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Quant au tableau des progrès des sciences naturelles qui occupe une assez grande place dans ce volume, je ne l'aurais tracé qu'avec une extrême défiance, si le premier naturaliste de notre époque, M. le baron Cuvier, qui a bien voulu revoir le manuscrit et corriger les épreuves, ne m'avait rassuré par ses conseils et par ses communications bienveillantes.

16 février 1830.

SUR

L'HISTOIRE DE L'ESPRIT HUMAIN

DANS L'ANTIQUITÉ.

CONTINUATION DU SIÈCLE D'ALEXANDRE.

§ II. BEAUX-ARTS.

Au premier aspect, l'histoire de cette mémorable période semble démentir hautement la théorie qui sert de base à ce travail. Les monumens laissés par Alexandre ou provoqués par sa munificence, tant d'artistes et de chefs

II.

d'œuvre dont le souvenir a toujours été inséparable de celui du héros macédonien, lui ont valu sous ce rapport une gloire au moins égale à celle de Périclès, et dire que les beaux-arts n'ont pas fleuri sous son règne, paraît être un démenti donné à l'histoire dans l'intérêt d'un système qui veut que la décadence des divers produits d'imagination, soit simul

tanée.

Mais avant de repousser cette assertion, il faudrait déterminer avec précision l'essence et l'objet des beaux-arts, et surtout distinguer dans leurs progrès les conditions matérielles et les conditions morales. L'effet qu'un monument est destiné à produire, ne tient pas uniquement à la justesse des proportions ou à l'élégance des ornemens : l'ame a besoin d'autre chose pour s'émouvoir et s'exalter; il lui faut un mystère religieux, ou un sentiment patriotique, ou bien encore le souvenir d'une belle action ou d'une belle vie. Quel enthousiasme pouvait exciter dans un spectateur la vue du palais d'or de Néron, avec toute sa magnificence et ses vastes dimensions? et quand le fameux Myron eût été l'auteur du taureau non

moins fameux de Phalaris, aurait-il trouvé pour cela plus d'admirateurs?

Il faut donc chercher dans une sphère plus élevée la principale cause de la noble jouissance que procurent les arts à ceux-là même qui én ignorent les procédés '; et si on reconnaît ensuite qu'à certaines époques de la vie des peuples cette cause a cessé d'agir et cette jouissance d'être sentie, on aura le droit d'affirmer, malgré la régularité, l'élégance et la hardiesse des monumens, qu'ils commencent d'être atteints par la loi commune de décadence. Cela ne veut l'heureuse impuldire pas sion donnée aux arts par le génie d'un grand peuple, doive s'arrêter tout d'un coup. Pour peu qu'il ait sérieusement songé à laisser des traces durables, il peut encore long-temps dissimuler son déclin, en offrant de nouveaux alimens à l'admiration. Assurément le mouvement de décomposition sociale avait commencé avant le règne d'Alexandre; et cepen

que

1. Docti rationem artis intelligunt, indocti voluptatem. Quintil., lib. ix, ch. IV.

dant, depuis sa mort jusqu'à la conquête romaine, que de chefs-d'œuvre furent disséminés par les artistes grecs dans les trois parties du monde ! Ces temples érigés à toutes les divinités dans Alexandrie, ces théâtres, ces gymnases, ces hyppodromes', cette magnificence si vantée des monumens de Séleucie et d'Antioche, ces statues, ces colosses, ces tombeaux, élevés par la reconnaissance ou par la douleur, ne donnaient-ils pas l'idée d'une nation pleine de vie qui supportait encore noblement le poids de sa gloire passée?

Mais les rapports des populations avec les produits des beaux-arts n'étaient plus les mêmes. Ce n'était plus le besoin religieux qui multipliait les temples, et personne ne se plaignait que les trophées de Miltiade l'empêchassent de dormir. Les rois d'Égypte, de Macédoine et de Syrie, rivalisaient de luxe et de magnificence dans les édifices dont ils décoraient leurs principales villes. C'était à la fois un moyen de popularité et une manifestation

1. Arrien, liv. I, ch. II.

2. Polyb., liv. v, ch. LIX.

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