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Je néglige d'autres rameaux dont l'influence est aujourd'hui effacée.

Chacune de ces races a déposé une langue sur le théâtre de son occupation et de ses conquêtes.

Les Celtes ou Gaulois ont planté dans l'ancien territoire des Gaules l'idiome celtique; les Romains y ont greffé la langue latine; les Francs y ont déposé le langage tudesque ou théostique.

On a cru pendant longtemps que les Romains en s'installant dans les Gaules, à la suite des victoires de Jules César, avaient fait disparaître la langue celtique. Cette opinion, quand on l'examine de sang-froid, semble au moins peu probable. La conquête, même prolongée, change difficilement les mœurs du peuple conquis; encore moins saurait-elle balayer la langue. Il faut juger des faits anciens par les faits de l'histoire moderne. L'occupation des Indes par les Anglais et celle de l'Algérie par les Français n'ont point du tout effacé les dialectes indigènes. Des siècles et des siècles passeraient sans doute sur la tête des vainqueurs et des vaincus sans qu'un pareil résultat, peu désirable d'ailleurs, fût atteint. Des monuments certains nous affirment que la langue latine s'était fort répandue dans les villes des Gaules; elle y florissait même dans des académies dont l'histoire a perpétué le nom et illustré le souvenir. Mais tout porte à croire que l'idiome primitif s'était conservé dans les campagnes sous l'administration romaine. Les recherches de quelques linguistes modernes ont donné à cette conjecture l'autorité qui lui manquait encore. Ils ont démontré que beaucoup de racines de la langue française, qu'on avait cru provenir du latin, descendent en ligne directe de l'idiome celtique. Il était aisé de s'y tromper, car la langue latine et la langue celtique étant deux filles du sanscrit, elles avaient conservé l'une et l'autre quelques traces de leur origine.

L'influence de Rome et même celle de la Grèce sur

les destinées littéraires de la Gaule ont été considérables; nul ne songe à le nier. Mais il ne faut point accorder à l'invasion des idées étrangères, une puissance qui irait contre la nature même des choses, ni contre les lois bien connues de l'histoire. Le latin, quoique généralement parlé dans les villes, n'avait point balayé le vieil idiome celtique. Quand les Germains arrivèrent dans la Gaule du ve au vie siècle, ils y trouvèrent donc deux dialectes, peut-être même en sus un patois galloromain, qui s'était formé de la réunion des deux langues et des deux races.

Les Francs avaient une littérature, une poésie, un idiome à eux. On a retrouvé des fragments de leurs chants populaires. Il est probable qu'ils voulurent d'abord imposer leur langue au théâtre de leurs conquêtes; mais il est plus facile de soumettre les hommes par les armes que de les asservir à la forme de leurs idées, surtout quand on est barbare et qu'on n'a soimême d'autre supériorité que celle de la force.

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LANGUE ROMANE.

-

Sa formation. Ses progrès. Des monuments de cette langue. Efforts de Charlemagne pour en arrêter le cours. Recueil des vieux chants nationaux des Germains. Faveur accordée aux lettres latines par Charlemagne. - Quelle était l'idée du règne de ce roi. Comment il entrait dans la politique de Charlemagne de combattre la langue vulgaire et de créer l'unité d'idiome. Son impuissance à réaliser cette idée. Comment la langue romane prévalut malgré tout.

Du mélange de ces trois idiomes - la langue celtique, le latin et le tudesque se forma un quatrième produit qu'on a appelé la langue romane. Cette dernière langue, ou, pour mieux dire, ce patois, s'était déjà fort répandue au VIIIe siècle dans la Gaule, et même dans

une partie de l'Espagne et de l'Italie (1). Sous le règne de Charlemagne, l'idiome roman avait prévalu comme idiome vulgaire. Ce que les historiens n'ont peutêtre pas assez remarqué, ce sont les efforts de ce grand homme pour réagir contre les progrès, ou, en d'autres termes, contre l'invasion d'un dialecte qu'il regardait sans doute avec mépris. D'un côté, il fit réunir les vieux chants nationaux des Germain's, et éleva ainsi une sorte de monument posthume à la langue tudesque; de l'autre, il chercha surtout à faire refleurir les lettres latines. Ne trouvant pas d'hommes instruits dans son pays, il en fit venir de l'étranger. Avec leur concours, il s'efforça de sauver la grammaire latiné de l'oubli dont elle était ménacée par le déluge de l'idiome vulgaire.

Pour comprendre la conduite de Charlemagne dans cette circonstance, il faut sé reporter à l'idée de son règne. Cette idée était celle-ci : élever un rempart contre la barbarie. Il avaït crú y réussir en faisant alliance avec la papautě. Or, il faut se souvenir que la langue latine était la langue de l'Église. Tout ce que l'empereur faisait pour relever cette langue devait donc tourner au profit de la domination factice et violente qu'il avait imposée à la plus grande partie de l'Europe. Son édifice politique à deux têtes avait besoin d'être couronné par l'unité d'idiome.

Ce long règne ne fut d'ailleurs, d'un bout à l'autre, qu'une tentative persévérante pour relever les ruines de la civilisation romaine et pour les opposer comme une

(1) Les premiers monuments de la langue parlée dans les Gaules après l'invasion des barbares méritent peu qu'on s'y arrête, car c'est une altération assez légère, du moins quant aux racines de la langue latine. Un de ces monuments est le serment de Louis le Germanique, ́en 842. Je me demande, d'ailleurs, si ces fragments, curieux au point de vue de l'histoire et de la linguistique, donnent une idée bien exacte du patois qui avait alors cours dans le pays. Il faut se souvenir que la langue officielle devait alors différer beaucoup de la langue com

mune.

digue aux courants mêlés des diverses races germaniques. Il répudia la langue romane comme la langue de la barbarie. Né sous la dynastie franque, cet idiome bâtard faisait partie d'un ordre de choses auquel Charlemagne comptait bien superposer son génie, l'autorité sans limites de son vaste empire et la majesté renaissante des formes latines.

En cela pourtant il se trompait. Ce qu'il prenait pour un patois était le germe d'une langue; aussi tous les efforts de l'énergie humaine furent-ils impuissants à arrêter les progrès de l'idiome roman. Si informe qu'il fût, cet idiome, né de la corruption de la langue celtique, du latin et du tudesque, était dans les besoins de la nation. Il prévalut par la force des instincts populaires. La langue latine était morte avec le monde latin, et l'on ne pouvait pas plus retenir les sociétés modernes dans cette forme inanimée qu'on ne put empêcher, dans l'âge suivant, la constitution féodale de briser l'unité rêvée par Charlemagne.

Il nous reste maintenant à tracer d'une manière rapide l'histoire des développements de la langue romane.

A peine né, cet idiome vulgaire se divisa en deux rameaux l'un qui florissait dans le midi de la France, l'autre qui appartenait aux provinces du Nord.

Le premier de ces rameaux reçut le nom de langue d'oc, le second prit celui de langue d'oil (1).

A la langue d'oc se rattache la littérature des anciens troubadours; à la langue d'oil se rapportent les chants des anciens trouvères (2).

(1) Ce nom vient du signe de l'affirmation dans ces deux langues, langue d'oc (hoc), langue d'oil (hoc illud), de même qu'on a dit de l'italien langue de si et de l'allemand langue d'ya.

(2) Les mots troubadour et trouvère ont la même signification et dérivent du même mot trouver; ils ne diffèrent que dans la prononciation de la lettre v, que l'on prononce encore aujourd'hui b dans le patois du midi de la France, trouba (trouver).

Nous verrons bien lequel de ces deux dialectes a été vraiment le berceau de la langue française.

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LANGUE D'OC.

Causes de la prépondérance de la langue du Midi, ou langue d'oc. Influence de la classe bourgeoise au xe siècle.

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Effets de l'organisa

tion du pouvoir féodal. Les châteaux-forts sont de véritables acadéPoésie des troubadours. Influence des femmes sur cette

mies.

littérature. Galanterie française.

en Gascogne et en Provence.

en Italie.

troubadours.

Dante et Pétrarque.

Cours d'amour. - La chevalerie Influence de la littérature provençale Caractère religieux de la poésie des

L'amour, principale source de l'inspiration poétique.

La bravoure célébrée par le chant.

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- Bardes de Chilpéric. - Chan

son de Roland. - Cycle d'Arthur et de Charlemagne. troubadour des idées de son temps.

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dours. Caractère de cette littérature. -- Sa fin tragique. — Comment le latin s'était maintenu. A qui nous devons la conservation des auteurs classiques. — Ce qui resta de la langue romane.

L'idiome du midi arriva bien plus vite que celui du nord de la France à un certain degré de splendeur. La langue d'oc avait déjà une prosodie, une grammaire, une littérature dans un temps où la langue d'oil bégayait encore des accents informes. Il nous faut rechercher les causes d'une telle différence dans le développement que reçurent alors les deux branches de l'arbre

roman.

Sous tous les rapports, les populations du midi étaient alors beaucoup plus avancées que celles du nord de la France. Elles étaient sorties les premières de l'espèce d'anarchie dans laquelle le démembrement de la monarchie carlovingienne avait plongé les trois quarts de l'Europe. Dans les villes s'était formée une classe moyenne qui avait conservé sa liberté, et quelques réminiscences des institutions romaines. Là vivaient en

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