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Il a la voix perçante et rude,

Sur la tête un morceau de chair,
Une sorte de bras dont il s'éleve en l'air
Comme pour prendre sa volée,
La queue en panache étalée.

Or c'étoit un cochet dont notre souriceau
Fit à sa mere le tableau

Comme d'un animal venu de l'Amérique.
Il se battoit, dit-il, les flancs avec ses bras,
Faisant tel bruit et tel fracas,

Que moi, qui grace aux dieux de courage me pique, En ai pris la fuite de peur,

Le maudissant de très bon cœur.

Sans lui j'aurois fait connoissance

Avec cet animal qui m'a semblé si doux :
Il est velouté comme nous,

Marqueté, longue queue, une humble contenance,
Un modeste regard, et pourtant l'œil luisant.
Je le crois fort sympathisant

Avec messieurs les rats: car il a des oreilles
En figure aux nôtres pareilles.

Je l'allois aborder, quand d'un son plein d'éclat
L'autre m'a fait prendre la fuite.

Mon fils, dit la souris, ce doucet est un chat,
Qui, sous son minois hypocrite,

Contre toute ta parenté

D'un malin vouloir est porté.

L'autre animal, tout au contraire,

Bien éloigné de nous mal faire,

Servira quelque jour peut-être à nos repas.
Quant au chat, c'est sur nous qu'il fonde sa cuisine.

Garde-toi, tant que tu vivras,
De juger des gens sur la mine.

Et

Non pas, dit le vieillard, qui prit d'abord le large. que m'importe donc, dit l'âne, à qui je sois? Sauvez-vous, et me laissez paître.

Notre ennemi, c'est notre maître :
Je vous le dis en bon françois.

X. Le Cerf se voyant dans l'eau.

DANS

ANS le crystal d'une fontaine

Un cerf se mirant autrefois

Louoit la beauté de son bois,

Et ne pouvoit qu'avecque peine
Souffrir ses jambes de fuseaux,

Dont il voyoit l'objet se perdre dans les eaux.
Quelle proportion de mes pieds à ma tête !
Disoit-il en voyant leur ombre avec douleur :
Des taillis les plus hauts mon front atteint le faîte ;
Mes pieds ne me font point d'honneur
Tout en parlant de la sorte,

Un limier le fait partir.
Il tâche à se garantir;

Dans les forêts il s'emporte :
Son bois, dommageable ornement,
L'arrêtant à chaque moment,

Nuit à l'office que lui rendent

Ses pieds, de qui ses jours dépendent.
Il se dédit alors, et maudit les présents
Que le ciel lui fait tous les ans.

Nous faisons cas du beau, nous méprisons l'utile:
Et le beau souvent nous détruit.

Ce cerf blâme ses pieds qui le rendent agile.
Il estime un bois qui lui nuit

X. Le Lievre et la Tortue.

RIEN ne sert de courir : il faut partir à point.

Le lievre et la tortue en sont un témoignage.

Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point
Sitôt que moi ce but Sitôt ! êtes-vous sage?
Repartit l'animal léger :

Ma commere, il vous faut purger
Avec quatre grains d'ellébore.
Sage ou non, je parie encore.
Ainsi fut fait; et de tous deux
On mit près du but les enjeux.
Savoir quoi, ce n'est pas l'affaire,
Ni de quel juge l'on convint.

Notre lievre n'avoit que quatre pas à faire;
J'entends de ceux qu'il fait lorsque, près d'être atteint,
Il s'éloigne des chiens, les renvoie aux calendes,
Et leur fait arpenter les landes.

Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
Pour dormir, et pour écouter

D'où vient le vent, il laisse la tortue.
Aller son train de sénateur.
Elle part, elle s'évertue :

Elle se hâte avec lenteur.
Lui cependant méprise une telle victoire,
Tient la gageure à peu de gloire,
Croit qu'il y va de son honneur
De partir tard. Il broute, il se repose,
Il s'amuse à tout autre chose

Qu'à la gageure. A la fin, quand il vit

Que l'autre touchoit presque au bout de la carriere, Il partit comme un trait. Mais les élans qu'il fit

Furent vains: la tortue arriva la premiere.
He bien! lui cria-t-elle, avois-je pas
raison

De quoi vous sert votre vitesse ?
Moi l'emporter ! et que seroit-ce
Si vous portiez une maison ?

X I. L'Ane et ses Maîtres.

L'ANE d'un jardinier se plaignoit au Destin

De ce qu'on le faisoit lever devant l'aurore.
Les coqs, lui disoit-il, ont beau chanter matin,
Je suis plus matineux encore.

Et pourquoi ? pour porter des herbes au marché !
Belle nécessité d'interrompre mon somme!

Le Sort, de sa plainte touché,

Lui donne un autre maître; et l'animal de somme
Passe du jardinier aux mains d'un corroyeur.
La pesanteur des peaux et leur mauvaise odeur
Eurent bientôt choqué l'impertinente bête.
J'ai regret, disoit-il, à mon premier seigneur :
Encor, quand il tournoit la tête,
J'attrapois, s'il m'en souvient bien.

Quelque morceau de chou qai ne me coûtoit rien:
Mais ici point d'aubaine; ou, si j'en ai quelqu'une,
C'est de coups. Il obtint changement de fortune;
Et sur l'état d'un charbonnier

Il fut couché tout le dernier.

Autre plainte. Quoi donc! dit le Sort en colere,
Ce baudet-ci m'occupe autant

Que cent monarques pourroient faire !
Croit-il être le seul qui ne soit pas content?
N'ai-je en l'esprit que son affaire ?

Le Sort avoit raison. Tous gens sont ainsi faits:

Notre condition jamais ne nous contente,
La pire est toujours la présente.

Nous fatiguons le ciel à force de placets
Qu'à chacun Jupiter accorde sa requête,
Nous lui romprons encor la tête.

XII. Le Soleil et les Grenouilles.

Aux noces d'un tyran tout le peuple en liesse

Noyoit son souci dans les pots.

Esope seul trouvoit que les gens étoient sots
De témoigner tant d'alégresse.

Le Soleil, disoit-il, eut dessein autrefois
De songer à l'hyménée.

Aussitôt on ouït, d'une commune voix,
Se plaindre de leur destinée

Les citoyennes des étangs.

Que ferons-nous s'il lui vient des enfants?
Dirent-elles au Sort: un seul Soleil à peine
Se peut souffrir; une demi-douzaine
Mettra la mer à sec et tous ses habitants.
Adieu joncs et marais: notre race est détruite ;
Bientôt on la verra réduite

A l'eau du Styx. Pour un pauvre animal, Grenouilles, à mon sens, ne raisonnoient pas mal.

XIII. Le Villageois et le Serpent.

ISOPE conte qu'un manant,
Charitable autant que peu sage,
Un jour d'hiver se promenant

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