Page images
PDF
EPUB

rhythmes et le vocabulaire des anciens. Qu'arriva-t-il, et que devait-il arriver? Exactement ce qui avait eu lieu en France, lors de l'invasion des Francs. Les conquérants littéraires furent vaincus par leur conquète; le vieil esprit national se perpétua obstinément sous le régime nouveau, et finit par maîtriser jusqu'aux maîtres eux-mêmes. Régnier est, à son insu, l'expression la plus entière et la plus heureuse de cette revendication du sentiment gaulois. Avec lui reparaît la franchise populaire. Qu'il admire Ronsard, rien de mieux, et il y avait certainement à admirer dans cet oracle du Parnasse français; mais Mathurin Régnier eût été beaucoup plus dans l'esprit de son rôle, si, s'adressant aux anciens trouvères, il leur eût dit : « Me voici; vous me reconnaissez, j'espère : je suis un des vôtres; seulement, le temps qui fait tout croître, et surtout les langues, me permet de chanter quand vous n'avez fait que bégayer. »>

Régnier est, en effet, un poëte de la vieille souche, accru par le progrès naturel des idées et des idiomes. Ce qu'il emprunte aux anciens se fond et se combine dans sa propre inspiration. Il ne traduit pas, il n'imite pas; son vers est tout français, sans renoncer pour cela à devenir classique. Il est parmi nos anciens poëtes un de ceux qui ont le moins écrit; mais tout ce qu'il a écrit mérite de rester. Ses épîtres et ses satires abondent en traits vifs, en peintures énergiques, en sentences qui se gravent dans la mémoire.

3.

Mathurin Régnier n'avait point de système à lui en littérature; tout son art poétique peut se résumer dans ce précepte :

La verve quelquefois s'égaye en la licence.

Ce n'est point pour cela qu'il ne reconnût des maîtres,

ni qu'il n'eut ses idées à lui sur le beau; mais ces maîtres, il les voulait entiers, inspirés, dédaigneux de l'artifice. Il admire :

Ces divins esprits, hautains et relevés,

Qui des eaux d'Hélicon ont les sens abreuvés :
De verve et de fureur leur ouvrage étincelle;
De leurs vers tout divins la grâce est naturelle;

Et sont, comme l'on voit, la parfaite beauté,
Qui, contente de soi, laisse la nouveauté

Que l'art trouve au palais ou dans le blanc d'Espagne.
Rien que le naturel sa grâce n'accompagne,

Son front, lavé d'eau claire, éclate d'un beau teint;

De roses et de lis la nature l'a peint;

Et laissant là Mercure et toutes ses malices,

Les nonchalances sont ses plus grands artifices.

Ces nonchalances, qui sont quelquefois des charmes, abondent dans les vers de Mathurin Régnier. Mais où trouver ailleurs que dans un poëte de premier ordre des traits qui se détachent en lumière comme ceux-ci :

L'honneur est un vieux saint que l'on ne chôme plus.

Faire dans un écu revivre le soleil.

Méditant un sonnet, médite un évêché.
Qui pèche avec le ciel pèche honorablement.
On se couvre d'un froc pour tromper les jaloux.
Les temples aujourd'hui servent de rendez-vous.

J'en pourrais citer bien d'autres; mais, c'est tout Mathurin Régnier qu'il faut lire, si l'on tient à connaître la valeur de ses satires. Il parle la langue du peuple, qu'il élève par le souffle vrai et chaleureux de l'inspiration. C'est surtout dans les tableaux qu'il excelle: sa touche est ferme, ses couleurs sont vives et répandues, çà et là, par une main prodigue. Voyez d'ici l'avocat qui :

Une cornette au col, debout dans un parquet,

A tort et à travers va vendre son caquet!

On a dit que Mathurin Régnier n'était ni assez moraliste ni assez méchant pour être satirique. Quant à la méchanceté, j'avoue qu'il n'en avait guère; ses contemporains l'appelaient le bon Régnier, et lui-même endossait le reproche avec bonne grâce, en répondant :

Et ce surnom de bon me va-t-on reprochant,
D'autant que je n'ai pas l'esprit d'être méchant.

Oui, le poëte a dit vrai : il avait plutôt l'esprit du bien que celui du mal. Qui aurait le courage de l'en blâmer? Tout dépend, d'ailleurs, des idées qu'on se fait de la satire. Régnier n'était point satirique à la manière de Juvénal; cela est vrai. Les idées de son temps ne le portaient point à la censure âpre et violente des grands crimes ou des vices énormes, qui traversent les vieilles sociétés comme des météores. Pour écrire ce genre de satire, il eût, d'ailleurs, fallu sacrifier son repos, ses bénéfices, sa patrie, peut-être même sa vie, et le dévouement du poëte n'allait pas jusqu'à de telles extrémités. Il se contenta de peindre les vices et les ridicules, qui se rencontrent partout, et quelquefois il peint, faute de mieux, comme on l'a dit, avec de la lie et de la boue. C'est souvent plutôt de la comédie que de la satire Molière en germe. Macette est une sœur aînée de Tartufe. Elle sort de la même famille. Cette critique pourtant, qui oserait le nier, porte avec elle une leçon et un blâme sévère.

Quant à la morale, celle de Mathurin Régnier est un peu celle d'Épicure. Par expérience, il connaissait les vices, et le moyen de se fâcher tout rouge contre d'anciennes connaissances avec lesquelles on n'a pas soimême le courage de rompre? Cette critique indulgente n'était-elle pas, d'ailleurs, dans le tempérament de nos vieux poëtes français. Ils raillent plutôt qu'ils ne s'emportent. Et puis, Régnier moraliste eût-il été aussi amusant? La froideur du précepte n'eût-elle pas glacé la verve de sa poésie ardente, intrépide, incisive? En s'atta

chant surtout à la peinture extérieure des vices ou des ridicules, ne nous ménage-t-il pas le plaisir de descendre nous-mêmes dans les profondeurs du sujet et d'en tirer les conséquences? A défaut d'une morale bien précise et nerveuse, Mathurin Régnier a du moins le bon sens du génie, et ce bon sens suffit pour éclairer d'une vive lumière les sentiers qu'il ouvre dans l'obscure forêt des petitesses humaines.

Du temps de Régnier, comme nous l'avons vu, la réaction avait commencé contre Ronsard et contre la pléiade. Une nouvelle école de grammairiens chicanait le vieux poëte mort sur l'emploi des mots qu'il avait forgés. C'était la guerre des pédants contre un pédant qui avait du moins le feu sacré. Cette école inspirait très-peu d'estime à Régnier; il l'a flétrie dans ses vers avec une énergie souveraine :

Cependant leur savoir ne s'étend nullement

Qu'à regratter un mot douteux au jugement,

Prendre garde qu'un qui ne heurte une diphthongue,
Épier si des vers la rime est brève ou longue,

Ou bien si la voyelle, à l'autre s'unissant,
Ne rend point à l'oreille un vers trop languissant.

Nul aiguillon divin n'élève leur courage.
Ils rampent bassement, faibles d'inventions

Et n'osent, peu hardis, tenter les fictions;
Froids à l'imaginer, car, s'ils font quelque chose,

C'est proser de la rime, et rimer de la prose,
Que l'art lime et relime, et polit de façon

Qu'elle rend à l'oreille un agréable son.

Cette école avait pourtant un chef sur lequel le XVII siècle allait se modeler; ce chef était Malherbe.

CHAPITRE XI.

XVIe siècle,

MALHERBE.

Sa naissance.

à écrire. caractère. poëte.

des rois.

Il porta d'abord les armes.

Portrait que Balzac fait de lui.

--

Age auquel il commence Traits de la dureté de son

Manière dont il parle des femmes.

- Ses qualités comme

Son ode à Dupérier. — Seş stances sur la vanité de la grandeur Ses odes. Sa lenteur à écrire. Combien de vers il faisait Une ode arrivée trop tard à son adresse, par an. double caractère de grammairien et de poëte. Ce

[blocks in formation]

---

son influence littéraire.

que

[blocks in formation]

dit Fénélon à ce Ce qu'on doit penser de

Enfin Malherbe vint...

1.

Tout le monde connaît cet hémistiche de Boileau, et les vers dans lesquels l'auteur de l'Art poétique célèbre ce grand avénement comme une ère de renaissance pour la langue et la littérature françaises.

Ce fut à Caen, en 1555, que Jacques Malherbe, fils d'un pauvre gentilhomme, vint au monde. Il porta quelque temps les armes, disent ses biographes dans un style assez ampoulé; mais, à l'exemple d'Horace, il sus-. pendit un jour au clou sa défroque militaire, pour se consacrer entièrement aux lettres et à la poésie. C'était un esprit lent en toute chose, et la valeur poétique attendit chez lui le nombre des années. Il avait quarantesept ans lorsqu'il écrivit la première pièce de vers qui fixa l'attention du public. Cette maturité tardive explique bien, si je ne me trompe, la nature de l'homme.

Balzac, qui l'avait longtemps connu, nous a laissé de

« PreviousContinue »