de la disposition où il était d'en faire juger un plus grand nombre;

Qu'il se permit à cet égard différentes ironies et des plaisanteries qui ne pouvaient appartenir qu'à la cruauté d'une ame dé gradée et altérée de sang ;

Que violent, impérieux, et toujours mortifié quand un accusé échappait aux coups sous lesquels il s'était flatté de le faire tomber, Fouquier-Tinville trépignait de rage et de fureur, et se répandait inconsidérément en propos également injurieux aux accusés, aux jurés et à la justice ;

Qu'assuré, pour ainsi dire, par avance du succès de ses manœuvres et de ses combinaisons, il se flattait barbarement qu'elles prospéreraient, il ordonnait, comme à coup sûr, que la guillotine fût placée et les charettes amenées le matin même du jour où il mettait les accusés en jugement; certain qu'apparemment ils n'en reviendraient pas.

D'après l'exposé ci-dessus, l'accusateur public a dressé le présent acte d'accusation contre Antoine-Quentin Fouquier-Tinville, ex-accusateur public près le tribunal révolutionnaire, pour avoir méchamment et à dessein du crime, étrangement et de toutes manières, prévariqué dans les fonctions de sa place; pour avoir entretenu en outre des correspondances, secondé et favorisé les projets et complots liberticides et contre-révolutionnaires des ennemis du peuple et de la République, et avoir lui-même

conspiré, soit comme auteur ou complice, contre la sûreté intérieure de l'état et du peuple français; d'avoir par suite, et de cette manière, provoqué la dissolution de la représentation nationale, le renversement du régime républicain, le rétablissement de la royauté, et cherché à provoquer, par le meurtre et par la terreur, l'armement des citoyens les uns contre les autres, et à exciter la guerre civile.

Pour quoi l'accusateur public requiert qu'il lui soit donné acte de l'accusation par lui intentée contre ledit Antoine-Quentin Fouquier-Tinville, susnommé et dont est question; comme aussi qu'il soit dit qu'à sa diligence et par l'huissier porteur de l'ordonnance à intervenir, ledit Fouquier-Tinville sera pris et appréhendé au corps, et écroué sur les registres de la maison d'arrêt où il est détenu, pour y rester comme en maison de justice, et que ladite ordonnance sera notifiée en la manière accoutumée. Fait au cabinet de l'accusateur public soussigné, à Paris, le 25 frimaire de l'an troisième de la république française. Signé LEBLOIS.

Ordonnance du 26 frimaire, conforme au réquisitoire, signée DOBSEN, président; ARDOUIN, POULLENOT, FORESTIER, LAVOLLÉE, RUDLER, GODINET jeune et BIDAULT, juges.

Addition au précédent acte d'accusation.

L'accusateur public près le tribunal révolutionnaire, séant au Palais-de-Justice, expose: qu'en exécution d'un décret de la Convention nationale, du 14 thermidor, l'an deuxième de la République, le comité de sûreté générale, par son arrêté du même jour, fit mettre en arrestation Fouquier-Tinville, et fit apposer les scellés sur ses papiers ; qu'il fut ensuite traduit dans les prisons de la Conciergerie, pour être mis sur-le-champ en jugement devant le tribunal révolutionnaire; que, successivement et depuis, plusieurs déclarations furent reçues et plusieurs pièces remises à l'accusateur public près ledit tribunal, qui dressa ensuite

T. XXXIV.

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un acte d'accusation contre Fouquier-Tinville, suivi d'une ordonnance de prise de corps, du 26 frimaire dernier.

Fouquier-Tinville ayant été entendu sur les causes de sa détention, fut mis en jugement le 18 frimaire, et les débats suspendus le même jour, en exécution du décret de la Convention du même jour, qui ordonnait la suspensión de toutes les procédures commencées et le renouvellement du tribunal révolutionnaire.

Le nouveau tribunal, organisé par la loi du 8 nivose, étant entré en fonctions, l'accusateur public a pris connaissance de l'acte d'accusation portée contre Fouquier-Tinville; il s'est aperçu que plusieurs chefs d'accusation très-graves avaient été omis dans l'acte du 25 frimaire, et qu'il était important de s'assurer de la personne de plusieurs individus prévenus, par la procéduré, dé complicité avec Fouquier-Tinville.

If a donc, én conformité de l'article 22 du décret du 8 nivose, titre IV, décerné les 1er, 4, 7, 12 et 24 ventose dernier, des mandats d'arrêt contre François-Louis-Marie de Laporte, âgé de quarante-six à quarante-sept ans, né à Paris, y demeurant, rue et section de la Réunion; avant la révolution marchand gantier-parfumeur, et depuis employé au bureau de liquidation du département de Paris;

20 Étienne Foucault, âgé de cinquante-cinq ans et demi, né à Burge-les-Bains, ci-devant Bourbon-l'Archambaut, département de l'Allier, demeurant à Paris, cloître Germain-l'Auxerrois, section du Muséum, n. 41; avant 1787, demeurant ci-devant paroisse Roch, susdit département, cultivateur et fermier;

5o Antoine-Marie Maire, âgé de près de cinquante ans ; avant la révolution, avocat au parlement de Paris, lieutenant pour le roi de la ville de Vérmanton, et, depuis la révolution, membre, en remplacement, de la commune provisoire de Paris, en 1789;

40 Gabriel-Toussaint Scellier, âgé de trente-neuf ans, në à Compiègne, département de l'Oise, homme de foi, déméurant à Paris, rue Appoline, n. 9, section des Amis de la Patrie;

3o Charles Harny, âgé de soixante-cinq ans, né à Paris, y de

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