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le souvenir récent de la tyrannie vous engagea à proclamer les droits imprescriptibles de l'homme. C'est en vain que la malveillancé s'efforcera de persuader que votre immortel décret fera sortir de la tombe ensanglantée le monstre hideux du fanatisme; le législateur qui l'a proposé a dans son rapport assimilé les pretres aux rois.... D'après cette idée bien juste, il n'y aura pas un grand nombre de citoyens qui pussent désirer d'être prêtres aujourd'hui. Quel est celui qui ne préfère pas des principes simples, éternels comme la nature, à un culte mystique, inexplicable? un Dieu juste et bienfaisant, au Dieu des prêtres? Eh! quel besoin aurons-nous jamais de prêtres? Abandonnerions-nous à nos semblables le plaisir d'être utiles à notre patrie et de chérir nos parens? Choisirons-nous des hommes pour offrir, à notre place, à l'Etre-Suprême, des hommages que nous aimons à lui rendre? Nous l'honorerons nous-mêmes par nos vertus. Nous ne nous occuperons pas à le définir, nous ne lui donnerions que nos vices et nos passions. Nous aurons de lui une idée si sublime que nous ne le dégraderons pas en lui donnant une figure, un corps semblables aux nôtres. Eh! qu'est-il besoin de le représenter aux yeux des hommes? tous les ouvrages sortis de ses mains, tous les dons qu'il nous a faits, ne le rendent-ils pas sensible à tous les cœurs, visible à tous les regards?

Le conseil général de la commune de Paris, pénétré de respect et de reconnaissance pour les législateurs qui ont proclamé ces principes éternels, jaloux de faire disparaître tous les signes de la superstition, et de propager les idées religieuses, qui servent de base à la morale publique, á arrêté que sur tous les temples destinés aux fêtes publiques, on effacerait ces mots: Temple consacré à la Raison, et que l'on y substituerait cette inscription: A l'Etre-Suprême; que cet arrêté serait présenté à la Convention nationale par une députation de tous ses membres. >

-A la même séance, les sociétés populaires des sections des Tuileries et du Mont-Blanc, annoncèrent à la Convention qu'elles venaient de se dissoudre. La plupart des sociétés du même genre imitèrent cet exemple; depuis long-temps elles étaient l'objet

d'attaques continuelles de la part du club des Jacobins, où Collot et Legendre avaient parlé avec beaucoup de chaleur contre ces sortes d'assemblées le 12 mai (23 floréal). On les accusait principalement d'avoir été créées dans un esprit et pour un but de fédéralisme.

Le 15 mai (26 floréal), Julien, membre de la commission exécutive de l'instruction publique, donna lecture aux Jacobins de l'adresse qui fut présentée le lendemain, en leur nom, à la Convention nationale, et que nous avons rapportée dans notre précédent volume. Cette adresse, par laquelle le club déclara adopter comme sa profession de foi le discours de Robespierre sur les idées morales et religieuses, ne passa point sans contestation. Royer approuva les principes qui y étaient contenus, mais il ne pensa pas que la société dût l'adopter, parce que la malveillance pourrait tirer parti de ce qu'elle avait été présentée par un membre du comité de salut public. La société des Jacobins parut assez indécise pour que Robespierre et Couthon se crussent obligés l'un et l'autre à entrer dans de grands développemens pour prouver la nécessité d'adopter l'adresse. Toute cette partie de la séance du 26 floréal manque dans le Moniteur. Robespierre monta deux fois à la tribune. Nous remarquons, dans son premier discours, que les conspirateurs s'étaient attendus à ce que la Convention rejetterait l'adresse, plus haut transcrite, du conseil-général de la Commune: Si cette adresse eût é é rejetée, continue Robespierre, le décret sublime et immortel où les grandes vérités de la nature sont reconnues, aurait été pour ainsi dire révoqué, et les scélérats triomphaient. Il accusa ensuite les mêmes hommes d'avoir machiné pour que le club des Jacobins ne se prononçât pas en cette circonstance. L'adresse de Julien fut votée, toutefois avec une modification proposée par Robespierre lui-même. Il y était dit, d'après Rousseau, qu'il fallait bannir de la République tous ceux qui ne croiraient pas à la Divinité. « Ce principe, dit Robespierre, ne doit pas être adopté ; ce serait inspirer trop de frayeur à une multitude d'imbéciles ou d'hommes corrompus. Je ne suis pas d'avis qu'on les poursuive

tous, mais seulement ceux qui conspirent contre la liberté. Je crois qu'il faut laisser cette vérité dans les écrits de Rousseau, et ne pas la mettre en pratique. (Journal de la Montagne, n. 25, du 5e volume.) Cette discussion est un des faits qui prouvent que la société des Jacobins était travaillée par un parti contraire à Robespierre. La présidence de Fouché sortit de ces intrigues, vingt-deux jours après la séance que nous venons d'analyser (6 juin 18 prairial).

Le 17 mai (28 floréal) la Convention reçut en ces termes la nouvelle de la révolte et du châtiment de Bedouin :

Maignet, représentant du peuple, délégué dans les départemens des Bouches-du-Rhône et de Vaucluse, à la Convention nationale.

⚫ C'est au moment où la République française porte l'effroi sur tous les trônes, que l'infame commune de Bedouin, plus audacieuse que tous les despotes, ose se soulever contre la volonté nationale, fouler aux pieds les décrets de la Convention, renverser le signe auguste de notre régénération, l'arbre de la liberté.

› Depuis long-temps Bedouin a manifesté sa haine contre la révolution; cinq commissions successives y ont été envoyées pour punir les crimes des scélérats, mais le germe aristocratique y a toujours fécondé et produit de nouveaux forfaits.

> › Située au pied du mont Ventoux, entourée de collines, entrecoupée de défilés nombreux, cette contrée présentait tout ce qu'il fallait pour former une nouvelle Vendée.

› Il ne faut pas en douter, tel était le projet, puisque ces brigands ont, dans leur coup d'essai, été aussi loin que l'ont fait au milieu de leurs plus grands succès les scélérats qui les ont précédés.

› Aussitôt que j'ai appris cet attentat horrible contre la majesté du peuple, j'ai envoyé trois cents hommes du quatrième bataillon de l'Ardèche, qui dans toutes mes épurations civiques

m'a si bien secondé. J'ai fait enchaîner prêtres, nobles, parens d'émigrés, autorités constituées.

» J'aime à croire que je pourrais trouver quelques individus qui, pénétrés de l'horreur du crime commis dans cette commune, s'empresseraient de soustraire leurs noms à l'infamie et indiqueraient les coupables; mais un silence absolu ne me prouve que trop qu'ils ont tous participé au crime.

» Alors, ne voyant dans cette commune qu'une horde d'ennemis, j'ai investi le tribunal criminel du pouvoir révolutionnaire pour faire tomber de suite la tête des plus coupables; et j'ai ordonné qu'une fois ces exécutions faites, les flammes fissent disparaître jusqu'au nom de Bedouin,

› Puissent périr ainsi tous ceux qui oseront braver la volonté nationale et méditer de nouveaux complots contre la liberté française !

» Salut et fraternité.

Signé MAIGNET.»

La Convention approuva la conduite du représentant du peuple Maignet, ordonna l'insertion de sa lettre au Bulletin, et la renvoya, pour le surplus, aux comités de sûreté générale et de salut public.-Maignet fut plusieurs fois attaqué, après le 9 thermidor, notamment à la séance du 6 janvier (17 nivose) 1795, pour sa conduite à l'égard de Bedouin, Nous extrairons de l'attaque et de la défense les pièces qui présentent quelque intérêt, et nous les réunirons à celles que renferment sur le tribunal révolutionnaire d'Orange, autre grief contre Maignet, les papiers trouvés chez Robespierre. Ces pièces seront du nombre des documens complémentaires dont nous ferons suivre l'histoire du 9 thermidor.

Après la lecture de la lettre de Maignet, la Convention entendit un rapport sur une pétition qui lui avait été présentée au nom de Gamain, le 27 avril (8 floréal), et dans laquelle l'ex-serrurier de la cour se disait avoir été empoisonné par Louis XVI. Nous devoir recueillir et la pétition et le rapport.

avons cru

» Pétition de Gamain. François Gamain, serrurier des cabinets et du laboratoire du ci-devant roi, et depuis trois ans mem

bre du conseil général de la commune de Versailles, expose que dans les premiers jours de mai 1792, il reçut l'ordre de se transporter à Paris. A peine y fut-il arrivé, que Capet lui ordonna de pratiquer une armoire dans l'épaisseur d'un des murs de son appartement, et de la fermer d'une porte de fer, opération qui ne fut achevée que le 22 du même mois, et à laquelle il a procédé en sa présence. Aussitôt cet ouvrage fini, Capet apporta lui-même au citoyen Gamain un grand verre de yin, qu'il l'engagea à boire, parce qu'effectivement il avait très-chaud.

› Quelques heures après qu'il eut avalé ce verre de vin, il fut atteint d'une colique violente, qui ne se calma qu'après qu'il eut pris une ou deux cuillerées d'élixir, qui lui firent rendre tout ce qu'il avait mangé et bu dans la journée. Il s'en est suivi une maladie terrible qui a duré quatorze mois, dans lesquels il en a été neuf perclus de ses membres, et qui même dans cet instant ne lui laisse aucun espoir que sa santé se rétablisse assez pour lui permettre de vaquer à ses affaires d'une manière à subvenir aux besoins de sa famille.

? Telle est, citoyens, la vérité des faits qu'il prend la liberté de vous exposer; ils sont constatés par le certificat des officiers de santé qui ont suivi sa maladie.

› Il vous observe en outre que, quoiqu'il ignorât entièrement à quel usage Capet destinait cette armoire, néanmoins il en fit la déclaration, et que c'est lui qui est l'auteur de la découverte des papiers intéressans qu'elle renfermait.

› Il attend de vous, législateurs, que vous voudrez bien prononcer sur la pension qu'il espère, après vingt-six ans de service et les sacrifices qu'il a faits; son espoir est d'autant plus fondé, que le mauvais état de sa santé ne lui laisse aucun moyen de subsistances.

Peyssard, au nom des comités des secours publics et de liquidation. Citoyens, vous avez chargé vos comités des secours publics et de liquidation de vous faire un rapport sur la pétition du citoyen François Gamain, serrurier de Versailles; je viens en leur nom remplir l'obligation que vous leur avez imposée.

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