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Veut quitter pour un temps ce séjour solitaire.
Que ce cruel dessein lui causa de douleurs!

Un jour que son amant la voyoit tout en pleurs,
Déesse, lui dit-il, qui causez mes alarmes,
Quel ennui si profond vous oblige à ces larmes?
Vous aurois-je offensée? ou ne m'aimez-vous plus?
Ah! dit-elle, quittez ces soupçons superflus;
Adonis tâcheroit en vain de me déplaire:

Ces pleurs naissent d'amour, et non pas de colere.
D'un déplaisir secret mon cœur se sent atteint:
Il faut que je vous quitte, et le sort m'y contraint;
Il le faut. Vous pleurez! Du moins, en mon absence,
Conservez-moi toujours un cœur plein de constance;
Ne pensez qu'à moi seule; et qu'un indigne choix
Ne vous attache point aux Nymphes de ces bois:
Leurs fers après les miens ont pour vous de la honte.
Sur-tout de votre sang il me faut rendre compte.
Ne chassez point aux ours, aux sangliers, aux lions;
Gardez-vous d'irriter tous ces monstres felons:
Laissez les animaux qui, fiers et pleins de rage,
Ne cherchent leur salut qu'en montrant leur courage;
Les daims et les chevreuils, en fuyant devant vous,
Donneront à vos sens des plaisirs bien plus doux.
Je vous aime, et ma crainte a d'assez justes causes:
Il sied bien en amour de craindre toutes choses.
Que deviendrois-je, hélas! si le sort rigoureux
Me privoit pour jamais de l'objet de mes vœux!...
Là, se fondant en pleurs, on voit croître ses charmes.
Adonis Ini répond seulement par des larmes.
Elle ne peut partir de ces aimables lieux;
Cent humides baisers achevent ses adieux.
O vous, tristes plaisirs où leur ame se noie,
Vains et derniers efforts d'une imparfaite joie,
Moments pour qui le sort rend leurs vœux superflus,
Délicieux moments, vous ne reviendrez plus!
Adonis voit un char descendre de la nue:

Cythérée y montant disparoît à sa vue.

C'est en vain que des yeux il la suit dans les airs;
Rien ne s'offre à ses sens que l'horreur des déserts.
Les vents, sourds à ses cris, renforcent leur haleine:
Tout ce qu'il vient de voir lui semble une ombre vaine.
Il appelle Vénus, fait retentir les bois,

Et n'entend qu'un écho qui répond à sa voix
C'est lors que, repassant dans sa triste mémoire
Ce que naguere il eut de plaisirs et de gloire,
Il tâche à rappeler ce bonheur sans pareil:
Semblable à ces amants trompés par le sommeil,
Qui rappellent en vain pendant la nuit obscure
Le souvenir confus d'une douce imposture.
Tel Adonis repense à l'heur qu'il a perdu;
Il le conte aux forêts, et n'est point entendu :
Tout ce qui l'environne est privé de tendresse;
Et, soit que des douleurs la nuit enchanteresse
Plonge les malheureux au suc de ses pavots,
Soit que l'astre du jour ramene leurs travaux,
Adonis sans relâche aux plaintes s'abandonne;
De sanglots redoublés sa demeure résonne.
Cet amant toujours pleure, et toujours les Zéphyrs
En volant vers Paphos sont chargés de soupirs.
La molle oisiveté, la triste solitude,
Poisons dont il nourrit sa noire inquiétude,
Le livrent tout entier au vain ressouvenir
Qui le vient malgré lui sans cesse entretenir.
Enfin, pour divertir l'ennui qui le possede,
On lui dit que la chasse est un puissant remede.
Dans ces lieux pleins de paix, seul avecque l'amour
Ce plaisi occupoit les héros d'alentour.
Adonis les assemble, et se plaint de l'outrage
Que ces champs ont reçu d'un sanglier plein de rage.
Ce tyran des forêts porte par-tout l'effroi;
Il ne peut rien souffrir de sûr autour de soi:
L'avare laboureur se plaint à sa famille

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Que sa dent a détruit l'espoir de la faucille;
L'un craint pour ses vergers, l'autre pour ses guérets
Il foule aux pieds les dons de Flore et de Cérès:
Monstre énorme et cruel, qui souille les fontaines,
Qui fait bruire les monts, qui désole les plaines,
Et, sans craindre l'effort des voisins alarmés,
S'apprête à recueillir les grains qu'ils ont semės.
Tâcher de le surprendre est tenter l'impossible;
Il habite en un fort épais, inaccessible.
Tel on voit qu'un brigand fameux et redouté
Se cache après ses vols en un antre écarté,
Fait des champs d'alentour de vastes cimetieres,
Ravage impunément des provinces entieres,
Laisse gronder les lois, se rit de leur courroux,
Et ne craint point la mort, qu'il porte au sein de tous:
L'épaisseur des forêts le dérobe aux supplices.
C'est ainsi que ce monstre a ces bois pour complices.
Mais le moment fatal est enfin arrivé

Où, malgré sa fureur, en son sang abreuvė,
Des dégâts qu'il a faits il va payer l'usure.
Hélas! qu'il vendra cher sa mortelle blessure!

Un matin que l'Aurore au teint frais et riant
A peine avoit ouvert les portes d'orient,
La jeunesse voisine autour du bois s'assemble:
Jamais tant de héros ne s'étoient vus ensemble.
Anténor le premier sort dès bras du sommeil,
Et vient au rendez-vous attendre le soleil;
La déesse des bois n'est point si matinale:
Cent fois il a surpris l'amante de Céphale;
Et sa plaintive épouse a maudit mille fois
Les veneurs et les chiens, le gibier et les bois
Il est bientôt suivi du satrape Alcamene,
Dont le long attirail couvre toute la plaire.
C'est en vain que ses gens se sont chargés de rets;
Leur nombre est assez grand pour cejadre les forêts.
On y voit arriver Bronte au cœur indomtable,

Et le vieillard Capys, chasseur infatigable,
Qui, depuis son jeune âge ayant aimé les bois,
Rend et chiens et veneurs attentifs à sa voix.
Si le jeune Adonis l'eût aussi voulu croire,
Il n'auroit pas sitôt traversé l'onde noire.
Comment l'auroit-il cru, puisqu'en vain ses amours
L'avoient sollicité d'avoir soin de ses jours?
Par le beau Callion la troupe est augmentée.
Gilipe vient après, fils du riche Acantée.

Le premier, pour tous biens, n'a que les dons du corps;
L'autre, pour tous appas, possede des trésors.
Tous deux aiment Chloris, et Chloris n'aime qu'elle
Ils sont pourtant parés des faveurs de la belle.
Phlegre accourt, et Mimas, Palmire aux blonds che-

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Le robuste Crantor aux bras durs et nerveux,
Le Lycien Télame, Agénor de Carie,

Le vaillant Triptoleme honneur de la Syrie,
Paphe expert à lutter, Mopse à lancer le dard,
Lycaste, Palémon, Glauque, Hilus, Amilcar;
Cent autres que je tais, troupe épaisse et confuse :
Mais peut-on oublier la charmante Aréthuse,
Aréthuse au teint vif, aux yeux doux et perçants,
Qui pour le blond Palmire a des feux innocents?
On ne l'instruisit point à manier la laine;

Courir dans les forêts, suivre un cerf dans la plaine,
Ce sont tous ses plaisirs : heureuse si son cœur
Eût pu se garantir d'amour comme de peur!
On la voit arriver sur un cheval superbe
Dont à peine les pas sont imprimés sur l'herbe ;
D'une charge si belle il semble glorieux:
Et, comme elle, Adonis attire tous les yeux:
D'une fatale ardeur déja son front s'allume;
Il marche avec un air plus fier que de contume.
Tel Apollon marchoit quand l'énorme Python
L'obligea de quitter l'ombre de l'Hélicon.

Par l'ordre de Capys la troupe se partage.
De tant de gens épars le nombreux équipage,
Leurs cris, l'aboi des chiens, les cors mêlés de voix,
Annoncent l'épouvante aux hôtes de ces bois :
Le ciel en retentit, les échos se confondent,
De leurs palais voûtés tous ensemble ils répondent.
Les cerfs au moindre bruit à se sauver si prompts,
Les timides troupeaux des daims aux larges fronts,
Sont contraints de quitter leurs demeures secretes:
Le bois n'a plus pour eux d'assez sombres retraites.
On court dans les sentiers, on traverse les forts;
Chacun, pour les percer, redouble ses efforts.

Au fond du bois croupit une eau dormante et sale:
Là, le monstre se plaît aux vapeurs qu'elle exhale;
Il s'y vautre sans cesse, et chérit un séjour
Jusqu'alors ignoré des mortels et du jour.
On ne l'en peut chasser; du souci de sa vie
Bien plus à sa valeur qu'à sa fuite il se fie.
Les cors ont beau sonner, l'air a beau retentir;
Rien ne sauroit encor l'obliger à partir.
Cependant les destins hâtent sa derniere heure.
Dryope la premiere évente sa demeure:
Les autres chiens, par elle aussitôt avertis,
Répondent à sa voix, frappent l'air de leurs cris,
Entraînent les chasseurs, abandonnent leur quête;
Toute la meute accourt, et vient lancer la bête,
S'anime en la voyant, redouble son ardeur:
Mais le fier animal n'a point encor de peur.
Le coursier d'Adonis, né sur les bords du Xanthe,
Ne peut plus retenir son ardeur violente:
Une jument d'Ida l'engendra d'un des vents;
Les forêts l'ont nourri pendant ses premiers ans.
Il ne craint point des monts les puissantes barrieres,
Ni l'aspect étonnant des profondes rivieres,
Ni le penchant affreux des rocs et des vallons;
D'haleine en le suivant manquent les aquilous.

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