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chantement pour moi. J'aurais aimé à moi. J'aurais aimé à revoir ce lieu entouré de son caractère primitif d'élévation et d'horreur; j'aurais enfin désiré pouvoir redire encore, avec le sens philosophique et triste, que les faits de l'ancienne histoire romaine prêtaient à ce mot: « Il n'y a qu'un pas du Capitole à la roche Tarpéienne » !

La dégénérescence incroyable de ce lieu me rappela le récit piquant de la visite que lady Morgan lui fit en 1821. « Nous revenions un jour, dit cet écrivain célèbre, de visiter les galeries du palais des Conservateurs, quand en sortant de ses portiques nous rencontråmes un sale palefrenier qui portait un picotin d'avoine d'une main et un paquet de clefs de l'autre, et qui nous demanda en passant si nous voulions voir la roche Tarpéienne, ou comme il l'appelait familièrement, « nostra rupe Tarpeia, qui se trouve derrière le palais de' Conservatori, au-dessus de la place della Consolazione. Quoique je n'eusse pas plus d'envie de voir le Tyburn ou la place de Grève de l'antiquité, que je n'en aurais eu de voir toute autre place d'exécution, cependant nous trouvâmes plaisant de nous laisser conduire par ce cicerone palefrenier.Pendant qu'il nous dirigeait à travers une cour malpropre, marchant sur des piles de gravois et des monceaux de fumier, j'avais peine à ne

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reconduisit en sifflant l'air: « di tanti palpiti!

Autrefois deux routes conduisaient du Capitole au Forum : toutes les deux partaient des environs du Tabularium, aujourd'hui palais Sénatorial, et divergeant à leur départ, elles aboutissaient chacune à un arc de triomphe; la première à l'arc de Titus à l'ouest, la seconde à celui de Septime-Sévère à l'est. Aujourd'hui le chemin qui mène au Forum est tortueux et inégal', et se trouve placé à la droite du palais Sénatorial dont il tourne la direction en arrière. En suivant cette route moderne, j'eus occasion de visiter l'église de S.-Pietro in Carcere ou de S.-Giuseppe, car elle porte ces deux noms. Au-dessous se trouve un cachot, bien riche en souvenirs, l'ancien carcer Tullianum, bâti par le roi Tullius Hostilius. Ceci n'est pas de fraîche date. On nomme aussi cette prison il Carcere Mamertino ou Latomiæ. On descend par une petite ouverture du pavé de l'église moderne, bâtie audessus dans un caveau ovale de vingtcinq pieds de long sur dix-huit de large et treize ou quatorze pieds de haut. Une seconde ouverture conduit à un caveau inférieur plus petit, trèshumide, l'eau suintant du roc dans lequel il est creusé. Ce cachot, plus horrible encore que le précédent, passe pour avoir été construit par Ancus Martius, quatrième roi de Rome. Le trou que j'aperçus à la voûte servait jadis à descendre les criminels à l'aide de cordes. Là périrent de mort violente et quelfois dans les horreurs de la faim les ennemis importans de Rome, qui paraît n'avoir pas eu pendant long-temps d'autre prison d'état : selon l'histoire, Jugurtha y mourut de faim. En entrant dans cet affreux séjour, il s'était écrié: O Hercule! que ton bain est froid!

C'est ici encore que Lentulus, Céthégus, Gabinius, Statilius et Coparius furent étranglés par ordre de Cicéron, comme complices de Catilina, que Séjan fut tué par ordre de Tibère, et que Simon, fils de Joras, chef des Juifs, pris par Titus, perdit la vie. Enfin, selon l'historien Josèphe, on faisait périr en ce lieu les chefs des nations vaincues après qu'ils avaient orné de leur présence le triomphe des généraux vainqueurs. Ils y étaient du moins enfermés jusqu'à ce qu'ils fussent transférés dans une des places fortes de l'Italie, comme il arriva à Syphax, roi de Numidie, et à Persée, roi de Macédoine.

Une tradition pieuse, d'une origine plus récente, ajoute encore à la célébrité de cette prison. « On assure que les apôtres saint Pierre et saint Paul ont été attachés à cette borne qui touche au mur du fond, et qui est entourée de barreaux de fer. On ajoute que pendant leur emprisonnement ils convertirent et baptisèrent non-seulement quarante-trois infortunés avec eux, mais encore les geôliers Processus et Martinianus, qui ensuite reçurent le martyre. » L'eau dont ils se servirent pour le baptême coulait d'une petite source qui sort aujourd'hui encore du pied du mur, et qui avait jailli miraculeusement pour la première fois. à l'époque de la captivité des saints apôtres.

A ma sortie de l'église de SaintGiuseppe, le Forum romanum se déploya à ma vue avec toute sa désolation majestueuse (Pl. 124). Dans les beaux jours de la république, c'était là que s'assemblait le peuple, au milieu d'une double rangée de temples et de statues, entre des arcs de triomphes surgissant de toutes parts en l'honneur des enfans de Rome, qui venaient dans cette glorieuse enceinte décider du

sort des peuples et des rois. Ce lieu, jadis le plus illustre de l'univers, beau de tous les grands souvenirs de la république romaine, est devenu un marché aux bœufs, le Campo Vaccino !

Avant de faire la description de ce Forum où la magnifique parole de l'orateur romain a été remplacée par les mugissemens des bœufs, et dont on peut dire comme au temps d'Évandre, à l'innocence des mœurs près:

Passimque armenta videbant Romanoque foro et lautis mugire carinis.

EN., VIII, 361. Quelques troupeaux erraient dispersés dans ces plaines,

Séjour des rois du monde et des pompes romaines,
Et le taureau mugit où d'éloquentes voix
Feront le sort du monde et le destin des rois.

Trad. de DELILLE.

Rappelons rapidement au lecteur ce qu'on entendait jadis par le mot forum. Rome ancienne donnait ce nom à ses places et quelquefois à ses marchés, de là leur division en deux classes. Les uns, Fora civilia, étaient considérés comme des embellissemens de la ville, et en quelque sorte comme des cours de justice; les autres, nommés Fora venalia, tels que l'Olitorium, le Cupedinarium, étaient des marchés où l'on vendait des herbes ou d'autres objets variés de restauration. A la première de ces deux classes appartenait, comme on le pense bien, le Forum romanum, dont le centre était occupé les Rostres ou tribune aux baranpar gues, jusqu'à ce que César les eût fait transporter à l'angle vers le Vélabre. Cette tribune, rendue célèbre tant de voix éloquentes, se nommait Rostra (becs, proues), parce qu'elle était garnie extérieurement de proues de vaisseaux conquis sur la ville d'Antium. Elle était construite sur le puits même qui cachait le rasoir et la pierre de Navius. On se souvient sans doute que les Romains crurent long-temps

par

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Ristaurazione del Foro Romano.

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