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toutes les religions qui ne sont point leur religion, d'abolir la philosophie, l'art, la littérature, de fermer les bibliothèques, de fermer les théâtres, et de transformer la société humaine en un vaste atelier de travail limité aux besoins de la vie présente et interrompu seulement par les exercices de leur culte : croyez-vous qu'il prendra la défense de toutes les lumières du monde attaquées ? Non, il se taira; il saura apprécier ce qu'il y a de respectable dans le sentiment qui aveugle son contradicteur, il trouvera son opinion intéressante, et il l'examinera avec cette espèce de curiosité qu'on éprouve pour une très-vieille ferraille, pour une cruche antique, ou pour une paire de bottes ayant jadis chaussé un saint de l'armée de Cromwell.

Ironie tranquille en face de la sottise, respect des supériorités, douceur pour tout le monde, conquête de la liberté de l'esprit par la lumière et besoin de plus de lumière et de plus d'affranchissement encore: voilà les caractères de la force virile, voilà le dernier degré de l'éducation libérale de l'homme par la littérature.

Le dix-neuvième siècle n'est pas l'âge viril de l'humanité, puisque, à proprement parler, l'humanité n'a point d'âge et qu'elle ne vieillit pas; mais le dix-neuvième siècle est une des époques les plus viriles de l'humanité. En aucun temps, la critique littéraire n'a montré un esprit plus libéral d'intelligence, de sympathie et de charité universelles, que celui qui l'anime aujourd'hui. Comme elles sont loin de nous, ces querelles qui nous passionnaient autrefois, querelle des anciens et des modernes, querelle des classiques et des romantiques, querelle des nationaux et des étrangers! Nous avons appris à aimer les anciens et les modernes, les classiques et les romantiques, les auteurs de notre

nation et ceux des pays étrangers. Nous croyons à la fraternité des peuples, à la fraternité des hommes et des grands hommes, à la fraternité de tous les génies et de toutes les gloires. Nous sentons que nous sommes citoyens du monde, et nous savons voir dans les premiers poëtes de chaque contrée les poëtes du genre humain. Nous ne fabriquons plus avec nos préjugés, nos routines, nos passions exclusives et nos idées étroites, un certain type artificiel du beau, pompeusement appelé idéal, auquel nous comparons les œuvres que nous voulons juger: nous nous élançons sur les ondes de la réalité toujours changeante, nous parcourons sa surface et nous en voyons l'immensité, nous plongeons dans son sein et nous sommes éblouis des merveilles de cette mer infinie. La lumière qui nous guide dans cette navigation variée et lointaine, c'est l'histoire; c'est elle qui nous faisant connaître d'avance les mœurs, les institutions, les croyances, les idées de tous les pays du monde, nous met en garde contre l'étonnement naïf et les injustes préventions de l'ignorance; c'est l'histoire qui nous apprend à dépouiller nos préjugés français quand nous mettons le pied en Angleterre, nos préjugés anglais quand nous descendons sur le sol de France; c'est elle qui nous empêche d'aborder une époque avec l'esprit d'une autre époque, de demander à la cour d'Elisabeth le théâtre de Racine et de chercher celui de Shakespeare au siècle de Louis XIV.; c'est elle enfin qui nous montrant dans tous les arts et dans toutes les littératures des fragments de la beauté universelle, dans toutes les philosophies et dans toutes les religions des fragments de la vérité absolue, nous remplit d'un tel enthousiasme que nous tombons à genoux à l'aspect des rives enchantées de la Grèce, prêts à faire, peu s'en faut, une libation aux dieux!

Les plus récentes découvertes de l'histoire nous ont appris que cette Grèce si glorieuse n'était cependant point, avec la Palestine, le vrai berceau de la civilisation du monde; elles nous ont révélé chez les poëtes et les philosophes de l'antique Orient la morale la plus pure, la poésie la plus riche, la métaphysique la plus haute, et en nous faisant perdre un peu de notre orgueil occidental, elles ont resserré les liens de la grande famille humaine.

J'ai fini, et je n'ai plus qu'un vœu à exprimer en terminant je souhaite que les études classiques, ces études viriles et libérales auxquelles on a donné le beau nom d'humanités, deviennent de plus en plus fortes et de plus en plus suivies au collége Elisabeth.

EXCELSIOR.

Discours prononcé dans la salle de Clifton, sous la Présidence du Rév. R. J. Ozanne, Recteur de St. André, vice-président de la Société Guernesiaise, le 23 avril, 1869.

FRAGMENTS. (I)

MESDAMES ET MESSIEURS,

DANS un discours prononcé ici il y a trois mois, j'ai prétendu montrer comment l'éducation littéraire, en affranchissant l'homme des sensations trompeuses, des opinions étroites et des passions injustes, qui sont l'effet de l'ignorance, l'élève à la raison, et par la raison à la liberté. Nous avons considéré chez les enfants, chez les hommes sans culture, chez les peuples sauvages et chez les nations primitives, l'espèce particulière de servitude où les réduit le stupide engourdissement du sens littéraire, et nous avons vu leurs esprits esclaves de toutes les illusions. Puis, nous avons suivi l'adolescent

(1) Ce livre, ayant l'honneur de renfermer quelques travaux dus à d'autres plumes que la mienne, n'est pas ma propriété exclusive. Comme plusieurs passages d'Excelsior ont eu le malheur de déplaire fort gravement aux auteurs de quelques-uns de ces travaux, je ne me sens pas libre de les publier dans le même volume. Mais il y a plus: ces passages, et d'autres encore, me sont devenus désagréables à moi-même à cause des commentaires dont ils ont été les sujets. Je n'aime pas la curiosité maligne qui s'attache aux uns et aux autres par le fait de leur suppression, et pour qu'il n'en soit plus question, j'ai brûlé le manuscrit d'Excelsior. Ce discours ne sera jamais qu'un Fragment.

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