Page images
PDF
EPUB

temps-là. Encouragé par les éloges qu'un véritable mérite lui attiroit de toutes parts, & plus encore par une magnifique pension; il eût la témerité d'entreprendre un poéme épique, & devint l'opprobre du Parnaffe. Le poéme fut achevé ; mais le Public, quoique prévenu depuis long-temps par des fuffrages anticipez en faveur de la Pucelle, n'en fut point la dupe & il rebuta fi outrageufement la premiere partie, qu'on n'a pas ofé lui préfenter la feconde. On peut dire de Chapelain ce qu'on a dit d'un Empereur, qu'il eût paru digne de l'Empire, s'il n'y fut point parvenu. Chapelain auroit emporté la réputation d'étre le feul homme capable d'un poème épique, s'il n'en eût point fait. La chute de fon poéme entraina avec elle tout fon mérite & fa qualité de verfificateur dur & fans génie,

[ocr errors]

fit oublier mille bonnes qualitez qui méritoient bien d'étre mifes en compenfation.

Le Comte de Bussi Rabutin écrivoit bien & noblement; à la vanité près qui règne dans ce qu'il a fait, c'étoit une des meilleures plumes de fon temps. On lit fa prose avec plaifir, & même on a vû fes Mémoires quoique remplis de bagatelles aufquelles perfonne ne prend intérest, plus fouvent réimprimez que quantité d'écrits plus utiles. Cependant il n'y a point d'homme de bon goût qui ne hauffe les épaules, en lifant fes vers làches, mal-rimez, & pleins d'une infinité de licences; comme si sa qualité l'eût difpenfé des Régles: c'eft un ridicule qu'il pouvoit s'épargner. On pardonne à un Gentilhomme retiré à la campagne de s'amufer à charpenter de mauvais vers, mais il fe deshonore en les publiant.

Je

Je confeillerois à un jeune homme qui fe fent une forte inclination pour la poélie, de regarder cette envie comme une tentation du malin efprit. Si malheureufement c'eft un penchant invincible qui le domine malgré toute fa réliftance; qu'il s'aplique long-temps à l'étude des Modeles originaux, à celle des Régles de la Poétique & qu'il compte pour rien la facilité de rimer. C'eft elle qui a infecté les boutiques de libraires d'une multitude de récueils où il n'y a qu'une profe rimée, fans la moindre étincelle de ce feu qui fait les grands poétes & qui leur aflure l'immortalité malgré les changemens qui arrivent dans la langue.

La démangeaifon d'imiter n'eft pas le feul écueil qu'il y ait à crain dre; il y en a d'autres que vous trouverez bien détaillez dans les Nouvelles Réflexions fur l'Art Poétique. Le P. Lami de l'Oratoire qui

en

en eft l'auteur, en expliquant quelles font les caufes du plaifir que donne la Poéfie & quels font les fondemens des plus importantes régles de cet art, fait connoître en même temps tout le danger qu'il y a dans la lecture des Poétes. Ce livre quoique petit renferme quantité d'excellentes chofes; on l'a réimprimé à la fin de l'Art de parler du même auteur. Joignons à cette lecture la Méthode d'étudier les Poétes chrétiennement, par le P. Thomaffin.

[ocr errors][merged small][merged small]

A

PRES avoir confeillé à un jeune homme de réfifter le plus long-temps qu'il pourra à la fureur de rimer, il pouroit paroître inutile de lui indiquer les fources où il

trou

&

trouvera les principes de la Poétique; mais ce ne feroit pas raisonner exactement. Il y a bien de la différence entre étudier l'art pour en faire foi-même profeffion; en apprendre les regles pour fe mettre en état de juger pertinemment, & avec connoiffance de caufe, des poéfies que les autres publient & qui font fouvent la matiére des converfations. Sans cette étude on rifque de fe faire un injuste préjugé fur les nouveaux ouvrages; foit en fe conformant au goût fouvent dépravé de ceux qui nous en parlent; foit en jugeant des ouvrages fur la réputation des Auteurs. Il eft aifé de fe tromper de cette derniére façon; par exemple, ceux qui fur les éloges que Mr. de la Mothe a méritez par quelques-unes de fes Odes fe figureroient que fes piéces de Théatre font parfaitement bonnes, feroient dans

[ocr errors]
« PreviousContinue »