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L'ÉLÉPHANT BLANC

COMÉDIE EN UN ACTE.

M. LANGOUÉ.

M. LAIGRELET, son ami.

EDOUARD, Son neveu.

Mme LANGOUÉ.

PÉRONNE, sa fille.

JULIE, domestique.

(Le théâtre représente un salon. Croisées dont les rideaux peuvent se fermer.)

SCÈNE Ire.

M. et Mme LANGOUÉ, LAIGRELet, Péronne.

(Mme Langoué travaille près d'un guéridon. Péronne est assise à ses pieds sur un tabouret. MM. Langoué et Laigrelet sur le devant du théâtre.)

M. LANGOUE à Laigrelet.

Je te dis que tu ne le connais pas; tu ne l'estimes pas à sa juste valeur, tu l'insultes. Il est très-doux, très-intelligent; donne-lui une pomme, une gimblette, un rien, il se montrera éternellement reconnaissant. Oui, mais, par exemple, si tu lui piques le nez, si tu lui donnes à priser du poivre pour du tabac, cela s'est vu, il te gardera rancune, il pourra même songer à se venger, toutefois sans jamais abuser de ses moyens,

Bull. Inst. Nat. Gen. Tome XXII,

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qui sont immenses. Mais là où il faut le voir, c'est lorsqu'il remplit ses fonctions de bourreau. Il appuie son genou sur la poitrine du condamné et lève..........

PÉRONNE.

Ah! papa, quelle horreur!

Mme LANGOUĖ.

Mais, mon ami, de qui parlez-vous donc, pour l'amour de Dieu ?

M. LANGOUE.

Eh! de l'éléphant. Tu sais bien que je m'occupe exclusivement de ce pachyderme proboscidien. (Il emmène mystérieusement Laigrelet dans un coin.) Ce que je ne peux pas te raconter devant Mme ma femme et Me ma fille, ce sont les folies amoureuses (très-haut) de l'éléphant.

Mme LANGOUE.

Encore l'éléphant! Voyons, mon ami, laisse pour un moment l'éléphant tranquille, et viens causer avec nous.

M. LANGOUÉ.

Comment! Cécile, tu as l'air de me reprocher l'exercice à un haut degré, à un très-haut degré, je m'en flatte, d'une vertu qui fait l'homme fort, vigilant, adroit, entreprenant!

M. LAIGRELET.

Toi! tu possèdes une vertu? Laquelle, s'il te plait?

M. LANGOUE (avec solennité).

La persévérance. Quand j'étais au collége, on nous apprenait qu'Apelle, un fameux peintre de l'antiquité, Cécile, avait

coutume de répéter à ses élèves qu'il ne fallait jamais laisser passer un seul jour sans tracer une ligne. Nulla dies, sine linea.

M. LAIGRELET.

Jamais Apelle n'a dit cela.

M. LANGOUÉ.

Voilà bien toujours mon ergoteur! Eh bien! mettons que ce ne soit pas Apelle. C'est peut-être un autre peintre grec.

M. LAIGRELET.

Jamais, mais jamais aucun peintre grec n'a dit qu'il ne fallait laisser passer un seul jour sans tracer une ligne.

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n'était pas encore inventé? Il a pu dire: Coq a os, ver n'a os, ratte a patte et os et pie aussi, ou quelque chose d'approchant; mais il n'a pas pu dire qu'il ne fallait jamais laisser....

M. LANGOUÉ.

Eh bien! tu as raison. Mais laisse-moi développer mon idée.

M. LAIGRELET.

Allons, parle, développe, pérore, expectore même, si tu veux. Ce n'est pas moi qui pourrait t'en empêcher.

M. LANGOUÉ.

Mais si, tu m'empêches d'expectorer. (Langoué et Laigrelet se regardent. Jeu de scène.)

M. LAIGRELET.

Tu vois bien que je ne t'empêche pas de parler. Mais il parait qu'à présent le chat a pris ta langue.

M. LANGOUÉ.

J'ai lu dans le journal qu'il y avait au tir de Carouge, un éléphant dont les rédacteurs disent le plus grand bien. Il faut te dire que cet éléphant n'en est pas un. Je l'appellerai une éléphante, si ce mot était français. Bien que ce soit un peu loin, je veux aller voir miss Jack (c'est le nom de cet intéressant animal). Remarque en passant qu'animal n'a pas non plus de sexe en français. Tu vas venir avec moi. Allons, viens.

M. LAIGRELET.

Oui, si tu paies le tramway.

M. LANGOUÉ.

Oui, je paierai le tramway.

Mme LANGOUÉ.

Mon ami, ne nous fais pas trop attendre. Tu sais que Péronne et moi, nous avons des projets pour ce soir.

M. LANGOUE (tirant sa montre).

Nous serons ici à cinq heures, exacts comme des horloges électriques.

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