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Si quelque chose militait pour la justification de l'accusé, et qu'il n'eût rien à opposer, il répondait: Laissons juger cela par le tribunal. S'il votait sans incertitude pour le tribunal, il disait alors: Bonne déconfiture! S'agissait-il d'arrêter ou de laisser en prison, il disait : Bonne prise. S'agissait-il d'une liberté : Faisons grâce, disait-il. Il mettait fort peu de temps à ses rapports, et n'appor tait que très-rarement les pièces; quand il avait adopté un parti quelconque, il était fort entêté. Amar se formait une cour de belles femmes, tous les matins son antichambre et son salon re présentait un sérail; les préférées entraient dans la chambre à coucher; celle-ci présentait son placet, celle-là offrait son bouquet; il promettait à l'une, il remettaitjà l'autre ; et si quelque importun se présentait au sérail, il se fâchait, et l'emmenait sur le carré pour le faire partir plus tôt. J'ai souvent ri de ces scènes; tantôt mielleux, tantôt grave, tantôt sensible, tantôt badin, Amar était curieux dans son genre; il savait bien user de ses avantages, et se les ménager; il se méfiait des hommes et se faisait suivre partout; il s'était comme approprié la voiture du comité; il craignait toujours d'être assassiné. Quand il signait un ordre d'arrestation, et surtout une traduction au tribunal, il manifestait une grande joie; il tenait les propos les plus durs et les plus sanguinaires. Il est inoui le nombre des personnes que Jagot et Amar ont ait arrêter à l'insu du comité dans les départemens, ainsi que par les comités révolutionnaires de Paris, au moyen de l'abus de la correspondance. Amar et Jagot étaient les ministres du comité; ils étaient d'une rigueur étonnante, et menaçaient toujours de la guilbtine,

› Vadier est connu pour être orgueilleux, barbare et lâche; je ne parlerai pas de ce qu'on a dit de lui, mais je rapporterai les traits qui me l'ont fait connaître, et qu'on ne lui a pas encore reprochés. Une certaine séance de nuit du comité fut suspendue queques instans pour manger un morceau : c'était l'habitude de metre des provisions dans un cabinet à côté du lieu des séances. Il y avait eu dans la soirée une grande quantité de guillotinés Louis du Bas-Rhin dit; Cela va bien, les paniers s'emplis

1794. sent. — Alors, répondit Vouland, faisons provision de gibier. Mais, dit Vadier à Vouland, je vous ai vu sur la place de la Réwolution, près de la guillotine. J'ai été rire de la mine que ces gueux-là font à la fenêtre.-Oh! dit Vadier, le plaisant passage que le vasistas ! Íls vont là éterauer habilement dans le sac. Je m'y amuse, j'y prends goût, j'y vais souvent. - Allez-y demain, reprit Amar, il y aura grande décoration ; j'ai été aujourd'hui au tribunal. Allons-y, dit Vadier. J'irai pour sûr, repartit

Vouland.

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› Je demeurai transi comme si je m'étais trouvé entre un ours, on tigre et une panthère; je me tátais moi-même pour m'assurer que ce n'était point un rêve. Je réfléchis ensuite sur les malheurs que nous éprouvions d'avoir ces anthropophages pour gouvernans. A peine avait-on prononcé le nom d'un suspect, ou dénoncé, l'expression de Vadier était : Tête à marquer. Il n'aimait pas les explications; il affectait surtout un grand zèle révolutionnaire. Les circonstances, disait-il, sont impérieuses; il faut des exemples, coupons des tétes. Il disait d'autres fois : Nous avons besoin d'argent, ce sont des confiscations indispensables : en voilà assez, allons, mon avis est d'envoyer au vasistas. Il était caustique, impérieux, colérique, rancuneux, soupçonneux. Il plaidait comme une partie intéressée contre l'admission des moyens justificatifs; il semblait l'adversaire né de tous les hommes. Il ne craignait que les Jacobins ; le moindre signe de leur désir devenait pour lui un objet de fanatisme dont il était aveuglé. Sa confiance dans Taschereau l'a précipité dans de grands écarts.

› Vouland, homme colérique, méchant, cruel, ajournait toutes les demandes en liberté ; il n'en signait pas le tiers. Orgueilleux, susceptible autant que féroce et barbare, il allait stimuler le tribunal révolutionnaire, et chicanait sur tout. Il se levait sur la pointe du pied, sautait en l'air, frappait à coups de poing sur la table quand il était contrarié. Il n'avait point d'autre avis que d'arrêter ou de traduire au tribunal révolutionnaire. En volant dans les délibérations, il s'exprimait ainsi : Tête rasée, têté grippée. Il avait l'air d'un pantin; il ne savait jamais se contenir.

>> Lebas suivait l'impulsion des autres. Je ne pourrais lui reprocher que son intimité avec Robespierre, qu'un caractère farouche, ajournant les mises en liberté, exigeant dans les faits justificatifs. Pour se débarrasser, il disait : Renvoyons, renvoyons à la piscine des carmagnoles. C'est ainsi qu'il désignait le tribunal révolutionnaire.

» David était grossier, ordurier dans ses expressions, brusque dans l'émission de ses opinions; il menaçait toujours le comité de Robespierre, des Jacobins, du comité de salut public. Son mot favori était: Broyons, broyons du rouge. Il était l'espion de Robespierre. Souvent on se cachait de lui lorsqu'il s'agissait du comité de salut public. Il était toujours de l'avis le plus dur. Lorsqu'il avait de la haine contre quelqu'un, il l'eût volontiers condamné à mort, exécuté lui-même.

› Louis du (Bas-Rhin) était un hypocrite non moins cruel que les autres; il vous écoutait, vous répondait mielleusement, et vous déchirait lorsque vous étiez sorti. Ses signatures sur les mandats de traduction étaient toujours jointes à celles de Vadier, de Vouland et d'Amar. Il a plus participé que tous les autres à la tyrannie. Il enchérissait sur certaines expressions des arrêtés; loin d'être éloigné des mesures de rigueur, il était le régulateur. Si une opinion juste ou sensée était manifestée, il se levait pour la combattre. It employait des puérilités; les si, les car, les mais, les pourquoi, exigeaient selon lui l'envoi au tribunal. Il affectait un certain raisonnement, un sérieux glacé, une gravité qui en imposaient, et ont nombre de fois trompé les autres et déterminé la traduction au tribunal. Il promettait beaucoup aux parens des détenus, mais ne tenait jamais parole. Il avait la causticité d'un plaideur; il soutenait, comme par besoin, l'application des peines. Son air simple n'était que de l'orgueil. Il rédigeait le plus d'arrêtés, il était le plus assidu, travaillait beaucoup, et se montrait fort sensible lorsqu'on revisait ses travaux. Quand il avait promis à quelqu'un, surtout à des députés, il ne signait point pour ne pas essuyer de reproches. Il préparait les arrêtés, les écrivait sur papier libre, les envoyait au secrétariat, où ils étaient

expédiés; il revenait ensuite à la signature, mais il savait s'en dispenser. J'ai souvent fait ces remarques.

› Les deux tiers des arrêtés tyranniques étaient présentés par Louis (du Bas-Rhin), Amar et Jagot; et certes les reproches que mérita cè comité appartenaient bien à ces trois despotes. Ils présentaient isolément, à chaque membre qui survenait, leurs arrêtés discutés ou non. Il ne fallait que trois signatures pour faire arrêter et renvoyer au tribunal révolutionnaire; Héron, Jagot, Amar et Louis avaient beau jeu. Héron surprenait aisément, et les autres, comme membres du comité, n'éprouvaient pas de difficultés. Chacun prononçait arbitrairement l'arrestation ou la traduction de celui qu'il voulait, sans discussion ni délibération; chacun s'entresignait sans lecture, sans explication, les mandats qu'on lui présentait. Il n'y avait de discussion que sur des mesures locales, ou des affaires majeures, lorsqu'elles concernaient plusieurs individus. »

L'auteur des mémoires auxquels nous avons emprunté les détails qu'on vient de lire, était bien placé pour voir. Agent du comité de sûreté générale, Sénart raconte ce qu'il a entendu dans l'intimité des membres de ce comité. Il produit les renseignemens qu'il avait puisés dans des pièces dont il avait été chargé de faire le dépouillement, et dont presque toutes ont disparu par les soustractions des intéressés. Son livre, dirigé principalement contre Tallien, fut écrit après le 9 thermidor, et il était destiné, comme l'annonce la nature des accusations qui y sont renfermées, à une publication immédiate. Sénart mourut à Tours en 1796, laissant ses Mémoires manuscrits. Il les légua à d'Ossonville, agent secret du comité de sûreté générale, qui les garda en portefeuille jusqu'en octobre 1823, époque où ils furent publiés par M. Alexis Dumesnil. L'éditeur donne, dans un avertissement, le texte même du marché passé entre lui et M. d'Ossonville. Voici cet acte :

Je cède et transporte la propriété pleine et entière d'un manuscrit de Sénart, employé au comité de sûreté générale, écrit de sa propre main. Signé D'OSSONVILLE. ›

La haute probité de M. A. Dumesnil suffit à établir l'authenti

T. XXXIII.

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cité du livre dont il a été l'éditeur. Un pareil témoignage sépare les Mémoires de Sénart de cette foule de livres apocryphes du même genre par lesquels des spéculateurs ont exploité, pendant les dernières années de la restauration, la curiosité et la crédulité publiques.

Sénart ne reproche à Robespierre que son caractère farouche et ambitieux; du reste il n'articule contre lui aucun grief positif. On a dû remarquer la même chose dans l'article qui concerne Lebas, parmi les réflexions plus haut transcrites sur les membres du comité de sûreté générale. Nous devons faire observer, à l'égard de ce dernier, qu'il était presque toujours en mission, et qu'il ne participa que bien rarement aux œuvres du comité. On verra ce qu'il faut penser de son caractère farouche, lorsqu'on lira sa correspondance privée, document inédit que nous ajouterons aux pièces complémentaires sur le 9 thermidor.

Les Montagnards qui trahirent la cause de Robespierre le 9 thermidor, et dont la défection fut la seule cause de cette journée, allèguent, entre autres motifs de leur démarche, que l'orgueil du chef des Jacobins les avait tous humiliés ou froissés. Ils ajoutent que ses idées religieuses, et notamment son discours du 7 mai, ainsi que la fête du 10 juin, avaient achevé de le perdre dans leur esprit. Tous ou presque tous étaient matérialistes, et, disaient-ils, ils n'avaient pas condamné Louis XVI à mort pour se donner un maître. Tel est le sentiment que nous avons recueilli, tant dans les écrits des Montagnards qui ont publié des Mémoires, que dans la conversation du petit nombre de ceux que nous avons pu consulter. La portée toute négative de la Convention nationale ne saurait être mieux caractérisée. Il n'y avait dans cette assemblée qu'un principe de destruction.

Le sentiment qui gouverna la Convention, à très peu d'exceptions près, cette égalité naturelle et individuelle, qui n'est autre chose que l'orgueil humain poussé jusqu'à l'absurde, mit en faveur alors une maxime que nous entendons quelquefois répéter de nos jours, savoir, que les principes sont tout, et que les hommes ne sont rien. Or, tout principe étant une pensée que chacun

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