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devise, Libertas, que l'on voit encore inscrite sur les monumens de la ville; l'esprit mercantile qui les distingue, émousse d'ailleurs bien des préjugés. En somme, la population de Bologne s'est toujours distinguée par son industrie, l'urbanité de ses manières, et par un enthousiasme ardent pour les beauxarts. Aussi depuis la renaissance at-elle produit des hommes illustres dans tous les genres. Elle est le berceau du Guide, du Dominiquin, de l'Albane, des trois Carrache et de Benoît xiv. Puis que nous avons cité les noms des chefs de l'école bolonaise, qu'il nous soit permis de retracer succinctement la vie de ceux à qui elle doit sa principale illustration.

Annibal Carrache, qui naquit à Bologne en 1560, Augustin, son frère, et Louis, son cousin, doivent être considérés comme les fondateurs de la célèbre école bolonaise. Augustin et Annibal étaient fils d'un tailleur; tous deux, s'élevant au-dessus de leur condition, dirigèrent leur talent naissant vers l'étude des beaux-arts. Mais Augustin s'appliqua davantage aux mathématiques, à la poésie et à la musique. Les deux frères étaient d'un tempérament bien différent; la finesse et l'observation formaient les traits distinctifs et l'esprit d'Augustin, comme l'audace et l'impétuosité caractérisaient Annibal. Deux génies, de tendances si diverses, ne pouvaient sympathiser ensemble; les deux frères furent ennemis. C'est alors que leur cousin Louis, plus âgé qu'eux, doué d'un esprit plus sage, appréciateur judicieux de leurs talens, chercha tous les moyens de les réunir, pour les faire profiter de ses conseils. Annibal ayant eu l'occasion de voyager en Lombardie et dans les états de Venise, enchanté des grâces suaves du Corrège et du brillant coloris des Véni

R.

tiens, parvint, sous l'influence de ces grands maîtres, à améliorer sa première manière. Enfin l'amour des arts triompha de la malheureuse antipathie qui séparait Augustin et Annibal, et l'école bolonaise prit naissance sous le titre primitif d'Académie des Carrache. Leurs talens rivalisèrent tant qu'ils vécurent, mais nous sommes de l'avis de Lanzi, qui accorde la préférence à Annibal, quoique Louis fût doué d'un esprit supérieur pour l'enseignement, et Augustin d'un génie plus élevé.

Appelé à Rome pour peindre ces étonnantes fresques du palais Farnèse, Annibal, plus que tout autre, releva son art à ce degré sublime, qu'il avait atteint sous le pontificat de Léon x, sans s'éloigner de la nature, ainsi que les élèves du chevalier d'Arpino, et sans la suivre servilement comme ceux du Caravage, extrêmes dans lesquels tombèrent trop fréquemment les artistes du dix-septième siècle. Le Dominiquin, le Guide, Lanfranc et l'Albane puisèrent à cette école les judicieux principes d'un art qui menaçait d'être envahi par l'ignorance et le goût dépravé; tels sont les successeurs qu'Annibal laissa, lorsqu'en 1609 l'envie de Bélisaire Correnzio abrégea, par le poison, une vie qui promettait d'être si bien remplie : il n'avait que quarante-trois ans.

Dominique Zampieri, dit le Dominiquin, fut certainement l'élève le plus complet de l'école des Carrache et le plus grand peintre de son temps. S'il ne parvint pas au rang suprême de la peinture, il faut l'attribuer aux vices de l'époque; car les légers défauts que l'on observe dans sa manière, tel par exemple que l'abus de Svolazzi, et le gonflement des draperies étaient un des goûts dépravés qui commençait à infecter la peinture. Le Dominiquin enrichit Rome et Naples des plus belles

peintures à la fresque ou à l'huile, ainsi qu'on peut l'observer à Santa-Andrea della valle à Grotta Ferrata et à Saint-Janvier, ouvrages qui démontrent la facilité, la promptitude de son imagination, la correction et la richesse de son pinceau, et qui, dans l'opinion des plus sages appréciateurs des beaux-arts, le mettent à la tête de tous ses contemporains. Il naquit à Bologne en 1581, et mourut à Naples en 1641, victime encore, comme son maître, de la jalousie des peintres de son pays, et terminant une existence dont les chagrins avaient rempli la plus grande partie.

Si les malheurs du Dominiquin font maudire la fortune qui se trouva sans cesse contraire à un si beau génie, d'un autre côté, en considérant les larges dons de cette capricieuse déesse gaspillés et rendus infructueux par la vie si désordonnée du Guide, nous sommes forcé, malgré nous, de convenir, avec Tacite, qu'il est plus facile de supporter les malheurs en conservant la pureté de l'âme que la prospérité qui ne fait que la corrompre, tandis que la mauvaise fortune accroît nos forces et nos facultés intellectuelles. L'histoire des hommes offre d'infinis exemples qui prouvent cette vérité. Nous y voyons souvent des génies que le malheur se plaît à tourmenter, constans à bien faire; tandis que nombre d'autres, que la fortune traite en enfans gâtés, se laissent corrompre; Guido Reni est de ce nombre. Il naquit à Bologne en 1575; son père lui donna les premiers principes de la musique, et nul, mieux que lui, ne pouvait guider les pas de son fils dans cet art; cependant le Guide quitta la science de l'harmonie pour l'atelier de Fiammingo Dionisio Calvarte. Le Guide avait à peine vingt ans quand sa bonne for

tune le fit admettre dans l'école des Carrache; il mérita l'affection d'Annibal et de Louis, et fut bientôt leur disciple chéri. Lorsque le Guide travaillait sous la direction de Calvarte, il avait d'abord adopté la manière vigoureuse et parfois trop sombre du Caravage; mais l'autorité et les conseils d'Annibal Carrache le détournèrent bientôt de cette mauvaise voie; c'est le premier bienfait dont il est redevable à ses nouveaux maîtres. Ayant donc quitté le style du Caravage, si peu convenable à son génie, il s'ouvrit une route tout-à-fait opposée. A la composition peu élevée des Caravagesques, il préféra une composition élégante, vraie et noble à la fois : au lieu du coloris dur et terrible de cette école, son pinceau retraça des teintes fines et délicates. Il fit succéder une large et harmonieuse lumière à des effets recherchés, mesquins et souvent heurtés, de telle sorte que, se trouvant à Rome où le Caravage tenait le sceptre de la peinture, sa manière douce et délicate parut à Giusepino, émule du Caravage, la critique la plus sensible et la plus efficace de la dureté de style de son antagoniste, et il commença à louer le Guide, peutêtre, il est vrai, plutôt par haine contre son émule que par amour du talent du jeune peintre. La réputation que cette lutte procura au Guide excita bientôt, chez Paul v, le désir de voir les ouvrages du jeune artiste. Ce pontife, éclairé autant que magnifique, apprécia ses talens, et dès lors le peintre lui devint si cher, que, malgré sa haute dignité, malgré les affaires dont son pontificat a été si rempli, il allait fréquemment visiter le Guide, se complaisait à le voir travailler, et sa familiarité devint telle, qu'il le forçait à se couvrir en sa présence. L'affection du pontife, voilà le premier bienfait de la fortune! Les

faveurs des grands sont cependant mêlées de tant d'amertume, qu'il est rare qu'elle ne produise pas, dans les esprits d'une nature élevée, des dégoûts qui en corrompent tout le charme. Plus le Guide acquérait l'amitié de Pie v, plus l'animosité et la jalousie du trésorier du saint-père augmentait. Cet homme l'abreuvait de tant de contrariétés, et fut si constant dans son inimitié, que, ne pouvant plus supporter cette opposition incessante, le Guide, malgré le pontife et à son insu, partit de Rome et revint à Bologne. Pendant cette courte adversité, il peignit ses deux plus fameux tableaux : l'Apothéose de saint Dominique et le Massacre des Innocens. Ici il nous vient à l'âme une triste réflexion, c'est que peut-être si la fortune adverse eût duré plus longtemps, le Guide aurait-il cherché à profiter de son art et laissé plus de titres de gloire.

Mais la fortune commença de nouveau à lui sourire. Le pape, ne pouvant souffrir la privation d'un artiste qui lui était si cher, employa tous les moyens pour le faire retourner à Rome, On se souvient encore du triomphe du Guide à son retour dans la capitale du monde catholique, précédé du zéphyr trompeur de la faveur du pape. Son entrée eut toute la pompe de celle d'un ambassadeur; plusieurs cardinaux envoyèrent leurs voitures au devant de lui, jusqu'à Pontemollo, et la joie que manifesta Pie v en voyant son peintre, mit le comble à sa gloire.

Le pontife ne s'arrêta pas à ces témoignages d'affection; il voulut encore l'enrichir de présens. Toutes ces faveurs inaccoutumées furent la source de nouvelles intrigues. Le Guide résolut de fuir plutôt que de combattre, et quitta Rome une seconde fois. Riche de fortune et de renommée,

il reçut dans toutes les villes d'Italie l'accueil le plus extraordinaire: Bologne, Mantoue et Naples applaudirent tour à tour aux œuvres de son génie. Mais, dans cette dernière ville, la jalousie de ses ennemis, plus puissante que la générosité de ses protecteurs, le força de retourner à Rome. Possesseur d'une immense fortune, doué d'un esprit distingué et d'une facilité merveilleuse, certes, le Guide aurait pu remplir les nombreuses commandes qu'il recevait de tout côté, et laisser de grands et importans travaux; mais malheureusement il s'adonna à la passion du jeu, qui détruisit chez lui tous les avantages que l'amitié des hommes de talent lui avait procurés, affaiblit toutes les qualités qu'il avait reçues du ciel, et absorba tous les biens dont la fortune l'avait si largement doué. Misérable, méprisé de tous, il finit, dans la paresse, une vie commencée dans le travail, la gloire et l'opulence. C'est au jeu qui le possédait entièrement, et devint sa principale occupation qu'il faut sans doute attribuer la faiblesse, la négligence et le défaut d'étude d'un grand nombre de ses ouvrages, entrepris malgré lui pour alimenter cette insatiable passion.

En 1644, il mourut à l'âge de soixantesept ans, méprisé de ses connaissances, oublié de ce monde, qui, dans sa jeunesse, l'avait tant applaudi, et laissant à la postérité un triste exemple de la facilité du jeu à gâter tout esprit, à détruire tout talent. Dans la seconde manière du Guide, on peut remarquer toute l'excellence de son talent; on y retrouve la richesse de la composition, la grâce et la noblesse de l'expression, un coloris brillant, délicat et harmonieux, une facilité et une grâce de touche surprenante; qualités qui toutes contrastent tellement avec la négligence,

les fautes de dessin, les incorrections des extrémités, la mollesse du coloris, qui, presque toujours, se font remarquer dans les travaux de la dernière époque de sa vie, si bien qu'ils semblent sortir d'un autre pinceau.

Le chemin direct de Bologne à Ferrare est une grande et belle route faite par le dernier gouvernement, à côté de l'ancienne. Elle est bien entretenue, et passe à travers des plaines unies et peu pittoresques. A une petite distance de la poste de Malalbergo, la nécessité de passer le Reno sur radeau est le premier des nombreux désagrémens qu'on éprouve entre Ferrare et Venise, parce que le pays est tout-à-fait plat, et que les Alpes y versent une énorme quan tité d'eaux qui se rendent par cette route dans la mer Adriatique.

Ferrare, la cité ben aventurosa » de la muse adulatrice de l'Arioste, étend sa vaste solitude au milieu de ces plaines insignifiantes, dont la nudité en fait un site bien approprié à cet ancien siége de domination féodale, et à ses fortifications encore formidables, qui sont maintenant dans les mains des troupes autrichiennes. Le premier aspect de Ferrare, en approchant de la Piazza-Nuova, Place nouvelle, est extrêmement imposant: ces rues longues et larges, silencieuses, solitaires, où l'herbe croît entre les pavés, lui donnent l'air solennel d'une ville abandonnée; et le gothique et superbe Castello de marbre des ducs de Ferrare, avec ses tours et ses donjons situé au milieu de la place, dans le centre de la cité qu'il domine (Pl. 206), convient bien à l'ancienne capitale des princes d'Est. Ce spacieux palais a été le théâtre de beaucoup de crimes et de beaucoup de fêtes. I contenait les cachots où périssaient les disciples de Calvin; et

la scène où l'on jouait les drames du Tasse, de l'Arioste et du Guarini. C'est là que Lucrèce Borgia tenait ses acadé nies savantes, et que la nouvelle convertie, Rénée de France, assemblait ses conciles disputeurs, en dépit de son époux orthodoxe. A chaque pas que je faisais dans ces corridors humides dont l'histoire résume toute celle de Ferrare, il me semblait voir flotter devant moi les images de l'Arioste, du Tasse, d'Éléonore et de Lucrèce, des Alphonse et des Hippolyte. Pouvais-je quitter Ferrare sans visiter l'habitation du chantre de Roland et de nos preux? Je saluai ces murs d'où son génie s'élevait aux plus hautes régions de l'imaginative et, tel que son hippocriffe, parcourait tous les mondes. De l'humble et précieuse demeure de l'Arioste, mes pas se dirigent naturellement vers l'hôpital Saint-Anne et sa cellule consacrée. L'hôpital, quoique rebâti en partie, présente aujourd'hui à peu près le même aspect qu'il pouvait offrir quand le Tasse y fut renfermé en 1579. C'est un édifice vaste et sombre : les salles principales, toujours dévouées aux infirmités morales et physiques, se déployèrent à mes yeux quand je passai devant elles dans un étroit corridor, pour arriver à la rampe qui mène à la petite cour à murailles hautes et noires, où se trouve la cellule dite du Tasse (Pl. 207). Le guide ouvrit les doubles portes, autrefois puissantes, maintenant vermoulues et ruinées, et me montra un réduit humide, éclairé par une petite fenêtre grillée, long de neuf pas, large de cinq à six, et d'environ sept pieds de hauteur. « C'est là, me dit-il, que le Tasse demeura pendant sept années..... » Malgré l'autorité du conducteur, malgré celles, plus recommandables d'ailleurs, de lord Byron, de Casimir Delavigne

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