Page images
PDF
EPUB

sensations, mais encore aux facultés intellectuelles et affectives.

Ni Hippocrate, ni Aristote n'avaient soupçonné l'existence des nerfs dans le corps humain. Hérophile fut le premier qui les regarda comme les organes des impressions sensibles, et reconnut qu'ils sont soumis à l'empire de la volonté, allant même jusqu'à les faire dériver du cerveau et de la moelle spinale '. C'était mettre ses successeurs, pour peu qu'ils fussent dignes de lui, sur la voie de découvertes nouvelles qui serviraient de complément aux

siennes.

La postérité s'est beaucoup occupée du médecin Érasistrate, parce qu'il sauva les jours d'un prince de Syrie, non pas en le guérissant d'une passion malheureuse, mais en obtenant qu'elle fût couronnée par l'hymen '. Malgré la célébrité que lui a value cette cure fameuse, elle ne compte pas parmi ses titres de gloire : il en

1. Sprengel, vol. 1, p. 435; Lauth, Hist. de l'Anatomie, vol. 1, p. 132.

2. Appian., de Bello Syr., c. cxXIV. Lucien, de Deâ Syriæ. Plutarq., Vie de Démétrius.

a de plus solides dans les recherches infiniment heureuses auxquelles il se livra, pour continuer celles d'Hérophile sur le système nerveux. Nonseulement il décrivit avec plus de précision que lui les anfractuosités et les circonvolutions du cerveau, mais il distingua les nerfs qui président aux sensations, de ceux qui président aux mouvemens musculaires. Il débarrassa la science de plusieurs hypothèses fort accréditées, comme la force attractive par laquelle on expliquait le phénomène des sécrétions : il démontra le premier les véritables fonctions de la trachée-artère, sur lesquelles Platon et tant d'autres s'étaient si grossièrement trompés 1; surtout il donna l'exemple d'un respect religieux pour Hippocrate, qu'il s'abstint scrupuleusement de réfuter, préférant comme lui les remèdes empruntés à la diététique, et s'élevant avec force contre les médecins qui allaient chercher des médicamens dans les trois règnes de la nature 3.

1. Sprengel, p. 421.

2. Platon avait dit que les boissons s'insinuaient dans les poumons par la trachée-artère.

3. Sprengel, p. 439-449.

La méthode rationnelle qu'il suivait dans le traitement des maladies ne le préserva pas de toutes les erreurs qui avaient cours dans les écoles, et quant à celles qu'il s'efforça de détruire il ne les remplaça pas toujours par des vérités. Sa théorie de l'air vital agissant, selon lui, dans le cœur et dans le cerveau, ne jetait aucun nouveau jour sur les fonctions de ces deux organes, et l'idée de faire dépendre les changemens qui surviennent dans le corps humain de la déviation des humeurs, n'était pas beaucoup plus lumineuse que celle qui jus-. qu'alors les avait fait dépendre de leur altération'. C'était inventer des formules nouvelles, sans découvrir des rapports nouveaux entre les choses : c'était marcher sur les traces des rhéteurs et des sophistes, qui profanaient toutes les sciences où ils mettaient la main, et leur imprimaient quelquefois un mouvement rétrograde.

La philosophie a un autre tort à lui

1. Il disait

que lorsque le

repro

sang s'insinuait dans les artères, c'était une déviation, et que de là résultaient les

fièvres, les inflammations, etc.

cher : c'est d'avoir nié, avec une présomption presque sacrilège, l'utilité de certaines parties dont le concours à la conservation du tout ne lui était pas démontré. Il ne l'était pas non plus à Zénon et aux Stoïciens ses disciples; mais l'idée qu'ils se faisaient de la Providence ne leur permettait pas de croire qu'il y eût quelque chose d'inutile dans ses œuvres, encore moins dans l'homme, la plus magnifique de toutes. Les Stoïciens disaient qu'avec le temps on finirait par découvrir l'utilité de tout ce qui existe dans la nature'. Erasistrate, qui admettait aussi ce dogme, n'en tirait pas les mêmes conséquences. Le foie, cette pièce si importante de l'appareil digestif, ne lui paraissait bon à rien dans l'économie animale. Il en disait autant de la rate; mais sur ce point la science moderne n'a pas encore le droit de lui donner le dé

menti.

Les successeurs d'Erasistrate formèrent, dans Alexandrie, une école qui fut long-temps florissante, et qui ne tarda pas à fonder une colonie dans l'Asie mineure. Sa méthode et ses

1. Voyez Lactance, de Irâ Dei, c. xiii.

principes furent adoptés par Strabon de Béryte, commentateur d'Hippocrate, par Strabon de Lampsaque, continuateur d'Aristote, par Nicias de Milet qui fut l'ami du poète Théocrite, et par plusieurs autres médecins qui furent tous inférieurs à Erasistrate pour les connaissances anatomiques '.

La décadence fut encore plus rapide parmi les successeurs d'Hérophile, qui cherchèrent à couvrir leur ignorance d'une multitude de commentaires sur Hippocrate, de sorte que le père de la médecine éprouva le sort que les savans du Musée faisaient alors subir à Homère. La frivolité et les sophistes, dit Sprengel, écartaient à chaque instant l'école d'Alexandrie de la véritable route.

En effet, la méthode d'observation fut presque universellement dédaignée. On crut multiplier les découvertes en multipliant les définitions, et on eut recours aux plus misérables sophismes pour décréditer de vieux aphorismes qu'une longue expérience avait consacrés. On alla jusqu'à faire une application absurde de

1. Sprengel, vol. 1, p. 461–464.

« PreviousContinue »