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PRÉFACE.

J'étais professeur de français à l'Académie royale militaire de Woolwich, lorsque je fus appelé à faire un cours de littérature française à l'Institut royal de l'artillerie pour les officiers et leurs familles.

L'empressement et l'assiduité avec lesquels ces cours furent suivis, et les encouragements qui me furent donnés me fournirent une preuve convaincante de l'intérêt que mes auditeurs prenaient à ces leçons, et du goût particulier qu'ils avaient pour l'étude des écrivains français.

D'un autre côté, dans le cours de mes leçons aux Gentlemen Cadets de l'Académie royale militaire, j'avais eu souvent l'occasion de remarquer l'attention que mes élèves accordaient aux digressions littéraires auxquelles le sujet de ces leçons nous conduisait quelquefois.

Enfin dans les établissements de jeunes gens et de demoiselles, où j'ai enseigné notre langue, et en général dans la société que j'ai fréquentée, durant le cours de mon exil en Angleterre, j'ai partout trouvé une préférence marquée en faveur de l'étude de la littérature française. J'ai aussi trouvé, je suis heureux de le rappeler ici, auprès des officiers de Woolwich, et des chefs des établissements d'instruction auxquels j'ai été attaché comme professeur de français pendant plusieurs années, et, en général, auprès de mes élèves, une courtoisie et des égards qui m'ont rendu le travail facile et agréable, et m'ont fait aimer le séjour de l'Angleterre.

Toutes ces observations que j'eus occasion de faire sur le goût particulier qui se manifestait partout dans ce pays pour les œuvres littéraires de la France, m'engagèrent à rechercher le moyen de les satisfaire.

J'examinai d'abord les différents livres publiés dans ce but en Angleterre ; je ne trouvai dans la plupart que des notices biographiques incomplètes, et des morceaux de littérature détachés, sans ordre ni suite, souvent même sans. discernement dans le choix; enfin des lambeaux de nos chefs-d'œuvre littéraires, copiés d'un livre dans un autre, et que les auteurs de ces livres semblaient se disputer entre eux. Ces collections désordonnées ne pouvaient offrir au lecteur qu'une idée très-imparfaite de nos écrivains et de leurs œuvres. En même temps les livres publiés en France sur la littérature de notre pays, quoique en général d'un grand mérite, ne sont guère accessibles qu'aux intelligences spéciales. Ils sont ou trop étendus ou trop abstraits, et par conséquent peu propres à développer le goût littéraire parmi le peuple. Encore moins peuvent-ils servir aux étrangers pour la connaissance de la littérature française. Il y avait donc à combler une lacune évidente.

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D'un côté, pour répondre aux dispositions favorables manifestées en Angleterre pour l'étude des auteurs français, de l'autre, pour rendre cette étude plus populaire en France, il y avait un livre à faire, un livre qui, rangeant les écrivains par ordre des temps, contint une biographie intéressante, à la fois précise et complète de chacun de ces écrivains, une appréciation rapide et profonde des œuvres littéraires qui pût fixer le jugement du lecteur, enfin des citations des plus beaux passages de ces œuvres à l'appui de cette appréciation.

C'est ce que j'ai essayé d'accomplir en publiant les Écrivains français.

L'ouvrage comprendra deux volumes :

Ce premier volume contient l'histoire de la littérature depuis son origine jusqu'au commencement du XVIIIe siècle.

Le second, qui paraîtra plus tard, contiendra les écrivains du XVIIIe et du XIXe siècle jusqu'à nos jours.

Pour remplir la tâche difficile que je me suis imposée, j'ai dû souvent avoir recours aux lumières et aux conseils de mes amis. A cet égard, je dois surtout des remercîments à M. Alphonse Esquiros, si connu par ses ouvrages littéraires et si aimé du public, et à M. Louis Blanc, notre éminent historien. Tous deux m'ont fourni de précieux renseignements et des observations utiles toutes les fois que j'ai soumis mes appréciations littéraires à l'autorité de leur jugement. Je dois aussi beaucoup à la complaisance de mon ami, M. Stiévenard, lecturer à King's College, qui s'est empressé de mettre à ma disposition les livres de sa bibliothèque choisie.

Cet ouvrage, entrepris surtout en vue de mes élèves, peut donc convenir aux Officiers et aux Gentlemen Cadets qui m'en ont inspiré la première idée; aux établissements de jeunes gens et de demoiselles dans les deux pays, soit pour l'étude

de la langue française, comme livre de lecture (reader), soit pour l'étude de la littérature; enfin aux gens du monde qui veulent acquérir une connaissance exacte et complète des. œuvres littéraires de la France.

Je me suis étudié à mettre ce livre à la portée de tout le monde et surtout à ne rien écrire qui fut de nature à blesser, sous le rapport des mœurs, les susceptibilités les plus délicates, rien, en un mot, de ce que l'on appelle en Angleterre objectionable, et, comme on dit en France :

La mère en permettra la lecture à sa fille.

Dans tout ce que j'ai fait, j'ai cherché surtout à être utile; y ai-je réussi ? Le lecteur décidera.

INTRODUCTION.

Pour comprendre la littérature d'un peuple, il faut con naître son génie, son caractère, ses mœurs, son histoire. La langue elle-même n'est qu'une efflorescence du sentiment. national. Écrire l'histoire de la littérature française et négliger l'idée française, c'est oublier la racine de l'arbre dont on se propose de cueillir les fruits.

Qu'entendons-nous par ce mot, la pensée française? Il serait absurde de prétendre que les écrivains de notre pays n'ont puisé qu'à une seule source d'inspirations; dans l'ordre moral comme dans l'ordre politique, la nation a souvent changé de drapeau; les différentes époques ont eu une manière de penser qui leur appartenait ; le même siècle a plus d'une fois soutenu le pour et le contre. Les grands hommes se contredisent les uns les autres en se succédant; tout cela

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