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d'opinions qui sont encore pleines de vie, de passions qui s'agitent encore sous nos yeux. Dans notre ouvrage, chaque opinion prend en quelque sorte à son tour la parole, occupe la tribune, se démontre et agit, tantôt pour enseigner le bien, tantôt et le plus souvent pour enseigner le mal. Faudra-t-il donc laisser le lecteur errer au hasard et sans guide dans ce dédale de doctrines contradictoires? serait-ce un tort de lui montrer le criterium à l'aide duquel il pourra faire sortir la lumière des ténèbres et tirer du désordre même son instruction politique? Nous reprocherait-on d'avoir trop présumé de nos forces, ou d'avoir trop osé en entreprenant une pareille tâche ! Mais qu'avons-nous donc tenté que n'aient déjà fait les autres historiens? Ceux-ci mêlent leur jugement à l'histoire ellemême; ils la rendent conforme à leur pensée à tel point qu'il devient souvent impossible de distinguer le véritable caractère des faits. Nous, nous avons mis nos opinions à part, les proposant au lecteur, mais ne les lui imposant pas; le laissant libre de les accepter ou de les refuser. Pour nous persuader de l'inopportunité de nos préfaces, il faudrait nous prouver qu'elles ont été stériles; or nous avons la démonstration qu'elles ne l'ont pas été, et nous n'avons pas même manqué d'encouragemens. En définitive pour avoir la raison de ces discours préliminaires depuis le premier, car c'est ainsi que nous appelons notre introduction sur l'histoire de France, jusque et y compris ceux qui viendront plus tard, il suffit de se rappeler l'intention de cet ouvrage. Nous ne nous sommes pas proposés seulement d'écrire les annales d'une époque difficile, dénaturée par l'aveuglement de partis également injustes; de sauver la vérité du naufrage dont la menaçaient les passions contemporaines, de faire en un mot, pour la révolution, un travail qui a manqué à deux périodes non moins importantes de notre histoire nationale, à celle de la ligue et à celle du quatorzième siècle; nous voulions de plus qu'il en ressortît un enseignement pour le temps présent. Pour atteindre ce double résultat il fallait que l'œuvre de l'historien fût indépendante de celle du publiciste; il falfait que ces deux travaux fussent complétement séparés; nous avons donc cru devoir reléguer le second dans nos préfaces. Il n'appartient qu'au public de juger si nous avons accompli notre but.

HISTOIRE PARLEMENTAIRE

DE LA

RÉVOLUTION

FRANÇAISE.

DU 8 MAI (19 Floréal), au 27 juilLET (9 THERMIDOR). — 1794.

Nous avons terminé l'histoire de la période où l'influence de Robespierre sur la révolution atteignit son plus haut degré. Nous avons vu les termes qui en marquent le progrès se présenter comme autant de concessions faites à l'opinion publique par la majorité conventionnelle.

Ainsi, lors du renouvellement du comité de salut public, après le 31 mai, il n'en fit point d'abord partie. Ce ne fut que le 27 juillet qu'il y entra en remplacement de Gasparin. Il triompha facilement des anarchistes qui élevèrent les premiers la prétention de continuer Marat, parce que Jacques Roux et Leclerc n'avaient nul appui ni à la Commune, ni à la Convention, ni dans aucun des corps constitués qu'ils attaquaient tous indistinctement. Mais lorsque l'anarchie se témoigna par des doctrines, et qu'elle eut pour meneurs des hommes revêtus de fonctio, s importantes, Robespierre eut à livrer des combats plus difficiles. Il fut obligé de laisser aller l'athéisme jusqu'à ce que les résultats politiques de ce mouvement en eussent démontré le danger.

T. XXXIII.

Maître de la Commune de Paris, maître de la Convention, comme cela fut prouvé par la séance du 7 novembre 1793, l'hébertisme n'avait au fond d'autres antagonistes que Robespierre et ses quelques partisans. Il fallut que la guerre faite au culte catholique eût fourni une ample matière aux accusations des monarques de l'Europe, et qu'ils eussent fondé sur d'aussi plausibles motifs les nombreux manifestes où ils reprochaient aux révolutionnaires français d'être à la fois ennemis de Dieu et des hommes; il fallut que les Vendéens, indignés de ces scandales, montrassent une énergie nouvelle, et obtinssent aussitôt de brillans avantages; il fallut, en un mot, qu'une sourde rumeur contre l'athéisme se fût propagée dans le peuple, d'un bout de la France à l'autre, pour que l'occasion d'attaquer les athées avec espoir de les renverser fût enfin donnée. Toutes ces considérations eurent des résultats décisifs en apparence, mais faibles et précaires en réalité. Robespierre eut des succès de tribune contre les athées; il fit décréter la liberté des cultes; mais les actes parlementaires, et les actes administratifs continuèrent à être dictés par l'esprit qu'il avait combattu, et à servir les passions auxquelles il avait essayé de mettre un frein. La conduite des proconsuls envoyés dans les départemens ne changea nullement de but, pas plus que les messages par lesquels ils en rendaient compte à la Convention, ne changèrent de caractère. Or, Clootz, Hébert, Chaumette, Gobel, etc., qui se taisaient maintenant à Paris, auraient-ils agi et écrit autrement que ne le faisaient André Dumont, Albitte, Carrier, Fouché, Cavaignac, Dartigoite, Collot-d'Herbois, etc.? La défaite de l'athéisme se borna donc à des discours. La convention jugea qu'il était politiquement utile d'opposer aux manifestes de la coalition étrangère les apologies morales et religieuses de Robespierre; quant à les adopter comme sa profession de foi et la règle de ses actions, elle ne le fit pas.

Dans toutes les circonstances graves qui suivirent ses discours contre le parti des athées, chaque fois que Robespierre entreprit de faire prévaloir son influence personnelle, il échoua complétement. Lorsque le parti des indulgens se forma de tout

ce qu'il y avait d'immoral et de corrompu dans la Convention, lorsque Camille Desmoulins demanda un comité de clémence, Robespierre proposa et fit décréter en principe un comité de justice. Ce comité devait dépouiller les dossiers des suspects, réviser les arrestations, et veiller avec soin à ce qu'aucun innocent ne demeurât victime de la précipitation des mesures commandées par le salut public. Mais le comité de sûreté générale et le comité de salut public, auxquels on avait renvoyé ce décret, pour le formuler en articles de loi, le trouvèrent dangereux, le modifièrent de manière à le dénaturer entièrement, et le firent rapporter, comme impossiblé à exécuter, malgré les instances de Robespierre.

Le projet de rapport écrit par lui contre la faction Fabred'Églantine, et celui qu'il avait composé contre la faction Chabot, sont autant de preuves qu'il eut simplement voix consultative dans l'affaire des hébertistes, et dans celle des dantonistes, et que son opinion fut bien loin d'être prépondérante; ear presqu'aucun des coupables qu'il avait désignés ne furent mis en accusation par les comités.

Le sentiment qui avait porté les comités et la Convention à céder à Robespierre, lorsqu'il s'était agi de répondre aux manifestes des princes coalisés, les porta à user de son appui moral quand il fallut frapper Hébert et Danton, justifier leur supplice, et légitimer les mesures destinées à prévenir les attentals de la nature de ceux que l'on venait de punir. Qui, en effet, aux yeux du public, avait le droit incontestable de jeter la pierre aux hommes corrompus, qui, si ce n'est Robespierre et le petit nombre de ses amis? Rien après cela ne pouvait s'opposer à ce que la probité et la vertu ne fussent mises à l'ordre du jour, ni à ce que les conditions fondamentales de l'une et de l'autre, l'existence de Dieu et l'immortalité de l'ame, n'obtinssent les honneurs d'un décret solennel; mais c'étaient autant de concessions forcées à la politique du moment, autant de fictions gouvernementales que l'on appliquerait rigoureusement à ceux que l'on voudrait proscrire, et dont on se permettrait bien de s'affranchir soi-même.

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