Page images
PDF
EPUB

CONVENTION NATIONALE.

Présidence de Carnot.

Rapport sur les moyens d'extirper la mendicité, et sur les secours que doit accorder la République aux citoyens indigens, fait par Barrère, au nom du comité de salut public, dans la séance du 22 floréal.

< Citoyens, je viens exciter de nouveau votre patriotisme et vous rappeler le plus saint de vos devoirs.

> Je dois vous parler des indigens dont le spectacle afflige encore la République.

» Il y a peu de jours, vous applaudissiez à ces paroles : « Les malheureux sont les puissances de la terre; ils ont le droit de parler en maîtres aux gouvernemens qui les négligent. Ces principes sont éversifs des gouvernemens corrompus; ils détruiraient le vôtre si vous le laissiez corrompre. »

› Les comités de salut public et de sûreté générale qui ont publié cet axiome terrible devant les représentans du peuple, ne doivent pas attendre que le peuple leur en reproche la stérile publication, ou l'inexécution des devoirs qu'il leur impose. Aussi le comité vient vous parler aujourd'hui des indigens: à ce nom sacré, mais qui sera bientôt inconnu à la République, il compte sur vos efforts à le faire oublier.

> Tandis que le canon gronde sur toutes nos frontières, un fléau redoutable, la lèpre des monarchies, la mendicité, fait des progrès effrayans dans l'intérieur de la République. La propagation de cette maladie politique et morale, n'a pas de principe plus actif que la guerre, d'agens plus dangereux que les factions, et de moyens plus puissans que le désordre des affaires publiques, et de perpétuité plus assurée que dans l'indifférence du législateur. Eh bien, ce sera une belle époque pour la Convention d'avoir aboli la mendicité au milieu des fureurs de la guerre.

› La mendicité est une accusation ambulante, une dénonciation vivante contre le gouvernement, qui s'élève tous les jours au milieu des places publiques, du fond des campagnes, et du

sein de ces tombeaux de l'espèce humaine, décorés par la monarchie du nom d'hôtels-Dieu et d'hôpitaux.

» Cependant la mendicité est incompatible avec le gouvernement populaire. Ce mot honteux de mendiant ne fut jamais écrit dans le dictionnaire du républicain, et le tableau de la mendicité n'a été jusqu'à présent sur la terre que l'histoire de la conspiration des propriétaires contre les non-propriétaires.

› Laissons à l'insolent despotisme la fastueuse construction des hôpitaux pour engloutir les malheureux qu'il a faits, et pour soutenir momentanément des esclaves qu'il n'a pu dévorer. Cette horrible générosité du despote aide encore à tromper les peuples et à les tenir sous le joug. Quand les mendians se multiplient chez le despote, quand ils lui choquent la vue ou qu'ils lui donnent quelque inquiétude, des maréchaussées, des édits, des prisons sont sa réponse aux besoins de l'humanité malheureuse.

Que les orgueilleuses monarchies fassent de loin en loin quelques réglemens sur la mendicité, plutôt pour la punir que pour la soulager, plutôt pour en perpétuer la dépendance que pour en faire disparaître les dangers, cela convient au gouvernement d'un seul. Les mendians toujours isolés et naturellement lâches, parce que ce vil métier avilit l'ame et flétrit le courage, les mendians isolés ne lui inspirent pas d'effroi; les mendians, dévorés par le besoin ou par la crapule, jetés ou fondus dans les hôpitaux, ne donnent au monarque ni regrets ni remords; mais dans une République, rien de ce qui regarde l'humanité ne peut lui être étranger: tout ce qui peut établir la dépendance d'homme à homme y doit être proscrit; le travail doit être honoré; l'enfance accueillie, élevée; la vieillesse respectée et nourrie; l'infirmité soulagée et guérie.

› Là où le cœur du citoyen palpite pour une patrie, les vagissemens de l'enfant abandonné appellent cette même patrie à son secours; homme, il sollicite du travail; infirme, il implore la bienfaisance nationale; vieux, il a droit au repos, aux égards et aux secours publics; ils doivent embrasser les générations qui commencent et celles qui finissent.

› Ce n'est pas assez pour le peuple d'abattre les factions, de saigner le commerce riche, de démolir les grandes fortunes; ce n'est pas assez de renverser les hordes étrangères, de rappeler le règne de la justice et de la vertu, il faut encore faire disparaître du sol de la République la servilité des premiers besoins, l'esclavage de la misère et cette trop hideuse inégalité parmi les hommes, qui fait que l'un a toute l'intempérance de la fortune, et l'autre toutes les angoisses du besoin.

› Le despotisme avait l'ostentation et le luxe du riche qui fait l'aumône: la République doit avoir l'abondance et l'obscurité de la nature, qui répard chaque jour ses bienfaits.

Le monarque trompait la misère en lui donnant des administrateurs et des palais; la Convention doit faire disparaître l'indigence, en distribuant des secours dans les domiciles peu fortunés.

» C'est sur l'humble chaumière que vous devez surtout porter aujourd'hui vos regards; c'est sur les habitans des campagnes, pauvres et industrieux, qui ne trouvent que le travail après le travail, le dédain dans l'infirmité et l'oubli dans la vieillesse, que la rosée républicaine doit se répandre.

» Qu'ont fait jusqu'à ce moment les législateurs pour la misère des campagnes? Quelles institutions ont-ils faites pour ces laboureurs domestiques, ces ouvriers agricoles, ces artisans rustiques parvenus à la vieillesse ? Quelle dette la République at-elle payée à ces créanciers de la nature et de la société, qui ont fertilisé l'une pour enrichir l'autre ? Le silence morne des campagnes et les larmes rares de quelques vieillards nous répondent.

› Citoyens, jamais la fortune publique n'a été élancée au point où elle est dans ce moment. Riche de liberté, riche de population, riche de domaines, la République calcule, pour l'amélioration du sort des citoyens peu fortunés, les milliards que les riches comptaient pour la contre-révolution. Ceux qui ont voulu assassiner la liberté l'ont enrichie; c'est à la Convention à réparer les injustices des lois monarchiques, à faire disparaître la

grande inégalité des fortunes, à effacer le nom de pauvre des annales de la République, à bannir la mendicité par la bienfaisance, et à rappeler fortement tous les citoyens aux droits de l'humanité et aux devoirs du travail.

› Vous avez déjà posé une grande base pour l'abolition de l'in. digence dans le décret du 26 ventose, présenté par le comité; vous avez demandé à tous les agens nationaux près les communes, le tableau des citoyens qui sont sans propriété aucune, et l'état des biens nationaux encore invendus, dont la division en petites parties, en forme de ventes nationales, peut rattacher tous les citoyens à la propriété et à la patrie, et restituer à la terre des bras oisifs et robustes, et des familles perdues ou amollies dans les ateliers et dans les villes.

[ocr errors]

Déjà les comités de sûreté générale et de salut public ont reçu, en vertu du décret des 8 et 15 ventose, environ quarante mille décisions des comités révolutionnaires sur les détenus, et ils se flattent qu'avant six semaines ils vous feront connaître le tableau nominatif de la population indigente dans toute la République, pour lui porter des secours en propriété ou en bienfaisance animale.

» Les décrets du mois de ventose ont voulu faire tourner la révolution au profit de ceux qui la soutiennent, à la ruine de ceux qui la combattent, et soulager les malheureux avec les biens des ennemis de la République ; aussi cette loi porte que toutes les communes de la République dresseront un état des patriotes indigens qu'elles renferment, avec leurs noms, leur âge, leur profession, le nombre et l'âge de leurs enfans.

» Une quantité considérable de municipalités sont en retard, et la plupart de celles qui ont satisfait au décret l'ont fait d'une manière imparfaite; nous les accusons ici hautement, au nom de l'indigence; et si cette accusation solennelle n'était pas entendue de chaque municipalité, et ne retentissait pas au milieu de chaque commune, la loi, forte de la voix et des droits du malheur, viendrait les punir de leur indifférence coupable envers les indi

gens.

Le premier travail dont s'occupe le bureau des indigens est de classer tous les différens états, de les analyser, et de présenter à la Convention nationale une première masse des ind gens de la République. Ce travail serait peu satisfaisant et ne remplirait pas le vœu de cette loi aussi bienfaisante et aussi digne d'une grande nation, si le comité ne venait se plaindre à cette tribune des imperfections et des négligences qu'il présente.

» On ne peut ajouter une foi aveugle à tous ces états plus ou moins irréguliers; il ne faut pas qu'une partie des biens des ennemis de la révolution tombe dans des mains qui ne seraient point assez pures pour recevoir de pareils bienfaits, ou qu'elle soit distribuée à des citoyens qui ne peuvent en jouir au préjudice des véritables indigens. Plusieurs lettres des agens nationaux du district témoignent quelques craintes à ce sujet. Les uns dénoncent la mauvaise volonté des municipalités en retard; les autres, leur ignorance, et d'autres enfin, des bruits répandus par des malveillans pour faire croire aux habitans des campagnes que le but de ces états est de faire connaître les indigens, pour les transporter à la Vendée, ou pour les mettre en état de réclusion. Jamais l'aristocratie, dans sa furieuse agonie, n'employa des moyens plus perfides pour dénaturer les intentions bienfaisantes et paternelles de la Convention nationale dans ce décret qui l'immortalise. Citoyens indigens, êtres sacrés pour le législateur d'un peuple libre, non, ce n'est point à vous de parler de déportation et de la craindre; elle ne convient qu'à ceux qui calomnient la Convention, qu'à ceux qui n'ont jamais eu d'entrailles ni des richesses pour le pauvre, et qui veulent en périssant exaspérer sa misère ou désespérer son courage.

› Une instruction adressée aux agens nationaux des districts sera très-efficace pour détruire ces rêves sinistres de l'aristocratie expirante.

On chargera ces derniers de nommer des commissaires patriotes et éclairés dans les différens cantons de leurs arrondissemens; ceux-ci s'y transporteront, presseront la confection de tous ces états dans un délai fatal, sous la responsabilité des municipalités :

« PreviousContinue »