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les liens qui l'unissaient à la cause de la réformation. Obligé de quitter Ferrare, il se rendit à Genève, en 1536. La réforme religieuse s'y était déjà répandue. Calvin, alors agé de vingt-sept ans, n'avait pas dit-on l'intention de s'arrêter à Genève. Farel, qui après avoir préché la réforme dans le Dauphiné et en Suisse s'était établi dans cette ville, l'y retint alors quelque temps; mais un décret de bannissement et sa destinée errante le poussèrent, vers 1539, à Strasbourg, où il épousa Idelette Storder, un peu noire de peau, dit la chronique, mais belle et bien faite. Elle était veuve et apporta en dot, à son époux, plusieurs enfants qu'elle avait eus de son premier mari. Calvin lui rend ce beau témoignage, qu'elle les aimait d'un amour de mère.

Calvin reprit bientôt son bâton de voyageur et de missionnaire. A Francfort, à Hagueneau, à Worms, à Ratisbonne, il alla, de 1540 à 1541, semant partout sur son chemin la parole nouvelle. Luther vivait encore, mais il vieillissait; Calvin était au contraire dans toute la vigueur de l'âge et de la raison.

Cependant, toutes les pensées de Calvin se reportaient sur Genève : c'était une image chérie qui l'obsédait nuit et jour. Il y fut rappelé vers la fin de 1541. Cette fois, sa rentrée fut un triomphe. Il n'allait plus jouer seulement dans cette ville le rôle de théologien, mais celui de législateur et de magistrat suprême. Je n'ai pas plus à juger les actes de son administration politique ou si l'on veut de sa dictature-que je n'ai à m'occuper ici des doctrines religieuses de Calvin. Je cherche seulement les faits de sa vie personnelle qui peuvent expliquer l'écrivain.

Calvin avait toujours été maladif. Dès son enfance il était sujet aux migraines. Les douleurs, quelque vives qu'elles fussent, ne pouvaient abattre son courage, ni suspendre l'exercice de ses facultés intellectuelles. Il était de cette race de penseurs valétudinaires dont fut, après lui, Blaise Pascal.

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Ses infirmités s'accrurent avec les années, et aussi ses chagrins; car la toute-puissance est une couronne qui cache les épines sous ses rayons - sinon sous les roses. La vie austère de Calvin avait eu peu de fleurs. Il s'éteignit, calme et résigné au milieu des souffrances, appuyé sur la Bible comme sur une consolation suprême, le 27 mai 1564. « Ce jour-là, dit Bèze (1), le soleil se coucha, et la plus grande lumière qui fut en ce monde, pour l'adresse de l'Église de Dieu, fut retirée au ciel. La nuit suivante, et le jour aussi, il y eut de grands pleurs par la ville le prophète du Seigneur n'était plus. »

2.

L'influence qu'exerça Calvin sur la littérature française fut considérable: elle eût été plus grande encore, s'il eût tout à fait brisé avec l'usage des théologiens de son temps, qui était d'écrire en latin sur les matières religieuses. Son Institution de la doctrine chrétienne, ses lettres, ses sermons, n'en sont pas moins des monuments qui contribuèrent à fonder l'excellence de notre langue. La liberté de ses opinions religieuses porta bonheur à son style. Il ne faut pas demander à cet écrivain la richesse des images : l'écrivain ou l'orateur était, dans le cabinet ou dans la chaire, ce qu'il était dans sa vie, dans

(1) Théodore de Bèze naquit à Vézelay, dans le Nivernais, en 1519. Sa jeunesse fut dissipée. Il publia d'abord des poésies latines, plus remarquables par leur élégance que par la moralité. Cependant il se corrigea et vint à Genève; c'est là qu'il se lia avec Calvin dont il embrassa les doctrines. Il professa le grec à Lauzanne, revint, quelques années après, à Genève, y fut honoré du titre de citoyen et fut nommé recteur de l'académie de cette ville. Le roi de Navarre, persuadé par lui, se convertit au protestantisme. Théodore de Bèze fut présent au colloque de Poissy (1561) et à la bataille de Dreux. Après la mort de Calvin, il fut considéré comme le chef de la réforme. Il présida le synode de la Rochelle, où toutes les églises réformées étaient réunies. Il déploya une grande violence dans la propagation de ses doctrines et essaya de justifier le supplice de Servet. Il mourut à l'âge de quatre-vingt-six ans, en 1605.

ses mœurs et dans ses opinions religieuses. Visage amaigri, esprit inflexible, prêtre ennemi des signes extérieurs du culte, qu'il condamnait comme une abominable idolâtrie, adorateur d'un « Dieu en esprit et en vérité, » Calvin rencontre, sans la chercher, une forme que j'oserais presque appeler immatérielle. Ce qu'on ne saurait trop louer en lui, c'est un langage franc, lumineux, précis, serré comme la logique de ce chaste penseur. Il ne cherche pas à séduire l'imagination, cette folle du logis: c'est à la raison qu'il s'adresse; mais sur ce terrain on reconnaît un maître. Peut-être, sous ce rapport là même, l'influence de Calvin comme écrivain français fut doublement heureuse. Il était bon que le dessin s'introduisit dans notre langue avant la couleur.

Il y a, dans les écrits de Calvin, des pages entières qui ont peu vieilli et qu'on pourrait citer comme des modèles. Est-il rien de plus élevé, de plus méthodique, de plus abondant que la dédicace de son Institution au roi François Ier: « C'est votre office, sire, de ne détourner votre oreille ni votre courage d'une si juste défense (celle de la religion réformée), principalement quand il est question d'une si grande chose : c'est à savoir comment la gloire de Dieu sera maintenue sur la terre, comment sa vérité retiendra honneur et dignité, comment le règne du Christ demeurera en son entier. O matière digne de vos oreilles, digne de votre juridiction, digné de votre trône royal, car cette pensée fait un vrai roi, s'il se reconnaît être vrai ministre de Dieu au gouvernement de son royaume, et, au contraire, celui qui ne règne point à cette fin de servir à la gloire de Dieu, n'exerce pas règne, mais brigandage. >>

Je préfère encore à ces morceaux d'éloquence les simples lettres de Calvin, par exemple, celle-ci adressée à la duchesse de Ferrare:

« Je sais, madame, combien Dieu vous a fortifiée durant les plus rudes assauts. Combien, par sa grâce, vous

avez vertueusement résisté à toutes les tentations, n'ayant point honte de porter l'opprobre de Jésus-Christ, cependant que l'orgueil de ses ennemis s'élevait pardessus les mers. Davantage que vous avez été une mère nourricière de pauvres fidèles déchassés qui ne savaient où se retirer. Je sais bien qu'une princesse, ne regardant que le monde, aurait honte et prendrait quasi-injure qu'on appelât son château un hôtel-Dieu, mais je ne vous saurais faire plus grand honneur que de parler ainsi pour élever et reconnaître l'humanité de laquelle vous avez usé envers les enfants de Dieu, qui ont eu leur refuge à vous. »

Ces lignes ne donnent point, il s'en faut de beaucoup, une idée complète du style de Jean Calvin, mais elles suffisent pour montrer que l'esprit de dénigrement, appuyé sur des dissentions de doctrines, peut seul refuser, au continuateur de Luther, la gloire d'avoir été un des créateurs de la langue française. La théologie, se convertissant à l'idiome vulgaire qu'elle enrichit et qu'elle élève, n'est-ce pas là, d'ailleurs, un fait qui mérite de fixer notre attention. Les cordes graves ne se forment qu'en dernier lieu dans cet instrument complexe des langues, auquel la pensée humaine doit de se connaître elle-même. L'éloquence de Calvin a été de beaucoup surpassée par les écrivains et les orateurs sacrés du XVIIe siècle; mais ceux même qui l'ont combattu sur le terrain des discussions religieuses, auraient pu reconnaître qu'ils lui devaient une partie de leurs armes. Je n'ai point à apprécier ici l'influence du protestantisme français sur les mœurs, sur les doctrines politiques, ni sur les événements de l'histoire, mais je caractériserai d'un mot l'influence de la réformation sur la littérature. Elle apprit à l'homme l'art de parler à Dieu dans sa langue maternelle.

3o

AMYOT.

Sa jeunesse.

Sa vocation.

Son ardeur pour l'étude. Sa pauvreté. · Comment il obtient une chaire de professeur. Il devient précepteur des fils d'Henri II. - Amyot évêque d'Auxerre. — Sa mort. qu'il laissa. - Sa traduction des Vies de Plutarque. - Son influence sur la littérature.

de Plutarque. française.

- La fortune

Ce que dit Montaigne de cette traduction des Vies Qualités de son style. - Services qu'il rend à la langue Ce que dit Vaugelas à ce sujet. — Jugement de Racine sur la traduction des Vies de Plutarque.

Le 30 octobre 1513 naquit, à Melun, Jacques Amyot. Il sortait, comme on dit, des derniers rangs du peuple. Le besoin de connaître l'attira dans la ville de Paris. Là il suivait les cours publics. Sa misère ne fut point un obstacle au progrès de ses études, et pourtant cette misère était grande. Il ne recevait de sa famille, pour tout secours, qu'un pain que sa mère lui envoyait par semaine. Pour vivre et pour passer les mauvais jours, il s'avisa de se faire le domestique des autres étudiants. Le temps qu'il pouvait dérober à ce service manuel, il le consacrait à la science. Sa vocation était tournée vers les langues anciennes, et surtout vers l'idiome melliflu d'Homère.

Jacques Collier, lecteur du roi et abbé de Saint-Ambroise, ayant distingué les talents du jeune Amyot, lui confia l'éducation de ses neveux et lui fit obtenir par le crédit de Marguerite, sœur de François Ier, une chaire de grec et de latin dans l'Université.

Bientôt il révéla au monde savant les qualités de style dont l'avait doué la nature; il traduisit les Éthiopiques d'Héliodore, puis le roman de Longus, Daphnis et Chloé. François Ier, auquel il dédia quelques-unes des Vies de Plutarque, lui fit présent de l'abbaye de Bellizane. Encouragé par ses premiers succès, Amyot alla en Italie

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