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Le moment est venu de sortir de ces généralités pour nous attacher à des œuvres d'un caractère plus individuel. Les traits principaux de la langue d'oil et de la littérature du Nord étant indiqués, nous suivrons mieux, de siècle en siècle, le développement de cet idiome et de cette littérature sur les différents types qui la représentent. On connaît l'usage des bornes milliaires; les écrivains de chaque époque seront pour nous comme des signes indicateurs, qui nous serviront à mesurer l'espace et le progrès sur la route du temps.

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boliques. Vogue dont ce poëme jouit au moyen âge. succès. - Ce qu'est aujourd'hui pour nous ce roman.

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Quoique les hommes instruits et tous ceux qui visaient à la célébrité littéraire continuassent de préférer la langue latine à l'idiome vulgaire, quelques-uns d'entre eux ne dédaignaient point, dans leurs moments de loisir, d'essayer les cordes un peu roides de la lyre gauloise.

M. de Rémusat, dans son excellente histoire d'Abélard, nous dit que ce grand docteur, non moins célèbre par șa science que par ses malheurs (1), avait composé quelques chansons dans le dialecte populaire. Cet esprit indépendant et persécuté avait sans doute pressenti les avantages que pouvait offrir une langue vivante.

Mais je me hâte d'arriver à un monument plus précis de notre littérature, le Roman de la Rose. Le Roman de la Rose est un poëme allégorique. Marmontel a cru définir ce genre de fiction, en disant :

L'allégorie habite un palais diaphane.

La définition s'applique pourtant assez mal au Roman de la Rose, car l'allégorie y habite souvent un palais fort obscur et fort peu transparent, du moins pour les yeux des lecteurs modernes.

Il suffira d'indiquer le sujet du poëme ou du roman. L'auteur suppose s'être endormi un jour de printemps. Que faire en dormant, à moins que l'on ne songe. Il rêve donc qu'il se promène dans une prairie, au milieu de laquelle il voit un beau jardin entouré de murailles. La porte de ce jardin lui est ouverte par Oyeuse (l'oisiveté), et il aperçoit alors Déduit, maître du jardin,

(1) Abélard était né au bourg de Palais, près de Nantes, en 1079, d'une famille noble. Il eut pour maîtres le nominaliste Roscelin et le réaliste Guillaume de Champaux. Il ouvrit une école à l'àge de vingt-deux ans ; il réunit à Paris plus de trois mille auditeurs. Il combattit les doctrines du réalisme et du nominalisme avec succès et acquit une grande réputation. Tout le monde connaît ses amours avec Héloïse et l'atroce vengeance du chanoine Fulbert. Abélard se réfugia dans l'abbaye de Saint-Denis et se fit moine, tandis qu'Héloïse se retirait au convent d'Argenteuil, où elle prit le voile. Abélard, cependant, sortit plus tard du couvent et reprit son enseignement; mais, à cause de la hardiesse de ses opinions, il fut l'objet des persécutions de ses ennemis. Accusé d'hérésie et condamné par le concile de Sens, il allait se justifier à Rome et passait par le monastère de Cluny; il s'y arrêta et, sur les exhortations de l'abbé de ce monastère, Abélard se décida à y passer le reste de sa vie. Il y mourut en 1142.

dansant avec les Ris et les Jeux, qui forment sa cour. Au milieu du jardin s'élève un rosier tout chargé de fleurs. Comme l'annonce le titre de l'ouvrage, ce rosier joue un aussi grand rôle dans le roman que le même arbuste dans le conte bien connu de la Belle et de la Bête. Cueillir

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une rose, n'est pas toujours chose facile, je ne parle point des épines, — je parle des obstacles que la nature elle-même n'a point prévus. Au moment, en effet, où l'auteur se propose de cueillir une de ces fleurs, à peine entr'rouverte et plus belle encore que toutes les autres, l'Amour qu'il n'avait pas aperçu jusque-là, sort d'une embuscade et lui décoche plusieurs flèches, lui criant de se rendre. Il obéit et présente son cœur avec sa liberté à celui qu'il vient de reconnaître pour maître. L'Amour consent à l'instruire en échange de cet hommage. Alors commence une lutte entre l'auteur et les personnages symboliques, tels que Danger, Malebouche, Félonie, Bassesse, Haine, Avarice, qui gardent le mystérieux rosier avec autant de soin que le dragon de la fable veillait sur la toison d'or. Cependant, après bien des efforts et des essais infructueux, il parvient à cueillir la rose, objet de tous ses désirs, et alors le rêve finit.

Il est difficile aujourd'hui de s'expliquer la vogue dont jouissait, au moyen âge, le Roman de la Rose. Le succès fut pourtant immense, et l'on retrouve la trace de ce succès dans les écrits, les sculptures et les tapisseries de nos aïeux. On aime à croire que les contemporains voyaient dans cette nouvelle mythologie des allusions, peut-être même des portraits qui se rapportaient à des personnages réels. De là une source d'intérêts qui s'est fermée pour nous, avec le temps. Ce roman dont nous avons perdu la clef, n'offre désormais que de froides allusions, des sentiments alambiqués et des vérités morales qui n'ont évidemment pas le mérite de la nouveauté. Ajoutez à cela un sentiment de galanterie comme

on la comprenait alors, des descriptions sans fin, des subtilités scolastiques ou cléricales, une vague recherche du mysticisme à côté de détails très-réels et même prosaïques, une pointe de satire, quelques idées hardies pour le temps, et vous aurez le Roman de la Rose, ou du moins ce qui nous en reste. Comme toutes les œuvres qui attaquent les vices et les abus de la société, il attira des persécutions à ses auteurs; comment, par exemple, des traits comme celui-ci auraient-ils trouvé grâce auprès des rois et des seigneurs de ce temps:

Les hommes se rassemblèrent,

Un grant vilain entr'eux eslurent
Le plus ossu de quanqu'ils furent
Si le firent prince et seigneur.

Ce monument, curieux au point de vue de l'archéologie littéraire, n'est d'ailleurs point un roman, comme le titre voudrait l'indiquer : c'est une allégorie. Ce genre faux florissait au moyen âge; il convient aux adolescents et aux peuples jeunes, qui n'envisagent encore la vie et le le monde moral qu'à travers des images, des symboles et des types de convention (1).

Cette ennuyeuse allégorie de plus de vingt-deux mille vers est l'ouvrage de deux auteurs, Guillaume de Lorris et Jehan de Meung, surnommé Clopinel ou le Boiteux. N'allez d'ailleurs pas croire que ces deux auteurs aient collaboré ensemble, comme nous disons aujourd'hui, - à une œuvre de si longue haleine; non, ils se sont succédé. L'inventeur, Guillaume de Lorris, vivait du

(1) Le Roman de la Rose peut être considéré comme un traité de l'art d'aimer. La rose, si difficile à ceuillir, est la femme que l'on aime et que l'on n'obtient qu'à travers mille difficultés. Il n'y a point de rose sans épines; ce proverbe, qui est surtout vrai dans le Roman de la Rose et dans la vie ordinaire, n'est pas absolument juste en botanique. Il y a une certaine espèce de roses blanches qui n'ont pas d'épines, mais aussi elles n'ont pas de parfum.

temps de saint Louis, et il mourut vers 1260. Le succès de ce poëme fut tel, qu'il excita chez un autre le désir de le continuer. Cet autre était, comme nous l'avons dit, Jehan ou Jean de Meung, qui, au moment où mourut Guillaume de Lorris, naissait dans la petite ville de Meung-sur-Loire, près d'Orléans, vers le milieu du XIIIe siècle. On ne sait presque rien de sa vie, sinon qu'il étudia l'astrologie, la géométrie, l'alchimie, l'histoire naturelle et les autres sciences plus ou moins occultes qui florissaient de son temps. Ses contemporains lui donnèrent le titre de père de l'éloquence, et J. Marot le nomme l'Ennius français. Ce fut, dit-on, sur la demande de Philippe le Bel, qu'il donna une suite au Roman de la Rose. Les satires contre les moines, les prêtres et les femmes lui firent des ennemis jusques après sa mort. Nous voudrions pouvoir ajouter que les beautés de son poëme lui firent autant d'amis ou d'admirateurs parmi les hommes de goût; mais la seconde partie du Roman de la Rose est inférieure à la première, sous le rapport de l'esprit et de la grâce.

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LES FABLIAUX.

Paral

Les fabliaux, expression de la malice française. Rutebeuf. lèle de ce poëte avec Homère. - Sa misère. - C'est au clergé qu'il s'attaque. - Où l'on peut trouver les racines de Voltaire. Distinction entre les trouvères et les philosophes. · Roman du Renard. - Quel en était l'objet. Par quoi se distinguent les fabliaux.

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Boileau a dit que : « Le français, né malin, créa le vaùdeville. » Cette malice perçait déjà dans les fabliaux qui eurent tant de vogue en France, durant tout le x1o siècle.

Le plus célèbre des trouvères qui se sont exercés dans ce genre de littérature est Rutebeuf. Il florissait sous le règne de saint Louis.

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