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janum, et placée au centre de la petite place du Capitole. Cette statue de bronze est la seule, dit-on, qui soit restée de l'ancienne Rome. C'est un chef-d'œuvre (Pl. 123).

Sous l'empereur Claude, les statues de ce genre se comptaient par centaines. «L'amour-propre des particuliers et le caprice des princes avaient multiplié ces monumens de luxe pour les plaisirs de la vanité. Les arts profitaient de ces folies. Il ne faut donc pas s'en plaindre. César, le premier, accorda les honneurs du bronze à son cheval: Auguste ne fit pour le sien que les frais d'un tombeau; Caligula, comme on sait, voulait élever au consulat son incitatus, mais il n'en eut pas le temps, et c'est dommage. Néron avait déjà revêtu le sien de la robe sénatoriale. Que n'eût-il pas fait s'il eût vécu ? Comme Auguste, Adrien se contenta des regrets du tombeau pour son Borysthène; mais Vérus honora son coureur d'une statue d'or. A qui devons-nous le monument de MarcAurèle? on l'ignore. Comment échappa-t-il aux ravages du temps? il serait difficile de le dire. Ce qu'on sait bien quand on l'a vu, c'est que l'incomparable bronze est le seul de ce genre qui se soit conservé du nombre immense possédé par Rome antique. A cette cause de curiosité se mêle un sentiment d'amour et de respect qu'inspire l'image de l'empereur philosophe. Il est représenté parlant au peuple ; il étend la main en se penchant un peu : cette main n'est pas armée du bâton de commandement; le père de la patrie veut faire passer tous les sentimens de son âme dans l'âme de ceux qui l'écoutent : ce n'est pas le maître qui veut, c'est l'ami qui désire; il n'exige point, il cherche à persuader; cette attitude est si naturelle, la majesté s'y

trouve tellement tempérée par la bonté, le travail d'ailleurs est si parfait, qu'on ne sait, qu'on ne peut qu'admirer. C'est bien le père du peuple qui respire dans ce bronze étonnant. Pour le cheval, il joint la force aux formes les plus élégantes. Qu'il est fier de porter un bon prince, un grand homme 1! Pierre de Cortone, ce grand peintre, ne passait jamais devant cet admirable cheval sans lui crier: Marche donc ! n'es-tu pas en vie!

C'est au pied de la statue équestre de Marc-Aurèle, qu'au dixième siècle l'anti-pape Boniface VII, ou plutôt Francone, vint expier ses crimes et surtout le double assassinat de Benoît vi et de Jean XIV. Crescentius, alors à la tête du gouvernement de Rome, sous le titre de consul, ameuta le peuple contre ce fourbe, qui fut pendu au cou du cheval de bronze. Qu'un prince préside à la justice, c'est de toute équité, mais faire de l'effigie d'un grand homme le gibet d'un criminel, c'est une profanation que les troubles populaires peuvent seuls excuser.

A deux pas de là, un homme plus digne, et dont le sort est plus à plaindre, peut servir aussi d'exemple de la légèreté des affections de la multitude. Colas Rienzo, dont la puissance égala pendant un certain temps celle des plus grands princes, tomba au pied de l'escalier du Capitole, victime de la fureur

1 C'est à peu près en ces termes que Laoureins, dans son TABLEAU DE ROME, ouvrage excellent, mais trop peu connu, analyse la statue de Marc-Aurèle. Comme il est fatigant pour le lecteur que notre narration soit interrompue sans cesse par l'indication des sources auxquelles nous puisons, suivant l'esprit et le but de cet ouvrage, qu'il suffise donc d'avoir indiqué dans le titre de cette description de l'I

talie et dans l'introduction, les auteurs dont les brillantes inspirations nous serviront plus particulièrement de modèles.

populaire qu'il avait su allumer et qu'il faible contre tant d'encens et d'honne put maîtriser. neurs. Comme Mazaniello il devint fou!

Fils d'un cabaretier et d'une blanchisseuse, élevé par les soins de quelques âmes charitables, il s'était adonné dès sa jeunesse à l'étude des historiens et des orateurs de l'antiquité. Enflammé de ces grands et éloquens souvenirs, pénétré de la plus profonde vénération pour les anciens Romains dont il admirait le génie et la vertu, il comprit surtout la puissance de la parole sur l'imagination ardente et facile à exalter de ses compatriotes. C'est avec de pareilles dispositions qu'il parut pour la première fois sur la scène du monde, peu après l'élection de Clément vi. Revêtu d'une charge publique, il vit de près les affaires, et son œil pénétrant démêla sans peine les embarras de l'Italie et ceux du saintsiége. Il vit Rome en proie à la rivalité sanglante des Colonna et des Orsini, les routes infestées par le brigandage, et la ville en proie à toutes les horreurs de la misère et de la guerre civile. Il se sentit alors destiné à jouer un rôle dans ce grand drame. Sa voix éloquente se fit entendre pour rappeler ses compatriotes à un nouvel et meilleur état : à l'ancienne liberté romaine. Des améliorations furent proposées; le peuple, qui les accueillit avec son enthousiasme ordinaire, nomma Rienzo tribun pour les faire exécuter.

Ici commence la carrière d'éclat et de gloire de cet homme étonnant. Rienzo, ce Mazaniello romain, goûta et épui sa en sept mois les jouissances les plus enivrantes du pouvoir. Les trônes étrangers s'empressaient à l'envi de lui faire hommage. Les Vénitiens lui promettaient leur appui. La reine Jeanne de Sicile l'appelait son très-cher ami. Le roi de Hongrie réclamait ses secours. La tête de Rienzo fut trop

Les Colonna tentèrent alors de se défaire du tribun trop puissant. Rienzo, à la tête de ses partisans, sortit de Rome et les vainquit; mais ce triomphe fut le dernier. Le peuple se lassa du culte de son idole. En vain, pour rallumer une ardeur qui s'éteignait, Rienzo eut-il recours à l'une de ses improvisations brûlantes, qui naguère encore soulevaient la multitude; en vain descendit-il à la prière; le peuple resta froid devant son éloquence. Rienzo vaincu traversa la ville avec un reste de pompe et de gloire, et se rendit prisonnier au château SaintAnge. Toutefois, il ne put supporter long-temps les ennuis de la captivité. Celui qui se glorifiait de posséder le plus beau sceptre de l'univers, devait se sentir à l'étroit dans un cachot. Bientôt il en sortit pour aller chercher un asile en Hongrie. De là il se rendit en Allemagne, où Charles Iv, roi des Romains, le fit saisir dans l'intention de le livrer au pape Innocent vi. Un exil flétrissant menaçait enfin de couronner les malheurs du tribun, lorsque les Romains, se souvenant des jours heureux de son règne et mécontens d'ailleurs des intrigues d'un ambitieux nommé Jean de Vico qui se prétendait préfet de Rome, rappelèrent Rienzo avec honneur, et le reçurent avec des marques de joie qui durent lui rappeler son ancienne gloire. Le tribun s'arma contre Vico et le défit. Le pape, cédant à ce retour imprévu de la faveur populaire, se décida à nommer Rienzo chevalier. Cette faveur était

pour le tribun les derniers rayons d'un

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mes; lui-même fut reconnu sous les déguisemens destinés à protéger sa fuite. Or se précipita sur l'infortuné et on le conduisit au bas de l'escalier du Capitole, dans l'endroit même où jadis il faisait lire les condamnations. Rienzo tomba percé de vingt coups de poignard aux pieds de cette statue de Marc-Aurèle, à laquelle se rattache un des souvenirs les plus curieux du temps de la prospérité du tribun. Ce fut là en effet qu'il avait donné autrefois sa fête, sa Viziosa Buffoneria, dans laquelle des flots de vin coulaient, en l'honneur de ce jour de pompe burlesque, des naseaux du superbe cheval de l'empereur ro

main.

Pendant que nous sommes au Campidoglio, et avant de parler des monumens qui le décorent, jetons les yeux sur cet édifice qui s'élève à notre gauche, si nous faisons face à la rampe (Pl. 122). Un second escalier s'élève auprès dans une direction oblique. Il fut construit en 1348, un an après la catastrophe de Rienzo: il conduit à l'église de l'Ara - Cœli. Plusieurs savans pensent que cet édifice occupe l'emplacement du temple de Jupiter Capitolin. «Vingt-deux colonnes de granit sont les beaux restes de l'ancien portique. Sylla les avait fait venir du célèbre temple d'Olympie. La magnificence du temple de Jupiter Capitolin éclatait dans son triple péristyle, dans son toit de bronze, dans ses statues et couronnes d'or. Les Romains attachaient à sa conservation le salut de l'empire. Les triomphateurs n'y montaient que dans l'atti tude la plus humble. L'église qui remplace le temple a conservé quelque chose de ce respect religieux. Les dévots n'y arrivent qu'en se traînant sur leurs genoux dans un large et rapide escalier de marbre blanc de cent mar

R.

ches, débris, dit-on, de celles qui conduisaient au temple de Quirinus. »

L'intérieur de l'église de l'Ara-Cœli est supporté par vingt-deux belles colonnes antiques de granit égyptien. La troisième colonne, à gauche en entrant par la grande porte, est surmontée de cette inscription: A cubiculo Augustorum ». Les cubiculaires étaient des officiers de la chambre à coucher du palais impérial. On prétend qu'Auguste fit construire, non loin de cet endroit, un autel consacré au Dieu le premier né, Ara primogeniti Dei, et de là vint par corruption le nom d'AraCoeli, que l'église porte encore. Près du grand autel on voit un tableau de la Sainte-Famille par Raphaël; il est assez mal restauré. La chapelle de saint François offre de belles peintures dues au Trevisani. Un objet non moins digne d'intérêt attira toute mon attention, et j'aurai d'autant plus de plaisir à en entretenir le lecteur, que nul voyageur que je sache n'en a parlé jusqu'aujourd'hui. Pietro della Valle repose sous ces voûtes; un modeste tombeau renferme ses dépouilles et celles de sa fidèle compagne, Sitti Maani Gioerida.

Cet homme remarquable, qui naquit à la fin du quinzième siècle, s'était d'abord livré à la carrière militaire ; il combattit contre les barbaresques sur une flotte espagnole, puis s'embarqua pour visiter les lieux saints et d'autres pays de l'Orient. Le 8 juin 1614 il entreprit cette longue série de voyages dont il nous a lui-même conservé la relation intéressante. Après avoir parcouru successivement la Turquie, l'Asie mineure, l'Égypte, il revint à Bagdad pour y commencer cette période de son existence toute remplie de périls et d'amour. C'est là qu'il épousa une jeune Assyrienne chrétienne, qui le

suivit dans ses excursions même les plus lointaines; elle partagea avec lui les dangers d'une guerre qui venait d'éclater entre les Turcs et les Persans pour lesquels della Valle avait pris parti: véritable amazone sous les traits d'un ange, elle demeurait sans crainte au milieu du sang et des ravages du ca

non.

Cependant, sous l'influence d'un climat insalubre, elle meurt bientôt ! Avec elle Pietro della Valle perd tout son bonheur sur la terre. En vain, pour se distraire de ses regrets douloureux, il visite Ahmed-Aba, Cambaye, Goa, le golfe Persique, Bassora, Chypre, Malte et la Sicile; le souvenir de son amie le suit partout que dis-je ? jamais il ne put se décider à se séparer de ses précieuses dépouilles. Son corps, embaumé avec soin par ordre de Pietro, accompagnait en tous lieux ce mari, cet amant inconsolable. Ce fut avec ces restes chéris qu'il revint à Rome en 1626. Le pape Urbain vIII, qui avait entendu parler de l'illustre voyageur, l'admit bientôt à son audience; des honneurs lui furent prodigués; mais ces glorieuses marques d'estime ne lui firent pas oublier sa Gioerida. Le 22 mai 1627 il fit célébrer en son honneur de magnifiques obsèques dans l'église de l'Ara-Cœli; lui-même prononça l'oraison funèbre de cette épouse chéric. Si l'éloquence a sa source dans la profondeur de l'émotion, combien les paroles de Pietro durent être touchantes et pathétiques! Quand il vint à parler de la beauté de sa femme, des larmes s'échappèrent de ses yeux, et tous les auditeurs, émus par la simplicité et l'affliction de son discours, éclatèrent en sanglots.

Pietro della Valle se remaria quel ques années après cet événement ; mais, fidèle à sa première compagne,

il voulut en mourant que son corps fût placé à côté du sien.

Revenons maintenant au point d'où nous étions partis pour visiter l'AraColi, et replaçons-nous au centre de la plate-forme du Campidoglio : le dos tourné à l'escalier principal, trois monumens remarquables s'offrent à notre vue. Toutefois, ils sont moins dignes d'attention par leur architecture que par le nom de leur divin au

teur.

Michel piu, che mortale, angel divino,
Michel, ange divin, plus que mortel.

Que les critiques blâment ce génie admirable d'avoir construit ce qu'ils appellent une maison de capucins sur l'emplacement illustre du Capitole, nous voyons, nous, dans cette œuvre une pensée profonde de l'artiste qui a élevé dans les airs le Panthéon d'Agrippa! Lorsqu'il traçait le plan des édifices du Campidoglio n'a-t-il pas dû se dire: Si je vivais au temps des Cincinnatus et des Scipions, alors je construirais des monumens dignes de ces héros et d'un pareil siècle; mais puisque je vis avec des capucins et des moines, bâtissons, sur l'emplacement le plus glorieux de l'ancienne républi que, des maisons qui soient en rapport avec les petits hommes d'aujourd'hui !

Toutefois la pensée de Michel Ange, même dans son mépris, ne pouvait pas rester beaucoup au-dessous d'ellemême; il faudrait donc bien se garder de concevoir une opinion trop désavantageuse du palais sénatorial qui fait face à l'escalier du Capitole, ainsi que du musée capitolin et du palais des conservateurs, qui sont situés à gauche et à droite. Ces divers édifices, construits par l'ordre du pape Paul in, ne sont pas sans mérite. La

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