Page images
PDF
EPUB

L'ambition, l'envie, avec les consultants,
Dans la succession entrent en même temps.
On en vient au partage, on conteste, on chicane :
Le juge sur cent points tour-à-tour les condamne.
Créanciers et voisins reviennent aussitôt,

Ceux-là sur une erreur, ceux-ci sur un défant.
Les freres désunis sont tons d'avis contraire:
L'un veut s'accommoder, l'autre n'en vent rien faire.
Tous perdirent leur bien, et voulurent trop tard
Profiter de ces dards unis, et pris à part.

XIX. L'Oracle et l'Impie.

VOULOIR tromper le ciel, c'est folie à la terre

Le dédale des cœurs en ses détours n'enserre
Rien qui ne soit d'abord éclairé par les dieux::
Tout ce que l'homme fait, il le fait à leurs yeux,
Même les actions que dans l'ombre il croit faire,

Un paien, qui sentoit quelque peu le fagot,
Et qui croyoit en Dieu, pour user de ce mot
Par bénéfice d'inventaire,

Alla consulter Apollon.

Dès qu'il fut en son sanctuaire:

Ce que je tiens, dit-il, est-il en vie, ou non ?
Il tenoit un moineau, dit-on,
Prêt d'étouffer la pauvre bête,

Ou de la lâcher aussitôt,

Pour mettre Apollon en défaut.

Apollon reconnut ce qu'il avoit en tête :

Mort ou vif, lui dit-il, montre-nous ton moineau,

Et ne me tends plus de

panneau;

Tu te trouverois mal d'un pareil stratagême: M Je vois de loin, j'atteins de même.

X X. L'Avare qui a perdu son trésor.

L'USAGE seulement fait la possession.

Je demande à ces gens de qui la passion

Est d'entasser toujours, mettre somme sur somme, Quel avantage ils ont que n'ait pas un autre homme. Diogene là-bas est aussi riche qu'eux ;

Et l'avare ici-haut, comme lui, vit en gueux. L'homme au trésor caché, qu'Esope nous propose, Servira d'exemple à la chose.

Ce malheureux attendoit

Pour jouir de son bien une seconde vie ;
Ne possédoit pas l'or, mais l'or le possédoit.
Il avoit dans la terre une somme enfouïe,
Son cœur avec, n'ayant autre déduit
Que d'y ruminer jour et nuit,

Et rendre sa chevance à lui-même sacrée.

Qu'il allât ou qu'il vînt, qu'il bût ou qu'il mangeât,
On l'eût pris de bien court à moins qu'il ne songeât
A l'endroit où gisoit cette somme enterrée.
Il y fit tant de tours, qu'un fossoyeur le vit,
Se douta du dépôt, l'enleva sans rien dire.
Notre avare un beau jour ne trouva que le nid.
Voilà mon homme aux pleurs : il gémit, il soupire,
Il se tourmente, il se déchire.

Un passant lui demande à quel sujet ses cris.=
C'est mon trésor que l'on m'a pris. =

Votre trésor! où pris? Tout joignant cette pierre.:

>Eh! sommes-nous en temps de guerre

Pour l'apporter si loin? N'eussiez-vous pas mieux fait De le laisser chez vous en votre cabinet,

Que de le changer de demeure?

Vous auriez pu sans peine y puiser à toute heure.= A toute heure! bons dieux! ne tient-il qu'à cela ? L'argent vient-il comme il s'en va?

=

Je n'y touchois jamais. Dites-moi donc, de grace,
Reprit l'autre, pourquoi vous vous affligez tant:
Puisque vous ne touchiez jamais à cet argent,
Mettez une pierre à la place,
Elle vous vaudra tout autant.

XXI. L'Oeil du Maître.

UN cerf s'étant sauvé dans une étable à bœufs

Fut d'abord averti par eux

Qu'il cherchât un meilleur asyle.

Mes freres, leur dit-il, ne me décelez pas.
Je vous enseignerai les pâtis les plus gras;
Ce service vous peut quelque jour être utile.
Et vous n'en aurez point regret.

Les bœufs, à toute fin, promirent le secret.
Il se cache en un coin, respire, et prend courage.
Sur le soir on apporte herbe fraîche et fourrage,
Comme l'on faisoit tous les jours:

L'on va, l'on vient, les valets font cent tours,
L'intendant même ; et pas un d'aventure

N'apperçut ni cor, ni ramure,

Ni cerf enfin. L'habitant des forêts

Rend déja grace aux bœufs, attend dans cette étable
Que, chacun retournant au travail de Cérès,
Il trouve pour sortir un moment favorable.
L'un des bœufs ruminant lui dit : Cela va bien: 1
Mais quoi! l'homme aux cent yeux n'a pas fait sa re-
vue;

Je crains fort pour toi sa venue:
1, pauvre cerf, ne te vante de rien.

Jusques-là,

Là-dessus le maître entre, et vient faire sa ronde.
Qu'est-ce ci? dit-il à son monde,

Je trouve bien peu d'herbe en tous ces rateliers.
Cette litiere est vieille, allez vite aux greniers.
Je veux voir désormais vos bêtes mieux soignées.
Que coûte-il d'ôter toutes ces araignées ?

Ne sauroit-on ranger ces jougs et ces colliers.
En regardant à tout il voit une autre tête
Que celles qu'il voyoit d'ordinaire en ce lieu.
Le cerf est reconnu : chacun prend un épieu;
Chacun donne un coup à la bête.

Ses larmes ne sauroient la sauver du trépas.
On l'emporte, on la sale, on en fait maint repas,
Dont maint voisin s'éjouit d'être.

Phedre sur ce sujet dit fort élégamment :

Il n'est, pour voir, que l'œil du maître. Quant à moi, j'y mettrois encor l'œil de l'amant.

XXII. L'Alouette et ses Petits, avec le Maître d'un champ.

NE t'attends qu'à toi seul : c'est un communproverbe. Voici comme Esope lë mit

En crédit.

Les alonettes font leur nid

Dans les blés quand ils sont en herbe,
C'est-à-dire environ le temps

Que tout aime, et que tout pullule dans le monde
Monstres marins au fond de l'onde,

Tigres dans les forêts, alouettes aux champs.
Une pourtant de ces dernieres

Avoit laissé passer la moitié d'un printemps

[ocr errors]

San goûter le plaisir des amours printanieres.
A toute force enfin elle se résolut

D'imiter la nature, et d'être mere encore.
Elle bâtit un nid, pond, couve, et fait éclore,
A la hâte : le tout alla du mieux qu'il put.
Les blés d'alentour mûrs avant que la nitée
Se trouvât assez forte encor

Pour voler et prendre l'essor,

De mille soins divers l'alouette agitée
S'en va chercher pâture, avertit ses enfants
D'être toujours au guet et faire sentinelle.
Si le possesseur de ces champs

Vient avecque son fils, comme il viendra, dit-elle,
Ecoutez-bien: selon ce qu'il dira,
Chacun de nous décampera.

Sitôt

que l'alouette eut quitté sa famille,

Le possesseur du champ vient avecque son fils. Ces blés sont mûrs, dit-il; allez chez nos amis Les prier que chacun, apportant sa faucille, Nous vienne aider demain dès la pointe du jour. Notre alouette de retour

Trouve en alarme sa couvée.

L'un commence : Il a dit que, l'aurore levée,
L'on fit venir demain ses amis pour l'aider.
S'il n'a dit que cela, repartit l'alouette,

Rien ne nous presse encor de changer de retraite :
Mais c'est demain qu'il faut tout de bon écouter.
Cependant soyez gais : voilà de quoi manger.
Eux repus, tout s'endort, les petits et la mere.
L'aube du jour arrive, et d'amis point du tout
L'alouette à l'essor, le maître s'en vient faire
Sa ronde ainsi qu'à l'ordinaire.

Ces blés ne devroient pas, dit-il, être debout.
Nos amis ont grand tort, et tort qui se repose
Sur de tels paresseux, à servir ainsi lents.

Mon fils, allez chez nos parents

« PreviousContinue »