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reçoit et comprend, selon son intelligence, être soumis à un principe, c'est en définitive, n'être soumis qu'à soi-même. Un principe n'a réellement, dans les sociétés qui le reconnaissent, d'autre valeur que celle des hommes qui le savent le mieux et qui le pratiquent le mieux. Ainsi la morale chrétienne, proclamée par les matérialistes eux-mêmes comme le principe social le plus parfait, serait une vaine et stérile abstraction, si elle n'était une loi révélée par Dieu, conservée et enseignée par les leçons ét par les exemples des hommes de bien qui sont en même temps des hommes de génie, comprise et pratiquée par la masse des honnêtes gens.

On conçoit fort bien pourquoi les Montagnards se sont accordés à reprocher à Robespierre d'avoir de l'orgueil. Hommes d'un talent médiocre pour la plupart, et d'une probité plus que suspecte, le pouvoir dont les investissait le titre de représentant du peuple, les avait enivrés. Aussi, lorsqu'il arrivait à quelquesuns d'oublier leur qualité de représentaus, pour ne faire attention qu'à leur pauvre et méprisable individualité, devaient-ils entrer en fureur? Il était tout simple que Robespierre, qui connaissait leur ignorance et leurs prétentions, qui savait les scandales de la vie privée, les prévarications, les crimes d'un grand nombre, laissât percer devant ces personnages le profond dégoût qu'ils lui inspiraient, et qu'il prît avec eux le ton d'un supérieur. C'est l'orgueil démesuré des Montagnards qui leur en a fait trouver chez Robespierre. Ni la facilité, ni la complaisance avec laquelle nous avons vu ce dernier parler sur lui-même, dans les deux journaux qu'il publia, dans la tribune de la Convention, et dans celle des Jacobins, ne sont une preuve d'orgueil : ce sont, là à notre avis, les indices de la vanité la plus ordinaire, et nullement ceux de l'orgueil. Bien loin de marquer un caractère haut et dédaigneux, le besoin et l'habitude de se défendre sont, au contraire, le signe d'un sentiment d'infériorité. Si Robespierre avait eu de l'orgueil, il se serait cru pouvoir et dictateur, et il aurait agi imperturbablement comme tel. Or, toute sa conduite prouva qu'il crut à l'abstraction qui s'appelait Convention nationale, et

qu'il borna son ambition à être membre de cette assemblée. Il en donna une bien grande démonstration lorsque, au 9 thermidor, il condamna formellement l'insurrection tentée en sa faveur, et déclara à ses amis que son intention était de paraître au tribunal révolutionnaire. Quant à l'humeur sombre et farouche de Robespierre, cette qualification, de la part de ses ennemis, veut dire simplement qu'il ne faisait pas bonne mine aux fripons. Ceux qui ont vécu dans son intimité, louent avec enthousiasme la pureté de ses mœurs, sa bonté, son affabilité, sa douceur; les qualités que ses amis lui attribuent expliquent seules, en effet, ce cortège de dévotes dont on a voulu lui faire un ridicule. Certes celui qui inspirait un zèle si ardent pour sa cause, parmi ce qu'il y avait à Paris de femmes plus morales et plus dévouées, devait être un homme bon et moral. A la fin d'un siècle qui avait affiché, enseigné le plus grand mépris pour les femmes, qui s'était plu à les dépeindre comme des êtres frivoles, passionnés pour le plaisir, naturellement dépravés et corrompus, et cela afin d'autoriser toutes les séductions et toutes les entreprises criminelles que l'on tenterait contre elles, celui qui estimait et qui respectait encore les femmes, celui qui croyait à leur valeur morale et à leur vertu, était certainement un honnête homme. On dit trivialement, mais avec beaucoup de raison, que la question de femmes et la question d'argent jugent la probité des individus. Or, le témoignage à peu près uniforme de l'histoire atteste que Robespierre se conserva pur à l'égard de ces deux questions, tandis qu'elle nous montre ses ennemis dissipant dans des orgies, avec des filles de joie et des femmes corrompues, produit des vols qu'ils faisaient à la France.

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Deux choses manquèrent à Robespierre pour qu'il fût le chef de la révolution, et pour qu'il la fit aboutir à des conséquences d'ordre et d'organisation. Élève de Rousseau, le système philosophique et politique qu'il voulait appliquer avait cela de commun avec tous les systèmes émanés du dix-huitième siècle, que non seulement il était anti-national et anti-français, puisqu'il brisait avec la tradition entière, mais encore anti-social par sa base

même. Ainsi tous les philosophes de cette époque entreprenaient sérieusement de reconstituer la France à priori, c'est-à-dire sans tenir aucun compte de son passé, et d'en faire une société nouvelle fondée sur la théorie des droits naturels, c'est-à-dire sur la négation d'un devoir social antérieur à tous les droits individuels. Au vice fondamental d'un tel système, et dont la première conséquence ruinait la morale, car elle y figurait comme une conception humaine, et non pas comme une loi révélée, il faut ajouter que Robespierre n'était pas un homme d'action. Voilà, selon nous, les deux graves défauts qui le rendirent impropre à finir la révolution.

Nous avons dit ailleurs, pourquoi les divers partis se sont entendus à jeter sur sa mémoire tous les crimes qu'ils avaient commis eux-mêmes. On a déjà pu se convaincre que sa part d'influence fut toujours disputée et toujours restreinte. Nous allons le voir maintenant renoncer à coopérer aux actes du pouvoir, parce que des volontés contraires à la sienne y déci dent souverainement de tout. C'est donc sur la responsabilité de leurs véritables auteurs, sur la responsabilité d'un Collot, d'un Billaud, d'un Fouché, d'un Carrier, d'un Tallien, etc., que doivent peser les œuvres que l'on a si faussement et si injustement attribuées à Robespierre. Il n'a pas de blame à recueillir pour le mal qu'il lui a été impossible d'empêcher, et il mérite d'être loué pour le bien qu'il a fait.

Napoléon, qui avait été l'ami de Robespierre, jeune, et dont le premier mouvement, à la nouvelle du 9 thermidor, s'il faut en croire les Mémoires de mademoiselle Robespierre, aurait été de marcher contre la Convention; Napoléon, qui ne voulait pas, ou n'osait pas rendre entièrement justice au chef jacobin dans la crainte de n'être pas compris, disait cependant de lui:

• Robespierre était un fanatique, un monstre, mais il était incorruptible et incapable de voter ou de causer la mort de qui que ce fût par inimitié personnelle ou par le désir de s'enrichir. Il était un enthousiaste, mais il croyait agir selon la justice, et il ne laissa pas un sou après sa mort. Sous quelques rapports on peut

dire que Robespierre était un honnête homme. On lui imputa tous les crimes commis par Hébert, Chaumette, Collot-d'Herbois et autres. Marat, Billaud-Varennes, Fouché, Hébert, et plusieurs autres étaient infiniment plus féroces que lui. » (O' Méara, tome II, p. 134. )

· Les terroristes et leur doctrine ont survécu à Robespierre, et si leurs excès ne se sont pas continués, c'est qu'il leur a fallu plier devant l'opinion publique. Ils ont tout jeté sur Robespierre; mais celui-ci leur répondait, avant de périr, qu'il était étranger aux dernières exécutions, que depuis six semaines il n'avait pas paru aux comités. Napoléon disait qu'à l'armée de Nice, il avait vu de longues lettres de Robespierre à son frère, blamant les horreurs des commissaires conventionnels, qui perdaient, disait-il, la révolution par leur tyrannie et leurs atrocités, etc. etc. Cambacérès, qui doit être une autorité sur cette époque, observait l'empereur, avait répondu à l'interpellation qu'il lui adressait un jour sur la condamnation de Robespierre :

Sire, cela a été un procès jugé, mais non plaidé ; › ajoutant que Robespierre avait plus de suite et de conception qu'on ne pensait; qu'après avoir renversé les factions effrénées qu'il avait eu à combatire, son intention avait été le retour à l'ordre et à la modération. « Quelque temps avant sa chute, ajouta Cambacé» rès, il prononça un discours à ce sujet, plein des plus grandes beautés. On ne l'a point laissé insérer au Moniteur, et toutes › les traces nous en ont été enlevées. › (Mémorial de Ste-Hélène, t. 1, p. 423 et suivantes.)

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Nous entrerons maintenant dans l'histoire des dernières luttes soutenues par Robespierre pour arracher le gouvernement de la France aux passions et aux intérêts qui s'en étaient emparés. Son plus fidèle auxiliaire fut la Commune de Paris, si remarquable par le bon esprit, l'ordre et la modération de sa conduite depuis que Payan l'aîné (29 mars - 9 germinal) occupai le poste d'agent national, et depuis que Fleuriot, le 2! floréal (10 mai), avait remplacé Pache (1) dans les fonctions de maire. La (1) Pache avait été mis en état d'arrestation. (Note des auteurs.)

société des Jacobins combattit aussi avec Robespierre; mais là le terrain lui fut disputé, et il ne dut qu'à de longs et pénibles efforts de rallier le club dans le même sentiment.

Nous suivrons les événemens dans leur ordre chronologique. Le 7 mai (18 floréal), le rapport que Robespierre avait fait à la Convention, fut lu le soir aux Jacobins, où il provoqua de fréquentes acclamations. Lequinio en parla avec les plus grands éloges. A la séance du lendemain, Brival rappela que Lequinio, qui avait reconnu la sublimité des principes que Robespierre avait développés dans son rapport, avait précédemment publié deux ouvrages, le Bonheur et les Préjugés détruits, dans lesquels il s'efforçait de prouver qu'il n'existait point d'Etre Suprême, et qu'après la mort de l'homme tout était détruit. Cette dénonciation fut accueillie par des murmures et par l'ordre du jour.

A la séance de la Convention du 8 mai (19 floréal), Couthon fit décréter, qu'en exécution de la loi sur la police générale de la République, le tribunal révolutionnaire de Paris connaîtrait exclusivement de tous les crimes contre-révolutionnaires; qu'en conséquence, les tribunaux et commissions révolutionnaires établis dans quelques départemens par les représentans du peuple, seraient supprimés; que le comité de salut publie pourrait néanmoins conserver ceux qu'il jugerait nécessaires. Le décret contenait en outre plusieurs articles relatifs à la compétence des tribunaux criminels. Le 11 mai (22 floréal), Bézard fit adopter un décret interprétatif des articles 14 et 15 de la loi du 30 vendémiaire (21 octobre), sur les prêtres déportés : il était ordonné par ce nouveau décret aux prêtres infirmes ou sexagénaires, sujets à la réclusion de se transporter dans deux décades au chef-lieu de leurs départemens respectifs, pour être reclus, sous peine de mort après ce délai. Ce rapport émanait du comité de législation. Le même jour Barrère présenta les moyens d'extirper la mendicité. Voici ce travail :

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