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Démétrius ayant comme neutralisé le terrain sur lequel était assise la modeste cabane de l'artiste '.

Nicomaque fut celui qui tint le plus fidèlement aux anciennes traditions, en ce qu'il traita de préférence des sujets tirés des antiquités mythologiques. Plutarque compare ses tableaux aux poésies d'Homère, à cause du bonheur et de la facilité de l'exécution'.

Mais les élèves de tous ces grands maîtres ne marchèrent de très-loin sur leurs traces, que et une génération se fut à peine écoulée, que déjà les nouveaux produits de l'art avaient un tout autre caractère. Pausias de Sycione mit en vogue les petits tableaux et les portraits d'enfans, qui faisaient son occupation favorite, et il réussit à peindre des fleurs, au point de devenir l'émule de la belle Glycère, qui faisait des couronnes avec beaucoup de grace 3. D'autres peignirent des boutiques de barbier ou de cordonnier, des ânes, des légumes, ou des

1. Elian, Hist. var., lib. xi, c. xli.

2. Vie de Timoléon.

3. Plin., lib. xxxv, c. II.

scènes de la vie domestique. C'était déjà une dérogation à la dignité de l'art; mais quel aliment lui restait-il dans le passé ou dans le présent? Aucun artiste ne s'enflammait plus au souvenir des exploits d'Hercule ou des malheurs d'Ariadne, et on n'avait plus de victoire de Marathon à peindre sur les murs d'un portique. Les batailles gagnées par Alexandre pouvaient encore donner à un artiste quelques accès d'enthousiasme, comme le prouve le magnifique tableau de la bataille d'Issus, par Philoxène d'Érétrie '; mais dans les événemens qui suivirent la mort de ce prince, et dans les personnages qui occupèrent la scène après lui, quel épisode ou quel caractère fut digne d'occuper le pinceau d'un grand peintre? Et quand Apelle, Protogène et Nicomaque disparurent, que pouvait contre la médiocrité de leurs successeurs cette multitude d'ouvrages de circonstance que leur imposait la vanité des princes?

D'ailleurs, la peinture avait déjà beaucoup perdu sous le point de vue moral avant la mort

1. Plin., lib. xxv, cap. 11.

2. Tabula nullis postferenda, dit Pline, Ibid.

d'Alexandre; et le philosophe Chrysippe, qui donnait aux Athéniens des leçons de sagesse et de vertu sur les tableaux de Polygnote, se gardait bien de faire servir ceux d'Apelle au même usage. Le beau ayant été remplacé par le gracieux, on ne pouvait plus dire avec Aristote que les peintres enseignaient la morale par une méthode plus courte et plus facile que les préceptes de la philosophie'. Pour atteindre ce noble but, l'imitation fidèle de la nature n'était pas suffisante; car celui, dit Proclus qui prend ses modèles dans les formes qu'elle lui fournit, n'arrivera jamais à la beauté parfaite, attendu que les œuvres de la nature sont pleines d'imperfections'.

Mais ici les inductions sont superflues pour prouver la décadence de la peinture, puisque les faits directs abondent. Dans Athènes, cette décadence a été si rapide, qu'il a fallu recourir à un pinceau étranger pour peindre sur un portique ses anciens législateurs. L'école de

1. Polit., liv. v.

2. In Timæum, lib. u.

3. Pausan. Attic., c. Int.

Sycione, privée de ses chefs-d'oeuvre, n'a pas même survécu à la ligue achéenne. Pergame n'était guère décorée que de tableaux rachetés par ses rois du pillage des villes grecques. En Syrie, les Séleucides faisaient de vains efforts pour naturaliser un art qui, pour fleurir, veut être spontané. En Égypte, on avait bien les tableaux de Sycione et quelques ouvrages d'Apelle; mais Apelle lui-même y était chargé de fers, et voyait ses jours menacés. D'ailleurs, il n'y fonda point d'école, et le succès qu'obtint le peintre Galaton pour avoir peint Homère vomissant, au milieu d'une foule de poètes qui ramassaient tout ce qui sortait de sa bouche, suffit pour donner une idée du goût des Alexandrins'.

Si des théories ingénieuses étaient assez fortes pour soutenir un art, les trois traités composés par Apelle sur les secrets du sien, l'ouvrage de Polémon sur l'école et le Pécile de Sycione, et plusieurs autres compositions du même genre auraient pu préserver la peinture de la déca

1. Elian, Hist. variar., lib. XIII, C. XXII.
2. Vossius, de Hist. græc., lib. 1, C. XVIII.

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dence qui atteignait alors tous les produits d'imagination; mais nous avons déjà remarqué que la Poétique d'Aristote, malgré la justesse et la profondeur des vues qu'elle renferme, n'avait relevé ni le drame ni l'épopée ; et pour fortifier les conséquences qui découlent de cette remarque, nous pouvons ajouter que l'ouvrage si vanté d'Aristoxène son disciple sur les élémens de l'harmonie', n'empêcha pas la décadence de la musique.

Cet art, si important par ses effets physiologiques et moraux, l'était particulièrement en Grèce, où il avait de plus des effets politiques. On sait quel enthousiasme une modulation pure et hardie faisait éprouver aux Grecs dans les fêtes et dans les combats; mais cette hardiesse et cette pureté tenaient à certaines dispositions de l'ame, qui s'affaiblissaient de jour en jour. Déjà les Athéniens commençaient à ne plus chanter les lois de Charondas dans les festins,

1. Cet ouvrage a été publié en grec par Meursius (Leyde, 1616). Aristoxène de Tarante composa quatre cent cinquante-trois livres. Saint Jérôme, dans la préface de son ouvrage sur les écrivains ecclésiastiques, l'appelle longè omnium doctissimus.

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