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nait aussi le comité de sûreté générale, affectant de l'exactitude vis-à-vis de l'un, comme vis-à-vis de l'autre. Mais ce Taschereau était plus attaché à Robespierre qu'à Vadier; il trompait plus aisément ce dernier, et savait plus directement les secrets du comité. Il existait entre les comités une rivalité telle, qu'elle détruisit toute espérance d'un accord entre eux; il est certain que, du moment de l'établissement du bureau de police générale, Robespierre a perdu l'influence dans les deux comités. Ce qui venait du comité de salut public n'obtenait pas souvent le suffrage du comité de sûreté générale, et celui-ci taisait les connaissances qu'il avait lorsqu'il s'agissait de quelqu'un poursuivi par le comité de salut public, surtout par le bureau de police générale, et principalement encore lorsqu'il s'agissait d'un représentant. Pour se faire une idée de cette vérité, il suffit de se rappeler que Vadier, dans sa défense imprimée, pages 8 et 9, disait : « que le » comité avait tout fait en faveur de Tallien, Fouché et autres, › pour détourner l'effet des dénonciations portées contre eux, > par la raison qu'ils étaient poursuivis par Robespierre. »

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» A cette preuve littérale, je vais joindre un autre fait, qui, par ses conséquences, vous prouvera la vérité de mon assertion. Robespierre attaqua, à la Convention, Tallien, dans un discours qui renfermait plus que des soupçons; le lendemain je vis Moïse Bayle, et je lui dis : « D'après les preuves que vous avez contre > Tallien, vous laissez subsister une incertitude dont lui Tallien › n'est pas dupe; cependant aucun membre du comité de sûreté générale n'a achevé de confondre cet impudent conspirateur. › Moïse Bayle me répondit: Tallien a commis tant de crimes, que de cinq cent mille têtes, il n'en conserverait pas une; ses vols, ses conspirations sont en si grand nombre, et les preuves en sont si certaines, que Tallien, accusé autant de fois qu'une de ses têtes renaîtrait, n'en conserverait aucune. Le comité a plus de pièces qu'il n'en faut; tu le sais, tu nous en asremis toi-même; mais il suffit qu'il ait été attaqué par Robespierre pour que nous ayons gardé le silence. Les circonstances exigent que, quels que soient les crimes de ceux qui paraissent montagnards, il n'en soit pas poursuivi

un : c'est un mur dont nous ne voulons pas arracher un moellon, quelque SALPÉTRÉ qu'il soit, car à la moindre brèche le mur tomberail. Je regardai, cette réponse, et ces comparaisons, comme l'effet des projets du comité de sûreté générale, et de la crainte des peines dues aux forfaits de quelques-uns dont j'avais une connaissance directe, et sur lesquels je vais donner des détails. ›

Ici se trouve un passage cité dans notre précédent volume et où Sénart dit que le comité ne voulait pas poursuivre les voleurs, parce que c'eût été faire rétrograder la révolution. » Il continue ainsi : Je vais vous prouver combien fut dangereuse cette impunité, par le discrédit qu'elle détermina chez les peuples voisins de notre révolution, et par les pertes de tout le numéraire qui fut détourné. Le comité, qui semblait menacé par le pire du pire même, désirait s'attacher un parti, et, de droit, étaient joints à sa cause tous ces messieurs qui, dans le genre de la Représentocratie, commettaient, à l'abri de pouvoirs illimités, tous ces attentats et ces excès qu'il est inutile de répéter, d'autant qu'ils sont assez divulgués. Le comité, selon ses projets, voulant done avoir un aperçu des inculpations de vols, et recueillir les reproches qu'on faisait, au comité de salut public, sur la complicité des infidélités et des soustractions du numéraire, me fit commencer un travail dont je dois compte à la nation, et que je ne veux pas omettre, J'ai promis la vérité sur tous les faits qui sont à ma connaissance, j'y tiens.

J'ai trouvé des renseignemens sur ce que, dans le comité de salut public, des émigrés avaient été protégés par des commis et secrétaires, en ce qu'on leur avait donné des commissions avec du numéraire, pour des emplois, missions, entreprises ou achats, dans le pays étranger où ils sont restés, et ont gardé notre numéraire, notamment un certain.... (1), envoyé en Suisse pour des subsistances, qui a passé et gardé le numéraire ; j'avais rédigé un apercu sur les intrigues de ceux qui négociaient ces missions auprès du comité de salut public et du pouvoir exécutif, et aux

(1) « Le nom est resté en blanc dans les manuscrit. >> des mémoires.)

(Note de l'éditeur

quels on remettait une partie du numéraire : parmi eux, j'ai singulièrement remarqué Richer-Serisy, M... fils, Lhuillier, Tallien, Desfieux, Daubigny, Danton. Un nommé Fontenay, mari de la dona Thérésia de Bordeaux, actuellement femme Tallien, profita d'une mission pour émigrer.

› Ici doit se trouver placé un trait impardonnable de JeanBon-Saint-André : ce réprésentocrate était en mission à Toulon, avec des pouvoirs illimités; il fut amené un vaisseau sous pavillon danois, armé cependant à Barcelone, capitaine génois, chargé pour le compte commercial d'une maison de Gênes. Il y eut récla mation contre la prise, il y eut même décision : mais on avait fait emprisonner le capitaine; il fut ensuite transféré, et disparut. La cargaison était partie en piastres, partie en soieries; le nom du vaisseau fut changé, et, lorsque, en exécution d'un jugement, il fallut constater la décharge du vaisseau, on ne put en trouver aucun vestige. L'honnête Augier, citoyen de Toulon, qui suivait l'effet de la réclamation, osa élever la voix contre cette infamie: mais JeanBon-Saint-André, pour le faire taire, le fit emprisonner et l'envoya au tribunal révolutionnaire de Paris. Des expéditions de jugement, pétitions, procès-verbaux, déposés au comité de sûreté générale, et dont les originaux existent invariablement, sont les preuves que j'opposerai en cas de deni ou de recherches. Jean-Bon-Saint-André a-t-il pu sans complicité refuser justice? et le comité de salut public, qui n'a point fait réparer cette infidélité, peut-il éviter le reproche d'adhésion et de participation à ce vol énorme?

Les députés en mission ont établi des taxe révolutionnaires, et n'en ont point rendu compte. Le comité de salut public pouvait-il sans complicité, ne pas exiger ces comptes? Parmi ces taxateurs, j'ai remarqué singulièrement l'immoral et ivrogne Guimberteau que des pièces matérielles peuvent convaincre du fait suivant : à Blois, ce Guimberteau y établit des taxes excessives, désastreuses et ridicules. Roubierre, l'infâme Roubierre, le honteux complice de Dumourier, conspirateur fameux, escroc convaincu du vol, chez le ministre Lebrun, d'une somme de dix mille livres, dont le nom seul enfin rappelle tous les genres d'in

famie, était son secrétaire. L'usage que Roubierre et Guimberteau firent de ces taxes fut de les distribuer à des p...... Il existe encore sur les lieux des mandats acquittés de cette nature, qui prouvent ce fait, et les copies certifiées en sont déposées au comité de sûreté générale : dans tous les cas, je les opposerai à des dénégations.

› Isabeau et Tallien, en mission à Bordeaux, ayant épuisé par leurs réquisitoires et manœuvres tout le numéraire du lieu et des environs, n'avaient pas encore assez satisfait leur cupidité; ils ordonnèrent au citoyen Descombelles, agent national à Toulouse, de faire rechercher du numéraire, et de le leur envoyer; il en réunit pour deux millions qu'il leur envoya sous la garde d'une commission nommée par la société populaire de Toulouse, qui leur remit ce dépôt secret sous quittance. Les délibérations authentiques, la correspondance, les lettres, les procès-verbaux attestent ce fait, et n'en permettent pas la dénégation. Pourquoi cet accaparement de numéraire? qu'en ont-ils fait? qu'en font-ils? où est le compte de cette somme, et qu'est-elle devenue? où sont celles des autres départemens où ils ont agi de même? Il résulte donc que le numéraire de la France a été distrait, et que l'emploi n'en est pas connu.

› Les pièces dont extrait fut joint au bureau de police générale du comité de salut public et au comité de sûreté générale, sont des copies de réquisitions, délibérations, commissions, reçus, décharges et autres, qui indiquent des sommes immenses de numéraire sur lesquelles le comité de sûreté générale avait demandé réponse à Tallien, qui n'en a pas fourni : il n'y a pas de prescription, et ces Verrès ne peuvent jouir de l'impunité.

› Je ne répéterai pas ce qui est connu du 9 thermidor, mais je sais que le comité de sûreté générale travaillait en secret à la chute de Robespierre qu'il réunissait des matériaux, et se préparait un parti dans la Convention; que si Tallien a pris les devants en anticipant les mesures arrêtées, c'était pour s'en appliquer le mérite, et parvenir à l'impunité de ses crimes, qui étaient connus: ainsi le 9 thermidor s'est opéré par le travail préparé

des membres réunis et coalisés pour renverser le tyran et delivrer la nation; la crainte les dirigeait. » (Mémoires de Sénart, p. 145-153.)

Dans le même chapitre, p. 134 et suivantes, Sénart passe en revue les membres du comité de sûreté générale, et s'exprime ainsi sur chacun d'eux :

« J'ai singulièrement distingué pour avoir moins de torts les représentans Moïse Bayle, Elie Lacoste, Lavicomterie, Dubarran; leur parti n'était pas le plus nombreux; à ma connaissance ils donnaient avec trop de confiance leur signature.

› Nul homme n'était plus dur, plus arrogant et plus rebutant que Jagot; c'était un fagot d'épines qui se déliait, et qu'on ne pouvait approcher d'aucun côté : il était d'une brutalité effroyable. Si quelqu'un venait parler pour un détenu, il le menaçait aussitôt d'arrestation, il traitait tout le monde de contre-révolutionnaire ; il fit arrêter et guillotiner dans le même jour un secrétaire du comité accusé par Héron d'un delit dont Héron était soupçonné lui-même. A peine avait-il entendu une dénonciation ou une réclamation: C'est assez, disait-il, c'est pour la guillotine; ou bien : C'est une pièce de réserve! són mot était : en prison! à la guillotine! au réservoir! Il avait adopté cette plaisanterie cruelle: habit de pierre de laille, parement d'ardoise, doublure de bricues ; ce qui signifiait prison. Il etait chargé de la correspondance avec Amar. La volonté de l'un d'eux, sur le papier d'usage du comité, était substituée à celle même du comité. Ils dirigeaient au bin la guillotine, comme auprès. Jagot disait brutalement tout ce qu'il pensait, mais Amar portait un extérieur plus faux, plus perfide; Amar était vindicatif, cruel, menteur, inexact dans ses rapports, se ployant, suivant les circonstances, pour mieux réussir. I était spécialement chargé d'activer le tribunal révolutionnaire, etVouland partageait avec lui ce travail: la voiture du comité éait à ses ordres. Amar était insidieux dans ses questions, comme lans ses réponses; ses propositions étaient toujours compliquées; petri d'orgueil, il n'aimait pas que son opinion fût contrariée; anbitieux, despote, lorsqu'il donnait son avis, il affectait de la gravité.

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