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PTOLOM E'E.

Oui, ma fœur, car l'Etat dont mon cœur eft con

tent,

Sur quelques bords du Nil à grand' peine s'étend;
Mais Cefar à vos loix foumettant fon courage,
Vous va faire régner fur le Gange & le Tage.
CLEOPATRE.

J'ai de l'ambition, mais je fai la régler:
Elle peut m'éblouir, & non pas m'aveugler.
Ne parlons point ici du Tage, ni du Gange;
Je connois ma portée, & ne prens point le chan-

t ge.

PTOLOM E' E.

L'occafion vous rit, & vous en uferez.
CLEOPATRE.

Si je n'en use bien, vous m'en accuserez.
PTOLOME' E.

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J'en efpére beaucoup, vû l'amour qui l'engage,
CLEOPATRE.

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Vous la craignez peut-être encore davantage.
Mais quelque occafion qui me rie aujourd'hui,
N'ayez aucune peur, je ne veux rien d'autrui ;
Je ne garde pour vous ni haine, ni colere;
Et je fuis bonne fœur, fi vous n'êtes bon frere.
PTOLOME' E.

Vous montrez cependant un peu bien du mépris.
CLEOPATRE.

Le temps de chaque chofe ordonne & fait le
prix:

PTOLOM E'E.

Votre façon d'agir le fait affez connoître.
CLEOPATRE.

Le grand Cefar arrive, & vous avez un maître.
PTOLOME' E.

Il l'eft de tout le monde, & je l'ai fait le mien.
CLEOPATRE.

Allez lui rendre hommage, & j'attendrai le fien.
Allez, ce n'eft pas trop pour lui que de vous-

même:

Je garderai pour vous l'honneur du diadême.

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Pho

1

Photin vous vient aider à le bien recevoir,
Confultez avec lui quel eft votre devoir.

SCENE I V.

PTOLOME'E, PHOTIN.

PTOLOME'E.

''Ai fuivi tes confeils; mais plus je l'ai flattée, Et plus dans l'infolence elle s'eft emportée : Si bien qu'enfin outré de tant d'indignites, Je m'allois emporter dans les extrémités; Mon bras dont fes mépris forçoient la retenue N'eût plus confidéré Cefar, ni fa venue,

Et l'eût mife en état, malgré tout fon appui, De s'en plaindre à Pompée auparavant qu'à lui. L'arrogante! A l'ouïr, elle eft déja ma Reine; Et fi Céfar en croit fon orgueil & fa haine,

Si, comme elle s'en vante, elle eft fon cher objet,

De fon frere & fon Roi je deviens fon fujet. Non, non, prévenons-la: c'eft foibleffe d'atten

dre

Le mal qu'on voit venir, fans vouloir s'en dé

fendre.

Otons-lui les moyens de nous plus dédaigner; Orons-lui les moyens de plaire, & de régner; Et ne permettons pas qu'après tant de bravades Mon fceptre foit le prix d'une de ses œillades.

PHOTIN.

Seigneur, ne donnez point de prétexte à Céfar
Pour attacher l'Egypte aux pompes de fon char.
Ce cœur ambitieux qui, par toute la terre,
Ne cherche qu'à porter l'esclavage & la guerte,
Enflé de fa victoire, & des reflentimens

Qu'une perte pareille imprime aux vrais amans,
Quoique vous ne rendiez que juftice à vous-mê-

me,

Prendroit l'occafion de venger ce qu'il aime;
Et pour s'affujettir, & vos états, & vous,

Imputeroit à crime un fi jufte courroux.
PTOLOM E'E.

Si Cléopatre vit, s'il la voit, elle eft Reine.
PHOTIN.

Si Cléopatre meurt, votre perte eft certaine.
PTOLOM E' E.

Je perdrai qui me perd, ne pouvant me fauver.
PHOTIN.

Pour la perdre avec joie, il faut vous conferver. PTOLOM E' E.

Quoi pour voir fur fa tête éclater ma couron

ne?

Sceptre! s'il faut enfin que ma main t'abandon.

ne,

Paffe, paffe plutôt en celle du vainqueur!
PHOTIN.

Vous l'arracherez mieux de celle d'une fœur.
Quelques feux que d'abord il lui faffe paroître,
Il partira bientôt, & vous ferez le maître.
L'amour à fes pareils ne donne point d'ardeur,
Qui ne céde aifément aux foins de leur grandeur:
II voit encor l'Afrique & l'Espagne occupées
Par Juba, Scipion, & les jeunes Pompées;
Et le monde à fes loix n'eft point affujetti,
Tant qu'il verra durer ces restes du parti.
Au fortir de Pharfale un fi grand Capitaine
Sauroit mal fon métier, s'il laiffoit prendre ha-

leine;

Et s'il donnoit loifir à des coeurs fi hardis,
De relever du coup dont ils font étourdis.
S'il les vainc, s'il parvient où fon defir afpire,
Il faut qu'il aille à Rome établir fon empire,
Jouir de fa fortune, & de fon attentat,
Et changer à fon gré la forme de l'Etat:
Jugez durant ce temps ce que vous pourrez fai-

re.

Seigneur, voyez Céfar, forcez-vous à lui plai

re,

Et lui déférant tout, veuillez vous fouvenir
Que les événemens régleront l'avenir.

P. Corn. 111. Part.

F

Re

Remettez en fes mains, trône, fceptre, couron

ne;

Et, fans en murmurer, fouffrez qu'il en ordon

ne.

11 en croira fans doute ordonner justement,
En fuivant du feu Roi l'ordre & le teftament.
L'importance d'ailleurs de ce dernier fervice
Ne permet pas d'en craindre une entiére injufti-

ce.

Quoi qu'il en faffe enfin, feignez d'y consentir, Louez fon jugement, & laiffez-le partir.

Après, quand nous verrons le temps propre aux vengeances,

Nous aurons, & la force, & les intelligences.
Jufques-là reprimez ces transports violens
Qu'excitent d'une four les mépris infolens.
Les bravades enfin font des difcours frivoles ;
Et qui fonge aux effets, néglige les paroles.
PTOLOME'E.

Ah! tu me rens la vie, & le fceptre à la fois.
Un fage Confeiller eft le bonheur des Rois.
Cher appui de mon trône, allons, fans plus at-
tendre,

Offrir tout à Céfar, afin de tout reprendre :
Avec toute ma flotte allons le recevoir,
Et par ces vains honneurs féduire fon pouvoir.

Fin du fecond Alle.

AC

ACTE III.

SCENE PREMIERE.

CHARMION, ACHORE'E.

CHARMIO N.

Ui, tandis que le Roi va lui-même en per

Jusqu'aux pieds de César profterner sa couronne,
Cléopatre s'enferme en sön apartement,
Et, fans s'en émouvoir, attend fon compliment.
Comment nommerez-vous une humeur fi hau-
taine?

ACHORE'E.

Un orgueil noble & jufte, & digne d'une Reine,
Qui foutient avec cœur & magnanimité
L'honneur de fa naiffance & de fa dignité.
Lui pourrai-je parler?

CHARMIO N.

Non; mais elle m'envoie Savoir à cet abord ce qu'on a vû de joie, Ce qu'à ce beau préfent Céfar a témoigné, S'il a paru content, ou s'il l'a dédaigné; S'il traite avec douceur, s'il traite avec empires Ce qu'à nos affaffins enfin il a pû dire. ACHOR E' E.

La tête de Pompée a produit des effets,
Dont ils n'ont pas fujet d'être fort fatisfaits.
Je ne fai fi Célar prendroit plaifir à feindre,
Mais pour eux jufqu'ici je trouve lieu de crain-

dre.

S'ils aimoient Ptolomée, ils l'ont fort mal fervi.
Vous l'avez vû partir, & moi je l'ai fuivi.
Ses vaiffeaux en bon ordre ont éloigné la ville,
Et pour joindre Céfar n'ont avancé qu'un mille.
Il venoit à plein voile, & fi dans les hazards

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