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mort, le poëte tenait à la vie. Contre l'usage alors établi, il s'avisa d'en appeler au parlement contre la sentence. des juges du Châtelet. Le parlement commua la peine de mort en celle du bannissement. A cette nouvelle, Villon s'applaudit de l'heureuse idée qui lui était venue si à propos. « J'en appelle! c'est là, s'écria-t-il, le plus beau mot qui soit jamais sorti de ma bouche. »

Le poëte se retira sur les Marches de Bretagne, près de Saint-Julien en Poitou. La sentence de mort prononcée contre lui avait bien pu exciter sa verve, mais elle ne changea point ses inclinations; de nouvelles friponneries le firent arrêter et conduire à la prison de Meung-sur-Loire. Condamné une seconde fois à être pendu, il obtint sa grâce « du bon roi; » ce bon roi était -on ne le croirait guère-Louis XI, que les gentillesses du poëte amusaient. Villon alla finir sa vie en Poitou, à Saint-Maixent, auprès « d'un homme de bien, abbé dudit lieu. » Il mourut vers l'an 1500.

Et maintenant, ce vaurien, ce larron, ce repris de justice, est un des anciens poëtes qui ont le plus contribué à dégager la langue française. Il était doué d'un talent réel, d'une originalité forte et vraie, que développèrent encore les vicissitudes d'une vie ballottée entre le cabaret et la potence. Les muses ne seraient-elles point d'aussi honnêtes filles qu'elles en ont l'air, et auraient-elles volé leur réputation de vertu? On serait tenté de le croire, en les voyant choisir pour favori, dans un siècle où la littérature française n'était point encore formée, un des plus mauvais sujets de son temps.

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François Villon est friponnerie à part un vrai type du poëte français. Il associe deux qualités qui distinguent les esprits d'élite la gaieté franche, railleuse, et la mélancolie. Ceux qui ont parlé de Villon comme d'un chansonnier badin, léger et seulement gracieux, ne l'ont pas lu, ou du moins n'ont pas lu toutes ses œuvres. Il se montre quelquefois profond, sensible, rêveur,

et s'élève jusqu'aux accents de la philosophie humaine. Chez ce fou qui riait de tout, de la misère, de la potence et de lui-même, dans ce corps usé par la faim, trop souvent même par la débauche, et où « les vers ne devaient pas trouver grande graisse » il y avait un sage et un penseur. La fragilité de la vie, le néant de la gloire et des honneurs lui arrachent des strophes émues, vraiment inspirées, et qui contiennent des réflexions sérieuses.

Il est un des premiers sinon le premier qui ait cultivé en France cette branche de poésie à laquelle on a donné, dans ces derniers temps, le nom de poésie intime. Il se raconte lui-même dans ses vers, il regrette le temps perdu de sa jeunesse.« Si j'eusse étudié, s'écrie-t-il, j'aurais aujourd'hui maison et couche molle... Mes jours s'en sont allés errants. » Il confesse avec bonne foi les fautes de sa vie, tout en jetant sur la pauvreté, sa complice, une grande partie des actes qui lui ont fait voir, par deux fois et de si près, la potence. Après tout, il ne croit pas valoir moins dans la misère que « tout seigneur qui pourrit sous riches tombeaux. »>

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trouva.

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Louis XI prisonnier de Charles le Téméraire à Péronne. Rôle que joua Commines pour réconcilier ces deux princes. - Il passe au service du roi de France. Motifs de cette désertion. Ce qu'en dit Mézeray. Politique de Louis XI à l'égard des nobles féodaux. - Commines devient le favori de Louis XI. - Avantages que lui donne sa position comme historien. - Ses Mémoires. Ce qu'était Louis XI d'après

idées.

ces Mémoires. Ses excentricités, ses Ce qui manque aux Mémoires. Commines et Machiavel. Théorie immorale. - Une page de Commines. De quelle utilité ont été les Mémoires. Ce qu'ils ont fourni à Casimir Delavigne, à Walter Scott, à Victor Hugo.

Philippe de Commines, seigneur d'Argenton, naquit au château de Commines, près de Lille, en 1445. Il était

d'une illustre famille de Flandre. Sa jeunesse se passa à la cour de Philippe le Bon, duc de Bourgogne. Attaché alors au service du duc de Charollais, si fameux plus tard sous le nom de Charles le Téméraire. Il le suivit dans la guerre dite du bien public et se trouva à la bataille de Montlhery.

Commines était le serviteur, l'ami, le confident de Charles le Téméraire. Il était près de son maître lorsque ce dernier retint le roi Louis XI prisonnier à Péronne. Charles le Téméraire, dont l'emportement était extrême, voulait enfin punir Louis XI de sa mauvaise foi. Commines, tout jeune qu'il était, joua dans cette circonstance mémorable le rôle de conseiller et de pacificateur. Il essaya d'abord de calmer son maître; mais le moyen d'y réussir entièrement? Il craignait pourtant chez le duc les emportements d'une irritation naturelle et cette fois bien motivée. Commines avec l'habileté d'un homme d'État, avertit le roi des points sur lesquels il fallait céder, pour ne point se mettre, lui et son royaume, dans un danger encore plus grand.

En 1472 Commines passa du service du duc de Bourgogne au service du roi de France. Les biographes et les historiens ont recherché les motifs d'une telle désertion. Sur ces motifs, Philippe de Commines a gardé le silence dans ses Mémoires, ce qui a fait dire à Mézeray, << si les raisons de Commines eussent été bonnes, il les <«< aurait expliquées, lui qui raisonnait si bien sur toutes <<< choses. >>

Je crains que Mézeray n'ait deviné juste. Louis XI, qui devait de la reconnaissance à Commines depuis son emprissonnement à Péronne, et qui avait surtout deviné un habile politique dans ce jeune homme, n'épargna sans doute rien pour l'attirer à son service. C'était, en effet, le système de ce roi subtil et rusé que d'affaiblir le gouvernement des nobles féodaux en leur retirant les soutiens que le hasard, le choix, ou la naissance avaient

placés dans leurs conseils. Commines se laissa gagner aux moyens de corruption. Louis XI, en effet, le combla de biens, l'employa souvent, et le tint habituellement auprès de sa personne.

Si ce changement de maître et de drapeau ne fait point honneur, il s'en faut de beaucoup à la conscience de Philippe de Commines, ont est forcé d'avouer que l'historien trouva du moins dans une telle défection le moyen de compléter ses études sur les deux personnages éminents de son siècle. Il fut ainsi à même de connaître et d'observer de près les deux principaux acteurs du drame qui avait rempli tout le moyen âge, mais qui touchait alors au dénoûment: je parle de la lutte de la monarchie et de la féodalité.

Ses Mémoires embrassent les règnes de Louis XI et de Charles VIII de 1464 à 1498. L'auteur y jette un coup d'œil froid, pénétrant, quelquefois profond sur les divers événements qui remplirent cette assez longue période historique. Mais ce qu'il faut surtout rechercher dans l'œuvre de Commines, ce qui le recommande à l'intérêt des lecteurs, c'est la peinture du caractère de Louis XI. Sans les pages savantes dans lesquelles l'historien explique la politique de ce roi, met en lumière les motifs de sa conduite, oppose, en les accordant de son mieux, les contrastes de cette nature étrange, la vie de Louis XI eut été pour la postérité une énigme indéchiffrable, tandis que, grâce aux indiscrétions de son favori, on saisit le fil de ce labyrinthe d'intrigues, de faussetés, d'hypocrisie dans lequel le monarque cachait ses démarches et ses voies détournées.

Louis XI était un tyran bourgeois; il n'avait rien des vices ni des grandeurs qui relèvent quelquefois, par un faux éclat, la tyrannie aux yeux des peuples. Sa personne, ses mœurs, ses goûts, son entourage, tout était mesquin, et pourtant il est facile de voir que ce caractère peu aimable exerce un grand prestige sur Philippe de Com

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mines. Dans ce petit et mauvais homme, l'histoirien avait découvert une grande pensée. L'unité monarchique de la France couvait sous ce front intelligent, quoique sans noblesse et sans dignité. Louis XI, à travers mille excentricités burlesques, avait le génie de la raison et de la logique. S'il fascinait, c'était comme le basilic, par le calcul qu'il mettait dans tous ses projets et qui les rendait irrésistibles. Commines avait compris Louis XI, le serviteur avait deviné le maître. Convaincu, lui aussi, que le roi faisait une œuvre nécessaire, l'historien le suit sans trouble, sans hésitation, sans remords, dans les menées souterraines qui devaient saper et détruire l'édifice du moyen âge féodal.

Ce qui manque à ces Mémoires, c'est une moralité sévère et élevée. Commines absout volontiers les actes que le succès couronne. Il envisage les faits humains au point de vue de la souveraineté du but. Quant à la conscience, il s'en inquiète médiocrement. Il pardonne aisément à Louis XI d'avoir été un prince parjure, vindicatif, cruel, immolant sans scrupule tout ce qui faisait obstacle à ses projets d'envahissement, hardi dans le crime, lâche devant la mort, il lui suffit pour cela de se souvenir que ce même Louis XI était «< un des plus sages hommes et des plus subtils qui aient régné de son temps. » On a quelquefois rapproché Commines de Tacite; c'est bien plutôt avec Machiavel qu'il faudrait lui chercher des points de comparaison. Un des premiers, il a contribué à fonder cette théorie historique,- contre laquelle ont protesté, avec tant d'éloquence, Quinet et Michelet, théorie immorale, qui tendrait à décharger les hommes de la responsabilité de leurs crimes, dès que ces crimes, commis dans un intérêt étroit et personnel, ont pu servir, par certaines conséquences, aux intérêts généraux des peuples ou de l'humanité.

Il y a pourtant une page que je dois citer, une page dans laquelle se dément le sang-froid de l'historien à la

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