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personnes furent immolées par cette vengeance qui prenait le nom de justice. A la vue de pareilles horreurs, le sang de la Boétie s'enflamma; dans un coin de la ville, livrée aux bourreaux et aux tribunaux arbitraires il écrivit, pour ainsi dire à la lueur des bûchers, son Discours sur la servitude Volontaire ou le contre un. Il n'avait alors que dix-huit ans.

Ce livre attaque la tyrannie des grands; c'est un appel au peuple pour qu'il brise ses fers et qu'il renverse ses oppresseurs en lui faisant connaître sa force et leur faiblesse.

De ce livre brûlant, indigné, profond et tout à fait extraordinaire pour le temps auquel il a été écrit, je ne détacherai que deux fragments:

<< S'il y a rien de clair et d'apparent dans la nature et en quoi il ne soit pas permis de faire l'aveugle, c'est que la nature, le ministre de Dieu, et la gouvernante des hommes, nous a tous faits de même forme et comme il semble à même moule, afin de nous entre-connaître tous pour compagnons ou plutôt pour frères. Et si, faisant le partage des présents quelle nous donnait, elle a fait quelques avantages de son bien, soit au corps, soit à l'esprit, aux uns plus qu'aux autres, elle n'a pas entendu pour cela nous mettre dans ce monde comme dans un champ clos et n'a pas envoyé ici-bas les plus forts et les plus avilis comme des brigands armés dans une forêt pour y gourmander les plus faibles. Mais plutôt faut-il croire que faisant ainsi aux uns les parts plus grandes, et aux autres plus petites, elle voulait faire place à la fraternelle affection, afin qu'elle eût à s'employer, les uns ayant puissance de donner aide et les autres besoin d'en recevoir... Il ne faut pas faire doute que nous soyons tous libres, puisque nous sommes tous compagnons, et il ne peut tomber dans l'entendement de personne que nature ait mis en nous aucune servitude, nous ayant tous mis en compagnie. »>

Qui ne découvre dans ces lignes éloquentes le germe des idées de Jean-Jacques Rousseau sur l'inégalité des conditions humaines?

Ailleurs, il s'étonne que « tant d'hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations endurent quelquefois un tyran seul, qui n'a puissance que celle qu'on lui donne; qui n'a pouvoir de leur nuire, sinon de tant qu'ils ont vouloir de l'endurer? Quel malheur, ou plutôt quel malheureux vice, voir un nombre infini non pas obéir, mais servir; non pas être gouvernés, mais tyrannisés; n'ayant ni biens ni enfants, ni leur vie même qui soit à eux... Celui qui nous maîtrise n'a pourtant que deux yeux, n'a que deux mains, n'a qu'un corps... D'où a-t-il pris tant d'yeux d'où il vous épie, si vous ne les lui donnez? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper s'il ne les prend de vous? Les pieds dont il foule vos cités, d'où les a-t-il, s'ils ne sont vôtres? Comment a-t-il aucun pouvoir sur vous, que par vous autres mêmes? Comment vous oserait-il courir sus, s'il n'avait intelligence avec vous? Que vous pourrait-il faire, si vous n'étiez recéleurs du larron qui vous pille, complices du meurtrier qui vous tue, et traîtres de vous-mêmes? Vous semez vos fruits afin qu'il en fasse le dégât; vous meublez, remplissez vos maisons, pour fournir à ses voleries. Vous nourrissez vos filles, afin qu'il ait de quoi soûler sa luxure; vous nourrissez vos enfants afin qu'il les mène, pour mieux qu'il en fasse, en ses guerres, qu'il les mène à la boucherie... De tant d'indignités que les bêtes même, ou ne sentiraient point on n'endureraient point, vous pouvez vous en délivrer, si vous essayez, non pas de vous en délivrer, mais seulement de le vouloir faire. Soyez résolus de ne plus servir et vous voilà libres. Je ne veux pas que vous le poussiez, ni l'ébranliez, mais seulement ne le soutenez plus : vous le verrez, comme un grand colosse à qui on a dérobé sa base, de son poids même fondre en bas et se rompre. »

C'est ainsi que s'exprimait le jeune Caïus Gracchus du xvie siècle.

La révolution française retrouvera ce langage- mais deux siècles plus tard-sous la plume ingénue, ferme et âpre de Saint-Just.

La Boétie, en effet, est à peu près le seul écrivain qui, bien longtemps avant l'époque de la révolution, offre un caractère véritablement républicain.

Le Discours sur la servitude volontaire eut l'honneur d'être réimprimé sous le règne de Louis-Philippe avec une préface de Lamennais. Le style seul avait un peu vieilli; les idées, au contraire, se trouvaient merveilleusement appropriées aux luttes de partis qui divisaient alors la France. Il en était de ce livre comme de ces armes qu'on trouve dans un tombeau et dont il suffit d'effacer la rouille pour leur redonner le tranchant.

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Ses premières études. Ses plaintes à ce sujet. Ce que fut pour lui le payage des bords de la Loire. Comment il fut poëte. qu'était son père. — Marot avocat et amoureux. Sa carrière militaire. Marot à la cour de François Ier. Ce qu'il y apprend. — Incident survenu à la cour. Le comte de Saint-Vallier. Diane de Poitiers. Victor Hugo et le Roi s'amuse. Marot amoureux de Diane. Marot à la bataille de Pavie. Ses chants amoureux pour Diane. Dédain de Diane. — Dépit du poëte et ses malédictions. - Vengeance de Diane. d'amour. Un baiser donné à la reine de Navarre.

-

Marot prisonnier.

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quitter la cour. — Persécution religieuse.-Renée de France.- Madame de Soubise. Traduction des Psaumes. - Nouvelle persécution. - Son - Ce que Marot personnifie. — Ses écrits. Caractère de sa muse.

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Clément Marot vint au monde en 1495, à Cahors, en Quercy, où il resta jusqu'à l'âge de dix ans. Ses premières études, qu'il fit selon le goût du temps, lui laissèrent un triste souvenir. Il a parlé, dans l'automne de sa vie, avec amertume des régents de son temps, lesquels étaient, à l'en croire, « de grandes bêtes. » Le poëte leur reproche, non sans aigreur, « d'avoir perdu sa jeunesse. » On retrouve, dans ces plaintes de l'écolier devenu homme, un peu de la mauvaise humeur que Victor

Hugo a fait éclater de nos jours, dans ses vers contre les pédants de collége.

Si Clément Marot apprit peu à l'école des régents, il apprit beaucoup à l'école de la nature. Son véritable instituteur fut le paysage des bords de la Loire, au milieu duquel s'écoula sa seconde enfance. « Je ressemblais, nous dit-il, dans le printemps de ma folle jeunesse, à l'hirondelle qui vole çà et là. » Tantôt c'était dans la forêt qu'il allait cueillir le houx, ou prendre avec la glu les oiseaux à beau plumage; tantôt c'était sur la montagne ou dans les vallées profondes qu'il cherchait le gîte des fouines, des hérissons ou des blanches hermines. Il apprit à traverser les rivières, à chasser les loups et à abattre les noix : « O combien de fois, s'écrie-t-il, j'ai grimpé aux arbres pour dénicher la pie ou le geai ou pour jeter des fruits mûrs à mes compagnons qui tendaient leurs chapeaux ! » C'est là, c'est-à-dire au milieu des bois, des champs, des vergers qu'il rencontra la poésie. Tout jeune, «< il faisait déjà quelques notes. >> Clément Marot, revenant plus tard, par la pensée, sur ces charmants souvenirs d'enfance, se demandait à luimême si c'était la nature ou sa fortune qui l'avait fait poëte: « Je suis certain, ajoute-t-il, que ce furent toutes les deux. >>

Le père de Clément Marot, que celui-ci désigne sous le nom du «bon Jannot, » voyant son fils converser ainsi avec les arbres et les oiseaux, en conclut que, «< quelque jour, il ferait des chansons. » Le bon vieillard, qui était poëte lui-même (1), cultiva les dispositions de l'enfant.

(1) Jean Marot était né à Mathieu, près de Caen. Il fut valet de chambre et secrétaire d'abord d'Anne de Bretagne, ensuite de Louis XII et enfin de François 1er. I composa deux poëmes pour célébrer l'expédition d'Italie conduite par Louis XII, et fut lui-même présent à cette expédition. Ils portent le titre de Voyage de Gênes, Voyage de Venise. Il fit des épîtres, des rondeaux, et chanta surtout François Ier.

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