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rencontres qui suivirent, qu'elle s'éprit d'une violente passion pour un homme de guerre. A lui s'adressent des poésies dans lesquelles Louise regrette l'absence ou l'infidélité de ce beau chevalier errant.

Elle n'èn épousa pas moins Ennemond Perrin, plus âgée qu'elle, riche cordier, qui lui offrit sa fortune. Le bon Ennemond Perrin était vraiment le type des maris débonnaires et complaisants. Il laissa Louise chanter ses amours et ses regrets cela, d'ailleurs, le regardait si peu !

Les œuvres de Louise Labé se composent de dialogues, de sonnets et d'élégies, qu'elle appelle ses jeunesses. Fille et femme de cordier, elle avait droit au titre de la Belle Cordière, sous lequel elle est aussi connue que sous le nom de Louise Labé. Il existe à Lyon une rue dite Belle Cordière, et dans laquelle, selon la tradition, cette femme d'esprit aurait demeuré.

Ses mœurs ont été fort attaquées, mais il s'est trouvé dans ces derniers temps, parmi les écrivains modernes, des défenseurs et des champions zélés, qui ont cherché à réhabiliter sa mémoire, et réparer l'honneur de la femme, ternie, disent-ils, par les poëtes indiscrets, et calomnié par les critiques.

Quant au talent de cette Sapho du xvre siècle, il est du moins à l'abri des mauvaises langues. Il suffira de citer une lettre de Béranger, adressée à l'éditeur des poésies de Louise Labé, M. Boisel: « J'en veux presque, dit-il, au spirituel et savant auteur de la notice, de n'avoir pas défendu plus chaudement cette bonne Louise, à qui beaucoup de péchés ont dû être remis... Je trouve plus de véritable amour dans ses sonnets que dans la plupart des vers de cette époque, dont la poésie est souvent plus maniérée que naïve. »

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vieillesse prématurée. — Sa mort. Ses talents. Comment il se place en littérature, entre l'école de Ronsard et celle de Malherbe. Son admiration pour Ronsard. Ce qu'il dit des détracteurs de la pléiade. Comment il ramène l'esprit gaulois. Caractère de ses poésies. Traits particuliers de ses compositions.

Regnier considéré comme poëte satirique et comme moraliste. Comment Régnier parle de la nouvelle école qui succède à Ronsard.

1.

La pléiade venait de s'évanouir; du Bellay, Baïf, Remi Belleau, Jean Dorat, et quelques autres astres secondaires avaient laissé le ciel libre pour d'autres constellations. Comme il arrive souvent en pareil cas, le système de Pindare, qui prêtait déjà à tant d'objections, fut encore exagéré par ses successeurs, Dubartas et Agrippa d'Aubigné (1). Le progrès, quand on est sorti du vrai,

(1) Dubartas naquit à Montfort, en 1544. Il se rendit célèbre par sa valeur à la guerre, sous le drapeau d'Henri IV, et par son habileté dans les négociations. I cultiva la poésie, et ses écrits jouirent d'un grand succès. La plus célèbre de ses compositions fut la Semaine de la Création, qui eut plus de trente éditions en six ans. On y trouve de l'imagination, mais peu de goût.

Théodore Agrippa d'Aubigné naquit en 1550, à Saint-Maurice, près de Pons, dans la Saintonge. Il fut d'abord le favori d'Henri IV; il se distingua pour son attachement pour le calvinisme et sa bravoure dans les combats. Malgré l'abjuration du roi, d'Aubigné était resté fidèle à ses

est d'y rentrer. Il devait donc paraître un poëte qui renouât les traditions violemment brisées avec l'esprit gaulois. Ce poëte parut; son nom est Mathurin Régnier.

On sait très-peu de chose sur sa vie, et il est facile d'en expliquer la raison. Cette vie n'étant pas très-édifiante, le poëte n'avait point d'intérêt à la montrer. Par ses mœurs, ses amours faciles et ses rondes de nuit dans les quartiers suspects, Mathurin Régnier se rattachait à l'école de Villon et des autres vauriens qui avaient illustré l'aurore de notre littérature. Seulement, plus heureux que Villon, il ne volait point, et il ne risqua pas d'être pendu.

Il naquit à Chartres, le 15 décembre 1573. Ses parents le destinaient, bon gré mal gré, à l'état ecclésiastique. Il fut, en conséquence, tonsuré à neuf ans : puis, grâce à ses talents (car ce n'était pas certainement à cause de ses vertus), il obtint une pension de deux mille livres sur l'abbaye de Vaux-de-Cernay, et un canonicat à Chartres. Il fit, comme on devait s'y attendre, un usage assez profane des biens de l'Église; le cabaret, les tripots et d'autres lieux qu'on n'ose nommer, en surent quelque chose. Ce qui venait de l'autel tomba ainsi plus d'une fois dans la main du diable. Ce qui étonne, c'est que cette vie licencieuse n'altéra ni l'élévation de ses idées, ni l'ardeur du sentiment poétique. Après une nuit passée dans d'obscurs repaires, il n'en saluait pas moins en

opinions religieuses. Après la mort d'Henri IV, il rentra dans la retraite et se livra à la culture des lettres. On a de lui: Histoire universelle, Histoire de Théodore Agrippa-d'Aubigné écrite par lui-même, des satires, un poëme satirique intitulé les Tragiques, etc. La fermeté et la loyauté étaient le fond de son caractère. On raconte qu'ayant été fait prisonnier par Saint-Luc, dans la guerre civile, il obtint la permission d'aller passer quelques jours à Larochelle sur parole. Étant dans cette ville, il apprit que Catherine de Médicis avait donné l'ordre de sa mort; cela ne l'empêcha pas de revenir se constituer prisonnier au jour fixé. Il fut grandpère de la célèbre madame de Maintenon. Il mourut en 1650, à Genève, où il s'était réfugié, fuyant la persécution religieuse.

vers magnifiques les beautés vierges du soleil levant, sur les toits du vieux Paris.

L'extrait suivant donnera une idée de la manière dont il comprenait la vie :

Que me sert de m'asseoir le premier à la table,

Si la faim d'en avoir me rend insatiable,

Et si le faix léger d'une double évêché,

Me rendant moins content, me rend plus empêché?
Si la gloire et la charge, à la peine adonnée,
Rend sans l'ambition mon âme infortunée?
Et quand la servitude a pris l'homme au collet,
J'estime que le prince est moins que son valet.
C'est pourquoi je ne tends à fortune si grande :
Loin de l'ambition la sagesse commande;

Et ne prétend avoir autre chose, sinon
Qu'un simple bénéfice et quelque peu de nom,
Afin de pouvoir vivre avec quelque assurance
Et de m'ôter mon bien que l'on ait conscience.
Alors, vraiment heureux, les livres feuilletant,
Je rendrais mon désir et mon esprit content.

Vieux à trente ans, il mourut à quarante (1615).— Les biographes ajoutent qu'il était usé par la débauche.

2.

Régnier était un fort mauvais chanoine, mais c'était un grand poëte. Le xvIIe siècle le méconnut ou ne lui rendit qu'un incomplet hommage. Le xvine semble l'avoir oublié; mais, au moment ou l'école littéraire de 1820 se cherchait des patrons, des auxiliaires dans le passé, son nom fut un de ceux qui figurèrent au premier rang. C'était justice, car nul plus que lui ne frappa la langue française d'un cachet ferme et original. Il nous faut expliquer nettement sa place entre l'école de Ronsard, qui venait à peu près de finir, et l'école classique, dont Malherbe allait être le précurseur. Les deux poëtes — qu'on ne s'y trompe pas - vécurent presque en même temps;

Régnier naquit même après Malherbe. Mais, entre l'un et l'autre, il y a dans l'histoire des idées françaises une distance que les dates ne sauraient effacer.

Mathurin Régnier croyait de bonne foi continuer Ronsard, ou, du moins, il témoignait pour ce poëte une admiration sincère, et, à certains égards, bien justifiée. Laissons-le, d'ailleurs, s'expliquer lui-même, et railler, avec sa verve habituelle, les détracteurs de la pléiade française; à les entendre, dit le poëte:

.

Ronsard en son métier n'était qu'un apprentif;
Il avait le cerveau fantastique et rétif.
Desportes n'est pas net, du Bellay trop facile,
Belleau ne parle pas comme on parle à la ville :
Il a des mots hargneux, bouffis et relevés,
Qui du peuple aujourd'hui ne sont plus approuvés,

Pensent-ils, des plus vieux offensant la mémoire,
Par le mépris d'autrui s'acquérir de la gloire,
Et, pour quelque vieux mot étrange et de travers,
Prouver qu'ils ont raison de censurer leurs vers?

Puis vient cette boutade amusante :

« Si Virgile, le Tasse et Ronsard sont des ànes
Sans perdre en ces discours le temps que nous perdons
Allons comme eux aux champs et broutons les chardons. »

Pourtant Régnier se trompait lui-même; il ne continuait rien que la liberté de l'esprit français. En fait, il commençait une ère nouvelle, si l'on peut donner ce nom à l'alliance de l'érudition et de la bonne verve gauloise. En quoi donc s'éloignait-il de Ronsard et de son école? C'est là ce qu'il faut chercher. Les réformateurs littéraires du xvIe siècle, tout en se déclarant les légitimes successeurs des Grecs et des Romains, avaient un peu agi à la manière des Barbares. Ils s'étaient élancés sur les langues et la poésie françaises comme sur un pays conquis. Maîtres du sol sans trop de résistance, ils avaient imposé à leur nouvel empire les genres, les

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