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Mais cette loi, dis-tu, révolte ta justice;
Elle n'est à tes yeux qu'un bizarre caprice,
Un piége où la raison trébuche à chaque pas.
Confessons-la, Byron, et ne la jugeons pas.
Comme toi, ma raison en ténèbres abonde,
Et ce n'est pas à moi de t'expliquer le monde.
Que celui qui l'a fait t'explique l'univers :
Plus je sonde l'abîme, hélas! plus je m'y perds.
Ici-bas, la douleur à la douleur s'enchaîne,
Le jour succède au jour, et la peine à la peine.
Borné dans sa nature, infini dans ses vœux,
L'homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux.

4 Février.

Vous pouvez entrer dans les villes
Au galop de votre coursier,
Dénouer les guerres civiles
Avec le tranchant de l'acier ;
Vous pouvez, ô mon capitaine!
Barrer la Tamise hautaine,
Rendre la victoire incertaine
Amoureuse de vos clairons;
Briser toutes portes fermées,
Dépasser toutes renommées,
Donner pour astre à des armées
L'étoile de vos éperons.

Dieu garde la durée et vous laisse l'espace.
Vous pouvez sur la terre avoir toute la place,
Etre aussi grand qu'un front peut l'être sous le ciel ;
Sire, vous pouvez prendre, à votre fantaisie,
L'Europe à Charlemagne, à Mahomet l'Asie :
Mais tu ne prendras pas demain à l'Eternel.

DERNIERE CAUSERIE.

Causeries qui resteraient à faire.-Clôture du Cours.-Confidences.

MESDEMOISELLES,

Nous voici à la fin du premier trimestre, et quand je jette un regard en arrière sur le peu de chemin que nous avons parcouru, quand je compare ce que nous avons fait avec ce qui nous resterait à faire, il me semble nonseulement que nous n'avons rien fini, mais que nous n'avons même rien commencé. De cet intéressant programme que j'esquissais dans notre première réunion nous avons à peine touché quelques points; de toute cette brillante liste d'écrivains que j'énumérais, Walter Scott, Schiller, Goëthe, Châteaubriand, Byron, Lamartine, Victor Hugo, Béranger, Courier, Alfred de Musset, Mérimée, etc., nous n'avons étudié avec un peu de suite que Châteaubriand et Byron, et s'il nous est arrivé de parler incidemment dans presque tous nos entretiens de Goëthe et de Victor Hugo, les autres n'ont plus même été nommés ou ne l'ont été qu'en passant.

Dans ce cours spécialement consacré à l'examen des opinions littéraires de quelques grands artistes, poëtes ou prosateurs, j'aurais aimé, à propos de Mérimée et surtout de Courier, causer avec vous d'une singulière espèce de critiques, assez rare aujourd'hui, qui semblent

confondre l'art de la poésie avec celui de la sculpture ou du dessin, ne tiennent presque aucun compte du sentiment, de l'idée qui fait le fond d'un poëme, et ne sont guère sensibles qu'à la pureté des lignes et à l'harmonie des contours. Cette petite famille de critiques, particulière, je crois, à la France, et qui descend de Voltaire en droite ligne, est sceptique et prend volontiers pour arme la raillerie; elle montre une défiance excessive à l'endroit de tout ce qui est nouveau et hardi; elle proscrit l'éloquence, par haine de la déclamation; elle proscrit la poésie, par peur des excès où l'ardeur de l'imagination. entraîne les poëtes; elle fait plus de cas de la correction que de la magnificence, et d'une épigramme sans défaut que d'une ode sublime où serait une tache; elle appelle Platon un phraseur; elle préfère tout bas Horace, La Fontaine, Béranger, poëtes exquis, mais qui n'ont été grands que par accès, à un Lucrèce, à un Corneille, à un Victor Hugo, et elle ose vous dire sérieusement que les plus beaux vers lyriques de la poésie française sont ceux des choeurs d'Esther et d'Athalie.

Un grand poëte s'est moqué sans pitié, et j'ajoute, sans mesure, de cette pauvre critique. Victor Hugo, dans cet étrange livre dont j'aurais aimé vous entretenir aussi et qui a pour titre William Shakespeare, a écrit une page assez piquante sur l'école de la sobriété: "Il est réservé et discret; vous êtes tranquille avec lui; il n'abuse de rien; il a, par-dessus tout, une qualité bien rare il est sobre.-Qu'est ceci? une recommandation pour un domestique? non, c'est un éloge pour un écrivain. Voulez-vous faire l'Iliade, mettez-vous à la diète. Point d'exagération. Désormais le rosier sera tenu de compter ses roses; la prairie sera invitée à moins de pâquerettes; ordre au printemps de se modérer; les nids tombent dans l'excès; dites donc, bocages, pas tant

de fauvettes, s'il vous plaît; la voie lactée voudra bien numéroter ses étoiles, il y en a beaucoup." Et ailleurs: "Les génies sont outrés. . . Ne pas donner prise est une perfection négative; il est beau d'être attaquable. Sous obscurité, subtilité et ténèbres, vous trouverez profondeur; sous exagération, imagination; sous monstruosité, grandeur."

J'aurais voulu critiquer à fond cette idée, et vous montrer le petit coin d'erreur qu'elle cache derrière sa large part de vérité. Nous aurions cherché dans la nature même du génie de Victor Hugo la raison de sa prédilection pour tout ce qui est démesuré et gigantesque, et nous aurions opposé à ses doctrines, comme leur correctif nécessaire, cette remarque si juste de Macaulay dans son bel essai sur Dryden : Quelques critiques ont donné l'exagération de Dryden pour une preuve de talent, pour la profusion d'une richesse illimitée et le désordre d'une vigueur exubérante; nous croyons, au contraire, que ce défaut ressemble davantage aux oripeaux de la pauvreté, aux spasmes et aux convulsions de la faiblesse. Dryden, à coup sûr, n'avait pas plus d'imagination qu'Homère, Dante ou Milton, qui ne sont jamais tombés dans ce défaut. La diction ample et opulente d'Isaïe ou d'Eschyle ne ressemble pas plus à celle d'Almanzor ou de Maximin, que le renflement d'un muscle ne ressemble à l'enflure d'une tumeur. L'un indique la vigueur et la santé, l'autre l'affaiblissement et la maladie."

Je me faisais une fête de vous lire les amusantes lettres qu'Alfred de Musset adressait en 1836 au Directeur de la Revue des Deux Mondes sur la question de savoir ce que c'est que le romantisme. Disons-en au moins un mot; nous sommes de loisir et libres comme

le papillon qui voltige, et nous ne nous piquons d'aucun ordre rigoureux dans le plan de nos capricieuses

causeries.

Alfred de Musset examine l'une après l'autre les définitions diverses qui ont été données du mot romantisme, et il n'a pas de peine à montrer qu'elles sont toutes insuffisantes et insignifiantes. Le romantisme n'est pas, comme le soutient Victor Hugo dans sa préface de Cromwell, l'alliance du beau et du laid, du grotesque et du sérieux, du comique et du tragique; car le théâtre d'Aristophane nous offre d'un bout à l'autre le contraste de la poésie la plus sublime et la plus grave avec les bouffonneries les plus triviales; d'un autre côté, les Furies d'Eschyle et l'épouvante qu'elles causèrent aux spectateurs, Edipe apparaissant sur la scène à la fin du chef-d'œuvre de Sophocle, les yeux crevés et le visage sanglant, objet d'effroi et de dégoût pour le chœur qui se détourne et frissonne à sa vue, nous prouvent que les Grecs savaient introduire même l'horrible dans leurs plus belles pièces. Le romantisme n'est pas non plus, comme le prétend Madame de Staël, l'avénement de la mélancolie dans l'art; car il est absurde de croire que la mélancolie fût inconnue des anciens. Enfin le romantisme ne saurait être l'imitation des Allemands, des Anglais et des Espagnols; car il n'y a rien de moins nouveau sous le ciel que de compiler et de plagier, et quand nous aurons tout imité, copié et traduit, qu'y a-t-il là de romantique? "De 1833 à 1834, dit Alfred de Musset, nous crûmes que le romantisme consistait à ne pas se raser, et à porter des gilets à larges revers, très-empesés. L'année suivante, nous crûmes que c'était de refuser de monter la garde. L'année d'après, nous ne crûmes rien." Il raconte une conversation qu'il a eue avec un Romantique du temps.

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