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des définitions 1; quand il substituait aux lieux communs, des notions précises sur le juste et l'injuste, sur le droit naturel et sur les lois fondamentales des sociétés ; quand il exigeait de l'orateur tant de connaissances variées sur l'histoire nationale et étrangère, sur les élémens et les conditions du souverain bien, sur les finances, sur l'état militaire, sur les approvisionnemens, sur l'importation et l'exportation, et sur les différentes formes de gouvernement', il est certain qu'il créait un type de perfection que Démosthène lui-même avait à peine réalisé, et qu'il écartait à jamais les prétentions des rhéteurs à la gloire de l'éloquence. D'ailleurs, il les attaquait encore d'une autre manière en faisant tout dépendre de l'usage qu'on savait faire de la dialectique, et en révélant cette idée si simple et si lumineuse, que la méme faculté qui aide à découvrir le vrai, aide aussi à découvrir le vraisemblable".

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4. Ibid., ch. 1, § 3, 4. Outre la Rhétorique d'Aristote,

Pour que cette belle théorie pût ètre appliquée dans toute son étendue, il aurait fallu un génie d'une aussi haute portée que celui d'Aristote, avec une autre direction et d'autres circonstances. Mais celles où les Grecs se trouvèrent alors placés, ne furent pas plus favorables à l'éloquence qu'à la poésie et aux beauxarts. Aristote lui-même dit que le goût était déjà corrompu dans les républiques, et comme celui des Asiatiques l'était encore davantage, les conquêtes d'Alexandre ne purent qu'aggraver cette corruption. Des harangues et des panégyriques furent composés dans un style nouveau par des rhéteurs ambulans qui se mirent à cultiver le genre oriental. Un certain Hégésias de Magnésie fut le premier novateur 1. Séduits par l'exemple et par le succès, une foule d'autres marchèrent sur ses traces, et continuèrent jusqu'aux derniers temps de la

il

y eut plusienrs ouvrages du même genre composés vers cette époque; voyez Athen., liv. xv, § 9, et Suidas à l'article Timée.

1. Hegesias... qui princeps induxit stylum asiaticum, attico qui tùm erat corrupto. Strab., lib. xiv.

république romaine cette succession d'orateurs asiatiques dont les œuvres, au jugement de Cicéron, ne convenaient point à la gravité de la vieillesse. Ce fut alors que l'éloquence bannie d'Athènes, après avoir parcouru les îles de l'Archipel, fit le tour de l'Asie-Mineure, où elle s'imprégna tellement et de mœurs et de locutions étrangères, que dégénérant peu à peu de la pureté du style attique, elle désapprit presque à parler. L'emphase et la prolixité furent les deux défauts caractéristiques de cette nouvelle école, qui mit en vogue les mots vides de sens comme complémens de période et moyens d'harmonie . Les orateurs de Carie et de Phrygie ayant à flatter des oreilles plus grossières, se distinguèrent par une diction lourde et surchargée d'embonpoint, tandis que dans le voisinage, Rhodes qui gardait en

1. Brutus, § 99.

2. Loqui pœnè dedisceret, dit Cicéron, ibid., § 13.

3. Apud Asiaticos maximè numero servientes, inculcata reperias inania quædam verba, quasi complementa numerorum. Cic., Orator., § 69.

4. Opimum quoddam et tanquàm adipatæ dictionis genus. Ibid., §8.

core les bonnes traditions avec sa liberté, voyait fleurir dans son sein l'école fondée Eschine.

par

Cette petite république jetait alors plus d'éclat que toute la Grèce continentale, à laquelle Athènes ne servait plus d'ornement. Ses grands orateurs n'étaient plus, leur souvenir même s'affaiblissait avec le renouvellement des générations', et l'éloquence politique, privée d'ailleurs de tous les avantages qui la font fleurir, se réduisait à des harangues modérées qui comportaient une certaine élégance, mais dont la vigueur était bannie comme un vice. La présence d'inquisiteurs macédoniens dans toutes les villes de la Grèce rendit d'abord cette précaution nécessaire'; mais cette empreinte de servitude ne s'effaça pas quand le joug fut brisé; et celui qui contribua le plus à la rendre si durable fut ce Démétrius de Phalère qu'on accuse, avec quelque vraisemblance, d'avoir introduit l'usage de composer des discours sur

1. Cic., de Orat., lib. II, c. xxIII.

2. Voyez sur ces espions un passage curieux de Polybe, vol. III, édit. Schweigh., p. 152.

des sujets imaginaires'. Il est vrai que les éloges dont il a été l'objet ont fait presque oublier cette accusation; et comme ils n'ont pas été démentis par ses compositions oratoires, dont pas une n'a été épargnée par le temps, on s'est habitué sans peine à l'entendre appeler le dernier orateur d'Athènes. Mais cette qualification est l'effet d'une surprise faite à la bonne foi de la critique moderne. L'antiquité, plus sévère, lui reprochait d'avoir le premier fait dégénérer l'éloquence', reproche qui d'ailleurs n'est pas incompatible avec le genre de mérite que lui reconnaissent Cicéron et Quintilien. Le premier ne loue son élégance et sa politesse qu'avec des restrictions assez fortes pour faire comprendre qu'il ne veut signaler en lui que le premier rhéteur de son temps 3. Au reste, quand on rapproche ce qui a été dit des écrits

1. Quintil., lib. II, c. IV.

2. Ibid., lib. C. I.

3. Disputator subtilis, orator parùm vehemens, etc. De Offic.-Non tàm armis institutus quàm palestra... delectabat magis quàm inflammabat. De Claris orator., c. 1x, Orator, c. XXVII.

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