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mes illustres de Rome, sur lesquels Plutarque avait commis un plus grand nombre d'erreurs. La vie de cet immortel écrivain se trouve au commencement du premier volume; et ce n'est pas l'écrit qui fait le moins d'honneur à Ricard. Il s'y peint lui-même, sans le vouloir, dans le portrait de l'homme de lettres : « Livré tout entier au soin précieux d'éclairer ses semblables, moins occupé du désir de la gloire que du besoin d'être utile, le véritable homme de lettres ne songe, en cultivant sa raison, qu'à leur tracer des règles de conduite qui soient pour eux comme ces signaux qu'on élève dans des chemins difficiles, pour indiquer au voyageur la route qu'il doit suivre. >

La Politique d'Aristote offre de plus grandes difficultés encore à vaincre que les OEuvres de Plutarque; Ricard en était tellement persuadé, qu'après avoir gardé vingt ans dans son portefeuille la traduction de cet ouvrage, il ne l'a point publiée. D'après la lecture que nous en avons faite, nous croyons que s'il eût eu le temps de la revoir avec soin, et de mettre surtout plus de concision dans le style, elle aurait été supérieure aux traductions qu'on a imprimées de nos jours.

On a remarqué que la carrière des lettres avait été sans épines pour Ricard. En effet, il n'eut pour ennemi aucun homme de lettres, et ne fut point décrié par les philosophes, qui ne pouvaient pardonner qu'on pensât autrement qu'eux en matière de religion. Les remarques qu'on se permit de faire sur sa traduction des OEuvres morales de Plutarque

furent moins des critiques que des conseils aussi se fit-il un devoir de revenir sur ses pas, comme il l'avouait sans peine, lorsqu'elles lui parurent fondées. Une pareille conduite lui concilia l'estime et la bienveillance des savants et des littérateurs. Plusieurs furent ses amis, entre autres M. l'abbé Pluquet.

Cet écrivain estimable avait laissé manuscrit un Traité sur la Superstition et l'Enthousiasme; Ricard se chargea de publier ce traité posthume; il en revit le texte, et y ajouta une notice judicieuse et intéressante sur la vie et les travaux de M. Pluquet, dont tous les ouvrages sont recommandables par la sagesse des vues, et par un raisonnement juste et solide.

La mort vint surprendre Ricard au milieu de ses travaux, et il expira le 28 janvier 1805, dans les bras des personnes qui l'avaient toujours chéri. Quand on le connaissait, il était presque impossible de ne pas sentir pour lui un attrait que l'estime rendait bientôt aussi fort que durable. Et que de droits n'avait-il pas à cette estime ! Une piété tendre et éclairée, une charité délicate et sans réserve, une conduite irréprochable dans tous les temps, même les plus orageux ; des mœurs pures, une aménité naturelle, et une modestie rare, formaient le caractère de cet homme vertueux, sur le tombeau duquel ses amis ont versé d'abondantes larmes.

PRÉFACE.

L'histoire, dit Cicéron, est le témoin des temps, la lumière de la vérité, l'école de la vie 1. La raison de l'homme, trop lente dans ses progrès, a besoin d'un guide sûr et éclairé qui hâte sa marche tardive. L'histoire remplit auprès de lui cette fonction importante: c'est elle qui le prend, pour ainsi dire, par la main, dès sa première enfance, qui assure tous ses pas, et prévient par ses conseils les écarts de la faiblesse et de l'inexpérience; c'est elle qui recueille et transmet d'àge en âge cette nuée de témoins dont l'accord entraîne la conviction. L'esprit se rend sans peine à une autorité qui ne le soumet qu'en l'éclairant. Le succès de la prudence et de la sagesse, les revers de l'imprévoyance et de la folie, forment une double leçon qu'il est forcé d'entendre ; elle détruit les illusions et les chimères dont se sont bercés, dans tous les temps, des politiques ignorants ou perfides, à qui le dégoût de leur état présent, l'idée d'une perfection imaginaire, le désir funeste de la célébrité, inspirèrent l'amour des nouveautés.

De là est née cette opinion, inconnue à la sagesse de nos pères, que les empires et les états sont nécessairement soumis aux mêmes périodes d'accroissement et de destruction que les corps naturels ; que, comme ceux-ci, après être parvenus à la maturité de leur puissance, ils vieillissent, ils s'altèrent, et tombent enfin dans une entière dissolution, à moins qu'en leur donnant une constitution différente on ne les rappelle, en quelque sorte, à la vie, pour recommencer une nouvelle carrière de gloire et de bonheur. Cette opinion n'a d'autre base qu'une prétendue analogie dont rien ne prouve les rapports. Les corps naturels portent en eux-mêmes un principe nécessaire de dépérissement, qui, les attaquant dès leur naissance, les mine sourdement chaque jour, et les conduit plus ou moins lentement à la mort ; c'est la loi 1 De Orat., liv. 11, chap. IX.

de leur création : les corps politiques, au contraire, ouvrage des institutions humaines, sont fondés sur des rapports moraux dans lesquels rien n'atteste l'existence de cette prétendue cause de leur dissolution.

L'expérience, dira-t-on, vient cependant à l'appui de cette opinion; on a vu tous les empires, lorsqu'ils brillaient au plus haut point de leur grandeur et de leur gloire, tendre rapidement vers leur chute. Il est vrai que les fondements sur lesquels posent leur puissance et leur prospérité sont souvent ébranlés par les passions des hommes; les richesses énervent les esprits, le luxe corrompt les mœurs, et la ruine des mœurs entraîne celle des empires. Reconnaissons néanmoins que ces causes de dépérissement ne tiennent pas nécessairement à la constitution des états : que la main d'un législateur habile pourrait facilement en arrêter les effets, et prévenir la chute des corps politiques. Ce fut au sein de la corruption que Lycurgue opéra cette réforme qui régénéra Lacédémone, qui lui imprima, pour une suite de siècles, une force et une stabilité qu'elle n'avait pas eues encore, et qui lui conserva si longtemps la supériorité sur le reste de la Grèce. Je sais que le peu d'étendue de sa république rendait cette régénération bien plus facile que celle d'un grand empire corrompu par les jouissances d'une longue prospérité, et affaibli par les erreurs de ses chefs; mais, outre qu'une réforme si entière n'est pas toujours nécessaire, alors même ses maux ne sont pas irréparables; et s'il est impossible de lui rendre son ancien éclat, on peut du moins le rasseoir sur ses bases, réparer ses brèches, et lui assurer encore une longue existence. Serait-ce par un changement total de principes, et, s'il est permis de parler ainsi, par la transfusion d'un sang étranger, qu'on redonnerait à ces êtres moraux une nouvelle vigueur? Non; des remèdes analogues à leur constitution primitive, et dispensés avec une sage réserve, pourront seuls leur procurer la guérison de leurs maux.

C'est de l'ignorance des peuples qu'est venue presque toujours leur facilité à se laisser séduire. La connaissance de l'histoire les eût mis en garde contre des novateurs qui affectent de décrier tous les monuments historiques, ces témoins fidèles des temps; et de jeter, sur l'éclat de leurs dépositions, le soupçon de l'erreur et du mensonge. Ils s'indignent quand on oppose à leurs nouveautés l'autorité des faits. L'homme, disent-ils, n'a pas besoin de puiser dans les exemples de ceux qui l'ont précédé des conseils pour ce qu'il doit faire; sa raison

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