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réussir une autre fois, aucune mention particulière, afin de n'être pas obligé d'ouvrir son billet cacheté.

De plus, considérant l'intérêt que présente le sujet annoncé et l'avantage qu'il y aurait pour notre public à le voir traité d'une manière digne de son importance, imaginant aussi comme probable ou possible que le temps accordé, soit dixhuit mois, ait été insuffisant pour les préparations indispensables, le Jury, en déposant son mandat, a recommandé à la section l'idée de prolonger ce concours ou de le reprendre dans des conditions nouvelles.

Pour terminer, j'ajoute comme Président que la Section de littérature, dans sa dernière séance, a confirmé la sentence du Jury et pris bonne note de sa recommandation. Nous espérons aussi, lors d'une autre séance annuelle, avoir l'occasion de vous entretenir, dans un langage un peu moins scolaire, de résultats plus brillants.

H.-FRED. AMIEL, professeur.

RAPPORT

DU

Jury chargé d'examiner les Traductions de Ballades Allemandes envoyées au Concours de l'Institut National Genevois (1876)

SECTION DE

LITTÉRATURE

MESDAMES ET MESSIEURS,

Ce n'est pas sans une certaine appréhension que la Section de Littérature de l'Institut national genevois avait choisi pour sujet du concours dont nous rendons aujourd'hui compte le genre de la traduction en vers. S'il est en effet un genre d'essai poétique qui soit moins en faveur, c'est bien celui-là, et, nous devons l'avouer, avec quelque apparence de raison. Supposons en effet réalisés par impossible tous les bonheurs imaginables, il restera toujours contre le genre proposé précisément son titre qui flatte peu l'amour-propre, et la traduction, la traduction poétique surtout, semblera le plus ordinairement, malgré de brillants exemples, un aveu de manque d'imagination, d'impuissance, pour dire le mot. C'est déjà une tâche délicate et difficile que de rechercher l'origine d'un poême, sa genèse, l'idée qui en a été le germe, les

intentions secrètes, l'intonation de l'âme de l'auteur, d'en savourer dans la langue originale la grâce, la fraicheur, le rhythme, de pénétrer toutes les beautés de détail qui concourent à un effet unique, puissant, grandiose ou délicat, discret ou énergique, de goûter les parfums de cette fleur divine qui s'appelle la poésie et qui console l'âme de toutes ses tristesses, mais c'est un labeur bien téméraire et bien ingrat, Messieurs, que de vouloir reproduire pour des oreilles étrangères une impression subtile qu'il est difficile d'analyser, et qui résulte de l'accord mystérieux de la pensée intime avec l'harmonie extérieure de cette langue, dans le milieu de laquelle s'est produite cette vibration de l'âme. Quand en outre, pour surcroît de difficultés, l'on est condamné à se servir pour ces reproductions d'un instrument aussi rebelle que la langue française, cette langue singulière qui ne souffre pas la médiocrité, et qui offre si peu de ressources pour la dépasser, cette langue qui manque de richesse, de souplesse et d'éclat, on est tenté de désespérer de l'œuvre et de renoncer à une tâche impossible. Je ne veux pas rouvrir ici un débat qui semble épuisé, ni énumérer des dilicultés dont vous êtes tous convaincus. Il existe un fait, c'est que la traduction en vers, tout impossible qu'elle paraisse, est pour ainsi dire une nécessité, et de plus, elle a fourni des preuves éclatantes de la perfection qu'elle peut atteindre. Ces preuves sont présentes à l'esprit de chacun. Nous sommes habitués à l'impossible dans la littérature française. C'est le propre de notre langue que de se plier à qui la sait plier, de se faire la servante de qui la peut maîtriser, coursier rétif et généreux qui ne désarçonne que l'écolier, interprète qui ne manque jamais à la patience, au génie, au travail, admirable écho de toutesles aspirations, de toutes les volontés. Les autres langues de l'Europe pourraient donc transporter dans leur domaine les

œuvres universelles de l'esprit humain, et le français seul resterait en arrière dans l'isolement de l'orgueil et de la faiblesse! La langue de Corneille, de Racine, d'André Chénier, de V. Hugo, de Lamartine ne trouverait pas d'accents pour reproduire Goethe et Schiller, Pope et Milton, quand elle a osé se rapprocher de Virgile! Evidemment il y aurait exagération et injustice à le prétendre. Nous pouvons du moins essayer de sauver quelque chose des poètes étrangers, en les faisant goûter dans notre langue. La traduction parfaite est un idéal impossible, mais elle est aussi impossible aux autres langues qu'au français. Toujours il restera un je ne sais quoi qui résistera à nos efforts, car il est impossible que deux esprits soient l'écho parfait l'un de l'autre, que deux êtres humains marchent exactement dans les mêmes sentiers. Nos poètes français présentent aux étrangers le même genre de difficultés. Pourquoi ne ferions-nous donc pas pour la poésie ce que le dessin et la peinture font pour les formes, la musique pour les sons? Les fleurs de la création sont également inaccessibles à la reproduction par les hommes, et pourtant les peintres les traduisent sur la toile, le dessinateur sur le papier; des doigts agiles les imitent dans leur port, leur couleur, leur apparence lointaine, et ces imitations nous ravissent encore, bien qu'elles n'aient ni la grâce ni le parfum de l'humble fleur des champs. Avec un charbon, avec un crayon l'artiste sait donner la forme et le relief, et nous, nous avons mieux qu'un crayon et qu'un charbon, nous avons, malgré ses défauts, la langue la plus intelligente, la plus contenue, la plus noble de l'Europe moderne. Le musicien fait des transpositions, et le piano nous traduit les poèmes de l'orgue, et même d'un concert d'instruments. Comme l'on traduit d'un instrument pour l'autre, une langue ne peut-elle traduire une autre langue? Ce que réalise l'artiste, nous pouvons au moins

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