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juger par son éducation accomplie, lui avait fait lire. avec elle le roman de Cléomades; de cette lecture, le poëte-car Froissart n'était pas seulement chroniqueur

conserva un long et tendre souvenir. Il a chanté dans ses vers cet amour constant et pur, comme celui de Pétrarque pour Laure. La jeune fille se maria: Froissart se montra inconsolable et tomba malade. Cherchant une diversion à ses maux et à son idée fixe, il se rendit à la cour d'Angleterre, où les chevaliers, les dames, les demoiselles, le combièrent de caresses et d'amitiés. Il devint le favori de la reine Philippe de Hainaut, femme d'Édouard III.

Au milieu de toutes ces séductions, le cœur du poëte ne pouvait guérir. Il avoua dans un virelai adressé à Philippe de Hainaut la cause de sa mélancolie. La reine lui conseilla de retourner en France, mais à condition qu'il reviendrait en Angleterre. Dans sa patrie, il revit l'objet de sa passion; il la revit et voilà tout. Cette imprudente démarche ne fit que ranimer un amour qui dura dix ans dans toute sa force et se ranima même à un âge avancé dans le cœur de Froissart, « malgré sa tête chenue et ses cheveux blancs. »

Froissart avait promis à la reine de revenir en Angleterre; il y revint en effet l'année suivante, en 1362. Au milieu de son intrigue malheureuse, cet homme mondain, poëte, historien et surtout amoureux, était-on ne le croirait pas-entré dans les ordres. Il fut même nommé clerc de la chapelle de la reine, sa noble protectrice, «< qui le fit et le créa. » Cette alliance de faits si bizarres et si étonnés de se voir accouplés donne du moins une idée des mœurs cléricales au xive siècle.

Quoique blessé dans ses affections très-peu ecclésiastiques, Froissart reprit bientôt l'œuvre qu'il n'avait d'ailleurs jamais abandonné. Le hasard le fit amoureux, mais le ciel l'avait fait conteur. Il nous raconte lui-même la manière dont il s'y prenait pour se renseigner à

bonnes sources. « Partout où je venais, dit-il, je faisais enquête près des anciens chevaliers et des écuyers qui avaient été dans les faits d'armes et qui probablememt en savaient parler... Ainsi ai-je rassemblé la noble et haute histoire, et tant que je vivrai, par la grâce de Dieu, je la continuerai; car, plus j'y suis, plus j'y travaille, et plus elle me plaît. »>

Froissart était aussi errant que les chevaliers d'alors non qu'il fut personnellement amoureux des nobles coups d'épée, mais il aimait à connaître ceux qui les donnaient, à s'entretenir avec eux et à raconter ce que faisaient les autres. Il cherchait, dit-il lui-même, à voir la plus grande partie de la chrétienté. Vers 1364, il se rendit en Écosse et passa plusieurs jours chez les Douglas. L'Écosse et Froissart-c'est là un rapprochement qui arrête quand on songe à Walter Scott, l'auteur qui a peut-être le plus d'analogie avec le vieil historien français. Seulement Froissart raconte, Walter Scott invente. A l'un le talent du chroniqueur, à l'autre le génie du romancier.

Le démon des voyages et le besoin de recueillir le récit des aventures ne permettaient pas à Froissart de rester longtemps en place. Il quitta l'Angleterre et revint en France où il obtint la cure de Lestines; mais cet excellent chroniqueur faisait un mauvais curé. La curiosité qui était le trait dominant de son caractère, l'insatiable désir de rechercher les divers princes du monde, leurs cours, leurs fêtes, leurs tournois, l'histoire des châteaux, tout l'arracha bien vite à cette vie réglée qui contrastait d'ailleurs avec le dérèglement de ses habitudes. Il partit pour la cour du comte de Foix. Quand il fut en route, Froissart se retrouvait dans son élément. Il vivait de la vie des autres, il aimait à voir les merveilles de ce monde-non les merveilles de Dieu dans la nature-mais les actions extraordinaires des hommes de son temps. Chemin faisant, il rencontre, à Pamiers, un

bon chevalier, messire Espainy du Lion, qui avait fait toutes les guerres et traité les grandes affaires des princes. Je vous laisse à deviner la joie de Froissart. Le chroniqueur et le chevalier se mirent à voyager de concert. Chaque soir, ils s'arrêtaient dans les hôtels où ils vidaient « des flacons pleins de vin blanc. «Puis après boire » le chevalier contait, et quand il avait fini, c'est-à-dire bien tard - Froissart écrivait.

En 1395, Froissart retourna en Angleterre où régnait alors Richard II, fils du prince noir. Le roi reçut avec une grande bonté le serviteur favori de son aïeule, la reine Philippe. Quelque temps après arriva la catastrophe qui précipita Richard du trône.-- C'est à peu près le dernier événement que raconte Froissart. L'époque de sa mort est obscure. Ses écrits s'arrêtant à l'an 1400, plusieurs biographes ont cru qu'il avait fini ses jours à cette époque. Le moyen en effet de se représeuter Froissart au monde sans entendre sa voix,-la voix des événements. Vivre pour lui, c'était raconter.

Il parait pourtant qu'il ne mourut qu'en 1410. En résumé, les chroniques de Froissart constituent le journal du temps dans lequel il n'y avait pas encore de journaux. Il écrit vite et sans intentions fortes; mais il fait passer dans ses récits la couleur, le mouvement et le charme des âges chevaleresques. La vie réelle touchait encore par tant de côtés à la fiction, que l'histoire pouvait tenir du roman, sans cesser d'être vraie. De là l'intérêt de ces chroniques. Les grandeurs et les exploits de la féodalité, la vie militaire, les aventures des cours et des châteaux, voilà ce qu'il faut chercher dans les récits de ce clerc, qui semblait être né pour voir et pour entendre. Froissart ne semble pas se douter qu'il existe une autre classe au monde que la noblesse. Il est indifférent aux souffrances du peuple. On dirait même qu'il les ignore. Assimilé à l'existence des princes et des seigneurs dont il était l'hôte, l'ami, le familier, il n'a peint que le côté

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brillant du moyen âge. Simple spectateur au théâtre du monde de son temps, n'ayant jamais mis la main aux affaires de l'État, n'ayant jamais été mêlé lui-même aux fortunes diverses de la guerre, se contentant de dire ce que les autres ont fait, il s'est marqué au milieu des cours une place à part. Ayant vécu tour à tour en France et en Angleterre, il établit une sorte de trait d'union entre l'histoire de ces deux pays qui se sont rencontrés alors sur tant de champs de bataille. Aussi a-t-il été consulté par tous les écrivains français ou anglais-poëtes ou romanciers- qui ont voulu ressusciter le xive siècle. Ses récits, dans lesquels le narrateur est dominé par les événements, par les figures du monde extérieur, par les impressions qu'il reçoit en cheminant dans la vie, ne méritent point, à proprement parler, le titre de récits historiques; mais c'est une mine riche et merveilleusement féconde pour ceux qui voudront, après lui, écrire l'histoire.

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CHRISTINE DE PISAN.

Sa naissance.

Son pays.

Comment elle vint à la cour de France. Ses malheurs. Elle cherche une consolation dans les livres. La Ses premières poésies. Les Dictiez. - Son principal ouvrage en prose. Caractère de ses écrits.

poésie dans l'adversité.

-

Cette femme célèbre naquit à Venise, en l'an 1363. Son père, Thomas de Pisan, conseiller de la république et, en même temps, célèbre astronome, fut appelé en France par Charles V.

Christine était àgée de cinq ans quand elle arriva au château du Louvre avec sa mère. Elle fut élevée à la cour. Recherchée pour sa beauté, ses connaissances et son esprit, elle n'avait qu'à faire un choix parmi de nombreux rivaux. Etienne du Castel obtint la préfé

rence. Christine avait à peine quinze ans quand elle se maria.

Ici un nuage, un sombre nuage, obscurcit cette destinée qui s'annonçait sous des couleurs si brillantes. Charles V mourut le père de Christine, qui occupait une place dans le conseil du roi, vit décroître son crédit. Il en mourut de chagrin.

Étienne du Castel, mari de Christine, fut emporté par une maladie contagieuse, à l'âge de trente-quatre ans. Veuve, chargée de trois enfants, cette femme de mérite passa d'abord quelques années à la poursuite de divers procès qu'elle perdit. Voyant alors qu'elle n'avait rien à attendre de la protection des hommes, elle chercha en elle-même des soutiens plus solides et une consolation dans les livres.

La poésie est une fleur qui croît le plus souvent dans l'adversité. Il lui faut les larmes et les épreuves, comme il faut la pluie et les vents aux plantes des bois. Christine répandit son âme et son cœur dans ses premières poésies, intitulées Dictiez.

Le roi d'Angleterre, ayant lu les vers de Christine, voulut attirer à sa cour cette reine de l'esprit. Le duc de Milan lui fit aussi des offres très-avantageuses; mais Christine tint à rester en France.

Elle mourut après 1420.

Christine de Pisan a écrit en prose et en vers. On lui doit une vie de Charles V.

On remarque chez elle un retour vers l'antiquité classique. Elle aime à citer les anciens. Ce n'est pas encore la Renaissance, mais c'est le rayon qui la devance et qui l'annonce.

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