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symbole de la madonna est digne de vénération et d'amour.

Un spectacle, que l'étranger le plus froid et le plus insensible n'a pu voir sans émotion, est certainement celui des funérailles. C'est l'usage, à Rome, de porter les morts à leur der nière demeure sur une litière, et le visage découvert : la cérémonie a lieu le soir, aux flambeaux, et des pénitens, affublés d'un sac percé de trous pour les yeux, le corps ceint d'un cordon, un livre et un cierge à la main, suivent le convoi en chantant (Pl. 191). La vue de ces fantômes est imposante, et l'on ne saurait se défendre d'une profonde émotion lorsque, rangés autour du mort qui repose à leurs pieds sur le pavé de l'église, leurs chants invoquent encore pour lui la miséricorde divine, lorsque, pour la dernière fois, ils éclai, rent son visage, lorsqu'après s'être agenouillés autour de lui, en prières, ils éteignent leurs flambeaux, et le livrent à la nuit, à la solitude, au silence, au temps qui n'aura plus de fin. Le drame est, en vérité, très-fort de situation, et il ne saurait être mal joué par l'acteur principal. Quant aux autres, ils n'ont besoin que de leur sac, de leur livre, de leur flambeau, qui brille un moment et s'éteint bientôt. L'imagination du spectateur fait le reste.

Mais revenons à Saint-Pierre d'où ces digressions nous ont éloignés. L'inté rieur est plutôt riche, orné, magnifique, que d'un goût pur le mauvais, l'exagéré qui y abondent ne laissent pas dans son ensemble de contribuer à l'effet et d'avoir une sorte de grandiose. On doit surtout éternellement regretter, pour l'élégance et la majesté de l'édifice, que la croix grecque de Michel-Ange n'ait point été préférée à l'allongement de la croix latine adoptée par Charles Maderne.

Saint-Pierre offre d'ailleurs mille contrastes piquans: de pauvres paysans, chargés de leur bagage, se prosternent sur ce pavé de marbre, et devant ces autels brillant d'or et de pierreries; ils ont, en entrant, baisé la porte sainte que des Anglais et d'autres voyageurs profanes et peu discrets couvrent de leurs noms des gens du peuple causent de leurs affaires devant un confessional avec leur confesseur, et cette conférence préliminaire est suivie du sacrement qui amène les fidèles. Un pénitencier, armé d'une longue baguette, frappe légèrement sur la tête des fidèles qui s'agenouillent devant lui. Cette espèce de pénitence publique relève des péchés véniels. Les pénitenciers des diverses langues viennent recevoir à leur tribunal les aveux différens, mais, au fond, toujours les mêmes, de notre fragilité et de notre misère : des confréries rangées avec ordre, ou des religieux font leurs stations aux divers autels, tandis qu'au loin retentissent les chants graves des prêtres célébrant l'office dans la chapelle du chœur, le bruit de l'orgue et la lente harmonie des cloches de Saint-Pierre. Quelquefois la basilique est un vaste et silencieux désert les purs rayons du soleil couchant éclairent et pénètrent de leurs feux dorés le fond diapbane du temple, et viennent frapper quelque brillante mosaïque, copie impérissable d'un chef-d'œuvre de la peinture; tandis que quelque artiste, ou quelque sage détrompé des choses de la vie, se livre dans un coin écarté à de profondes rêveries, ou qu'un pauvre homme dort plus profondément encore, étendu sur un banc.

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Nous aurions fort à faire si nous voulions citer au lecteur toutes les merveilles de sculpture et de peinture que Saint-Pierre contient. D'ailleurs,

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cette nomenclature serait fastidieuse au lecteur. Bornons-nous à nommer l'immortelle coupole de Michel-Ange, le mausolée de Paul m, la chaire de Saint-Pierre, le tombeau d'Urbain vIII, ceux de Jacques п, roi d'Angleterre, et de Catherine de Suède, le célèbre bas-relief d'Attila, la chapelle Clémentine, et enfin le monument Rezzonico, qui mit le comble à la réputation de Canova.

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D'après les registres de la chancellerie relevés par Fontana, les dépenses de la basilique de Saint-Pierre s'élevaient, au commencement du dernier siècle, à 46,800,498 écus d'argent, (environ deux cent vingt millions de la monnaie actuelle), dont un dixième au moins avait été employé sous la direction du Bernin la chaire seule avait coûté plus de 107,000 écus. Mais c'est à tort qu'on est convenu de regarder la vente des indulgences, entraînée par ces dépenses, comme la cause de la réforme. Luther aurait bien su trouver un autre prétexte sans celui-là : c'est ainsi que la contribution levée pour guerre contre les Turcs excita peu après les mêmes résistances.

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Il faut monter à la coupole pour juger véritablement de l'étendue de SaintPierre, et admirer complétement Michel-Ange. Il avait cinquante-sept ans lorsqu'il posa la calotte de cette coupole. Pour y parvenir, il faut entreprendre une sorte de voyage. Une population d'ouvriers toujours occupés des réparations, habite le sommet du temple, qui semble une place publique en l'air. Un escalier conduit sur l'entablement intérieur, près de la magnifique promesse faite au premier apôtre, et inscrite en caractères de six pieds: Tu es Petrus, et super hanc petram ædificabo ecclesiam meam. De la fameuse boule de bronze, placée au

sommet du temple, et qui peut contenir jusqu'à seize personnes assises, on jouit du plus magnifique aspect de la ville et de la campagne de Rome.

Le Vatican représente la nouvelle et religieuse grandeur de Rome actuelle, comme le Capitole représentait la grandeur belliqueuse et triomphante de l'ancienne Rome. Mais ce palais, jadis fameux par ses onze mille salles ; cette cour pontificale, long-temps si fastueuse, respirent maintenant la simplicité et la modestie, et la dépense actuelle du pape, dit M. Valery, ne dépasse guère le traitement du président de notre chambre des députés. Le Vatican ne tonne plus : il n'est de nos jours que le plus vaste des musées, et un monument curieux des talens de Bramante, de Raphaël, de San-Gallo, de Pirro Ligorio, de Fontana, de Charles Maderne et du Bernin.

C'est avec plaisir qu'en présence d'un sujet aussi beau et aussi vaste que le Vatican, nous recueillerions tous nos souvenirs pour tracer au lecteur, dans un cadre resserré, mais énergique l'histoire politique et religieuse des souverains qui habitèrent ces lieux ; leur influence sur leur siècle et sur la civilisation; histoire curieuse, s'il en fut jamais, et qui offre de riches moissons au philosophe et au romancier, ou bien, dans un essor moins ambitieux, nous aimerions encore à décrire cette admirable chapelle Sixtine, où Michel-Ange s'est immortalisé par son Jugement dernier. Mais si nous ne pouvons traiter un si beau sujet avec tous les développemens qu'il réclamerait, au moins tâcherons-nous de donner au lecteur des aperçus principaux qui pourront lui tenir lieu de plus amples détails.

Le Vatican est le palais des papes C'est là que se trouve le siége de cette puissance qui a fait trembler sur leurs

trônes tous les souverains de l'Europe, L'étendue de ce palais est immense, Cependant nous ne prendrons pas la peine de compter les treize mille chambres qu'il renferme, suivant le calcul de quelques voyageurs doués d'une patience que nous admirons sans l'imiter. Nous ne chercherons pas non plus si le chiffre des vingt-deux mille fenê tres du Vatican est exact. Nous commencerons immédiatement notre visite par la bibliothéque, qui possède, dit on, cent cinquante mille volumes, et qui a été successivement enrichie par tous les représentans de saint Pierre, depuis le pape saint Hilaire. Au reste, tel est le mystère de ses armoires, qu'on ne se douterait guère des richesses littéraires qu'elle contient, et que le voyageur qui l'a traversée n'est véritablement frappé que des peintures, des vases étrusques et de Sèvres, de la belle colonne d'albâtre oriental, des statues du sophiste Aristide et de l'évêque Hippolyte, dont le siége offre, sculpté, le célèbre calendrier pascal. Sur une table de marbre, dans la salle des lecteurs, presque toujours déserte, est le décret de Sixte Quint, qui excommunie tout homme, même le bibliothécaire ou les employés, qui ferait sortir un seul volume de la bibliothéque sans la permission autographe

du pape.

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Parmi les manuscrits ou les copies dignes d'intérêt, je citerai le Térence, du huitième siècle, les Rime de Pétrarque, la Divina Commedia du Dante, la magnifique Bible latine des ducs d'Urbin, le rouleau mutilé, de trente-deux pieds de haut, qui représente une partie de l'histoire de Josué, le bréviaire de Mathias Corvin, des lettres d'amour d'Henrività Anne Boleyn, enlevées à la France où elles étaient plus naturellement placées qu'au Vatican, une ébauche des trois

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premiers chants manuscrits de la Jérusalem, faits par le Tasse à dix-neuf ans, enfin un grand nombre d'ouvragesgrecs et latins de la plus grande valeur.

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Le musée fut commencé, il y a cinquante ans, dans une cour et un jardin. Ce musée est le plus bean, le plus riche, le plus admirable des musées. On ignore ce qu'on doit le plus admirer, soit du zèle des derniers pontifes, soit de la singulière fécondité d'une terre qui, en si peu de temps, a produit tant de chefs-d'œuvre, L'abbé Barthélemy avait calculé que, malgré les ravages des siècles et les mutilations des barbares, le nombre des statues exhumées jusqu'à nos jours du sol de Rome dépassait soixante-dix mille. Quel ne devait pas être l'éclat de la ville éternelle, quand elle était peuplée par cette multitude de figures intactes, placées dans les somptueux édifices élevés de toutes parts!

Que le lecteur n'attende pas de moi la description de tous les chefs-d'œuvre du musée du Vatican. Je noterai seulement les plus saillans. Au musée Pio-Clementino, est le sublime torse d'Apollonius. Michel-Ange disait qu'il était l'élève de ce torse dont, aveugle et vieux, il palpait encore avec ardeur les contours. Je ne puis manquer de nommer le Laocoon, création magnifique des Rhodiens Agisandre, Polydore et Athénodore. On ne sait ce qu'i doit le plus exciter l'attention dans cet immortel ouvrage, ou de la force, ou de l'expression, ou de la douleur. Tous ces sentimens triomphent à la fois. Félix de Frédis, qui trouva le Laocoon dans sa vigne, sous Jules tt, mérite les actions de grâces de tous les artistes.

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