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Et ce ménagement

Retardait sa vieillesse.

Aujourd'hui ce n'est plus cela: Honteux d'être sage,

Le libertinage

Dès quinze ans l'engage;
À vingt il fait rage;
À trente il va
Cahin, caha.

Dans ma jeunesse
Les femmes, dès vingt ans,
Renonçaient aux amants;
De leurs engagements
Les devoirs importants
Les occupaient sans cesse.
Aujourd'hui ce n'est plus cela:
Plus d'une grand❜mère

S'efforce de plaire,
Et veut encore faire

Un tour à Cythère:
La bonne y va
Cahin, caha.

Dans ma jeunesse Des riches partisans Les trésors séduisants, Les fêtes, les présents N'étaient pas suffisants Pour vaincre une maîtresse. Aujourd'hui ce n'est plus cela: Un commis sans peine Gagne une Climène,

Et dès qu'à Vincenne
En fiacre il la mène,

La vertu va
Cahin, caha.

Dans ma jeunesse
Le spectacle chéri
Se voyait applaudi;
Le théâtre garni,

Le parterre rempli,

Nous comblaient d'allégresse.
Faites-nous voir encor cela:

Qu'une ardeur nouvelle
Chez nous vous rappelle;
Pour vous notre zèle,
Constant et fidèle,

Jamais n'ira

Cahin, caha.

Panard. 1726

XIX

LES MERVEILLES DE L'OPÉRA

J'ai vu Mars descendre en cadence;
J'ai vu des vols prompts et subtils :
J'ai vu la justice en balance,

Et qui ne tenait qu'à deux fils.

J'ai vu le soleil et la lune

Qui faisaient des discours en l'air :
J'ai vu le terrible Neptune

Sortir tout frisé de la mer.

J'ai vu l'aimable Cythérée,

Aux doux regards, au teint fleuri,
Dans une machine entourée
D'amours natifs de Chambéri.

Dans le char de monsieur son père J'ai vu Phaëton, tout tremblant, Mettre en cendre la terre entière Avec des rayons de fer blanc.

J'ai vu Mercure, en ses quatre ailes
Ne trouvant pas de sûreté,
Prendre encor de bonnes ficelles
Pour voiturer sa déité.

J'ai vu l'amant d'une bergère, Lorsqu'elle dormait dans un bois, Prescrire aux oiseaux de se taire, Et lui chanter à pleine voix.

J'ai vu des dragons fort traitables Montrer les dents sans offenser; J'ai vu des poignards admirables Tuer les gens sans les blesser.

J'ai vu, du ténébreux empire,
Accourir, avec un pétard,
Cinquante lutins pour détruire
Un palais de papier brouillard.

J'ai vu Roland, dans sa colère,
Employer l'effort de son bras
Pour pouvoir arracher de terre
Der arbres qui n'y tenaient pas.

J'ai vu des guerriers en alarmes,
Les bras croisés et le corps droit,
Crier cent fois: Courons aux armes,
Et ne point sortir de l'endroit.

J'ai vu plus d'un fier militaire
Se croire digne du laurier,
Pour avoir étendu par terre
Des monstres de toile et d'osier.

J'ai vu souvent une furie
Qui s'humanisait volontiers:
J'ai vu des faiseurs de magie
Qui n'étaient pas de grands sorciers.

J'ai vu trotter d'un air ingambe,
De grands démons à cheveux bruns:
J'ai vu des morts friser la jambe,
Comme s'ils n'étaient pas défunts.

J'ai vu le maître du tonnerre,
Attentif au coup de sifflet,

Pour lancer ses feux sur la terre,
Attendre l'ordre d'un valet.

J'ai vu, ce qu'on ne pourra croire,
Des Tritons, animaux marins,
Pour danser troquer leur nageoire
Contre une paire d'escarpins.

J'ai vu Diane en exercice
Courir le Cerf avec ardeur;
J'ai vu derrière la coulisse
Le gibier courir le chasseur.

J'ai vu la vertu dans un temple
Avec deux couches de carmin,
Et son vertugadin très ample
Moraliser le genre humain.

Dans des Chaconnes et Gavottes
J'ai vu des fleuves sautillans;
J'ai vu danser deux Matelottes,
Trois Jeux, six Plaisirs et deux Vents.

J'ai vu, par un destin bizarre,
Les héros de ce pays-là
Se désespérer en bécarre,
Et rendre l'âme en ré-mi-la.

J'ai vu des ombres très palpables
Se trémousser au bord du Styx;
J'ai vu l'enfer et tous les diables
A quinze pieds du paradis.

Id. 1733

XX

LA RESSEMBLANCE ET LA
DIFFÉRENCE

Mars et l'Amour en tous lieux

Savent triompher tous deux;

Voilà la ressemblance:
L'un règne par la fureur,
Et l'autre par la douceur;
Voilà la différence.

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