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§. 11.

Du Bel Efprit.

PRENDRE le nom de Bel Efprit dans fa véritable fignification, on ne devroit l'appliquer qu'à un homme qui ayant cultivé fa raifon, s'eft accoutumé à penfer avec jufteffe, & à exprimer fes penfées d'une maniere polie, élegante, ingenieufe; qui a puifé dans la lecture des bons auteurs & dans la fréquentation du beau monde ce que les Grecs appelloient Atticifme, les Romains Urbanité, & ce que nous appellons Politeffe. Si un pareil homme écrit un billet, un madrigal, un rien; on y reconnoîtra toujours que cela part d'un homme d'efprit; quoiqu'il n'affecte point d'y briller, on jugera pourtant qu'il fait écrire pureH 3

ment.

ment, fagement, & avec un certain air de dignité qui plaît.

Mais l'abbus a répandu un ridicule fur ce nom de bel efprit. On a vû des gens fans goût fe préfenter dans les affemblées & à l'aide d'un mauvais poëme, d'une Epigramme fade, d'une harangue burlefquement ampoulée, briguer la reputation de genies du premier ordre. Le décri où ces prétendus beaux efprits font tombez, a rendu ce nom ignominieux, de même que les faux devots ont fi bien fait que le nom de Devot & de Bigot font devenus prefque fynonimes.

Mais tout bien confideré l'Hypocrifie ne deshonore qu'elle mêine; l'horreur que l'on a pour elle ne doit point tomber fur la pièté folide, & par la même équité le faux bel efprit ne doit pas faire meprifer le veritable. Le ridicule où tombent ceux qui l'affectent injuf

te

tement n'empêche pas que les Belles, Lettres ne fallent beaucoup d'honneur à quiconque les poffede. Il eft donc très-raisonnable de les étudier, mais il y a un excès à craindre.

Elles font fujettes à fe faifir d'un jeune homme jusqu'à un tel point, qu'il leur facrifie fon temps,fa fortune & quelquefois fa fanté & fa vie. L'Intemperance eft toûjours un mal, même dans les chofes qui font bonnes par elles-mêmes. Un jeune homme qui ruine fes affaires, ou abbrége fa vie par trop d'application aux Belles Lettres, eft trèsblamable. A peine pardonneroiton cet excès à un Ecclefiafiique à qui la même chofe arriveroit à force d'étudier l'Ecriture fainte, les Peres & les Conciles; cependant cet Ecclefiaftique a un befoin indifpenfable de ces lectures, au lieu qu'à la rigueur on peut fe paffer des Belles Lettres. Il eft bon dc les aimer, H 4

mais

máis fobrement. On peut bien s'en faire un délaffement agréable, mais non pas une occupation accablante.

Outre cela il eft affez ordinaire que leur agrément jette dans un Efprit qui les a goutées une averfion pour les Sciences dont la méthode eft fèche ; mais l'utilité plus grande. On voit une preuve bien vifible de cette féduction dans les jeunes-gens qui paffent de la Rhétorique à la Philofophie. Accoutu mez aux fleurs de l'Eloquence & de la Poëlie, ils ont peine à fe préter au ftyle épineux de la Logique,

Autre inconvenient; elles charment un homme à tel point que fouvent il en tire une vanité qui lui eft préjudicable. La Poëfie produit ce mauvais effet encore plus que l'EJoquence. La nation des Poëtes eft naturellement fiére & fort fufceptible d'un vaste orgueil. L'auteur

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d'une mauvaise Ode fe mettra fans façon à côté d'Horace & de Malherbe. Mr.De la Motte a crû rendre un grand service à Homere en lui otant la moitié de l'Iliade, & Mr. de Fontenelle a trouvé ridicules. les Eglogues de Théocrite & celles de Virgile. Mais il n'eft pas encore temps de parler de la Poëfie. Nous y viendrons dans fon rang,

L'

§. II I.

Te l'Eloquence.

› ELOQUENCE ne confifte point comme plufieurs fe l'imaginent à parler long-temps, & avec facilité fur le premier fujet qui fe préfente. Elle confifte au contraire à ne parler que de ce que l'on fait & à énonçer fes pensées felon la bienféance convenable.

La bienféance renferme quatre

rap

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