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prouvent rien, sinon que de pareils ornemens étaient également usités dans le christianisme, où ils étaient l'emblème de l'abondance, de la joie et de la prospérité.

Ce qui démontre que cet édifice a servi ensuite de sépulcre aux mêmes Constances, c'est le sarcophage de porphyre découvert dans cet endroit, et sur lequel sont sculptés en bas-reliefs les symboles existant à la voûte.

L'entrée la plus imposante de Rome moderne est, sans contredit, la porte del Popolo, nom qui lui vient, non pas du peuple, comme plusieurs voyageurs se sont plú à le répéter, mais bien d'un bois de peupliers, qui jadis occupait les environs. Elle se trouve du côté de la Toscane, entre le fleuve que cachent des casernes de peu d'apparence et le Pincius, autrefois triste et dépouillé, aujourd'hui couvert de constructions et de plantations délicieuses. De là partent trois rues. Celle du milieu, le Corso, suivant la direction même de la voie Flaminienne, sera la seule dont nous parlerons en ce moment.

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L'éternel Corso, bordé de palais et de boutiques, réunit à la fois la petite industrie de Rome, l'ennui et les vanités des grands, qui viennent chaque jour les y étaler en carrosse, à des heures différentes, suivant les saisons. Le Corso est favorable à l'opinion qui regarde la population comme moyen de salubrité : l'air de cette rue marchande passe pour le meilleur de la ville, tandis que de belles et solitaires villa sont empestées. Les trottoirs du Corso, autrefois élevés et inégaux, au lieu d'être un abri, étaient, le soir surtout, véritablement meurtriers. On vient de les reconstruire sur un plan uniforme. Au milieu de sa décadence, Rome conserve quelques traces d'une splendeur qui n'appartient qu'à elle. Le

pavé de ses rues est encore aujourd'hui de basalte, noble pavé qui n'est ni doux ni commode, et dont les chevaux surtout doivent fort peu goûter l'antique majesté. Les bornes sont formées d'anciennes colonnes de temples et de portiques, et elles ont conservé leur illustre nom de colonnettes.

Ce qui rend le Corso fort populaire, ce sont les promenades journalières dont cet endroit est le but, et surtout les fêtes brillantes du carnaval (Pl. 157 ).

Le goût des habitans de Rome pour les divertissemens de tous genres est très-prononcé. Les fêtes du carnaval méritent surtout une mention particulière par la liberté excessive qui règne dans la ville durant cette joyeuse époque. Suivant le mot de Laoureins, Rome a l'éclat d'une grande fête célébrée aux frais de la folie. Ces modernes bacchanales ne durent qu'une semaine ; mais ces huit jours sont si pleins d'extravagances qu'ils peuvent bien compter pour un mois de divertissemens ordinaires. Tous les états et tous les âges y prennent part.

L'ouverture de ce singulier spectacle a quelque chose de solennel. Le signal de la mascherata est donné par la cloche du Capitole et le canon du fort. Nous emprunterons à la piquante narration de Laoureins quelques détails sur le carnaval de Rome. « Avant que le canon se soit fait entendre, aucun masque ne peut se montrer. Mais à peine la lice est-elle ouverte, que de toutes parts on les voit se précipiter au Corso. C'est le théâtre général de toutes les gaîtés. En un clin d'œil, cette rue est pleine de voitures, de chars, de curieux qui s'établissent sur les trottoirs, et de masques à pied qui circulent en glapissant, suivis de la foule des badauds. On voit des voitures chargées

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de femmes et d'enfans. Leurs cochers sont dans le grotesque accoutrement de marquis de l'autre siècle et de poissardes éhontées. Les chars promènent des groupes qui offrent presque toujours quelque scène amusante. C'est un ménage bourgeois avec chien et chat, une vieille qui gronde, un ivrogne qui la bat; ou ce sont des étourdis avec de jeunes femmes, de prétendus débauchés débitant des contes à mourir de rire. Toutes ces scènes sont parlantes, et les costumes aussi riches que bien choisis. »

Les boutiques étalent sur des mannequins une grande quantité de masques et d'habillemens fantastiques; on y voit aussi de grands paniers pleins de dragées, confetti, faites avec de la puzzolana, terre volcanique, blanchie à dessein avec de l'eau de chaux. Les gens masqués ont soin de se munir d'une énorme quantité de ces dragées qu'ils lancent de toutes leurs forces contre les passans. La foule riposte, et la mêlée devient générale. Si, par hasard, on remarque un promeneur au maintien trop grave, à la toilette trop recherchée, au visage trop badaud, devient aussitôt le point de mire de cent assaillans, dont les projectiles, blanchissant tous ses vêtemens, les rendent semblables à ceux d'un meunier. Au milieu de la licence des confetti, on observe pourtant certaines lois du combat. Les gens sans masque ne doivent pas s'en jeter les uns aux autres, mais seulement aux masques, et ceux-ci à tout le monde. Les laquais montés derrière les voitures doivent s'épargner réciproquement, et surtout respecter les maîtres.

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Les confetti des grands personnages sont de véritables dragées que les femmes jettent avec grâce aux personnes de leur connaissance qu'elles découvrent dans la foule. Leurs chevaux brillent

sous les plus riches harnais, et d'élégantes calèches promènent des nymphes et des dieux. Autrefois le Corso devenait, pendant le carnaval, une sorte d'Olympe ambulant, où tous les dieux et toutes les déesses de l'ancienne mythologie étaient reproduits dans leurs costumes respectifs; mais la mythologie a tout-à-fait passé de mode. Au milieu de ces différens costumes, on voit ordinairement s'avancer l'histoire du monde, charge fort divertissante. C'est une énorme voiture, où sont placés des gens qui se grandissent à volonté; des renards et des loups avec des agneaux et des poules qui ne se méfient de rien. Il y a pour laquais des chiens et des chats, et pour cocher un singe.

Pendant ce temps, la foule des masques à pied joue et circule au milieu de deux cents voitures en mouvement qui ne blessent personne. La coquetterie réserve aux femmes les mieux faites l'élégant costume des paysannes des environs de Rome, qui prête de nouvelles grâces à des formes déjà charmantes. Toutes ces scènes sont animées par une gaîté folle c'est une véritable fête, que le climat et le lieu contribuent à rendre également parée et bruyante. La rue a plus d'un mille de long, et deux rangs de palais pour enceinte. Afin que la marche soit plus douce, on y répand du sable très-fin. Se figure-t-on ce spectacle dans une immense galerie entre deux amphithéâtres, et plus de dix mille balcons occupés par cent mille spectateurs qu'un nombre incroyable de fous viennent amuser cinq heures par jour, une semaine durant? (Voyez une scène de carnaval, pl. 157.)

A deux heures le canon donne le signal de la retraite : alors commencent les courses de chevaux dans la rue débarrassée de ses masques. Comme ces courses ressemblent en tout à celles dont

nous avons parlé à propos de la fête de sainte Rosalie, à Palerme, nous nous abstiendrons ici de les décrire. Le mardi gras, vers midi, tout Rome se presse au Corso pour voir passer le pape. Sa sainteté parcourt à pas lents cette vaste rue, en donnant sa bénédiction à tous les assistans. C'est ainsi qu'on se trouve absous à l'avance des folies dont on remplira le reste de la journée.

Le dernier jour du carnaval, et aussitôt après la dernière course, la scène change tout à coup, et l'on n'entend plus que le lamentable cri de è morto carnavale! Les moccoli ou moccoletti petites bougies allumées) brillent dans chaque main, et à mesure que la nuit s'avance, cette illumination devient plus forte et plus brillante. Des clameurs s'élèvent contre ceux qui ne portent pas de lumières, ou dont les lumières se sont éteintes, et ceux-ci, sous prétexte de les rallumer, cherchent à éteindre celles des autres. Pour déjouer de pareils projets, on les porte souvent au bout d'un bâton. Dans ce tumulte de quelques momens, les amoureux et les filoux font également bien leurs affaires.

Le mercredi des cendres, Rome est dans le calme du sommeil. Ces gens, si gais hier, dérident à peine leur front aujourd'hui. La folie a serré ses grelots mais on a arrangé déjà les académies-concerts, et ces réunions agréables conduisent aux plaisirs impatiemment attendus du mois de mai.

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Quelques autres divertissemens se présentent d'ailleurs, pendant cet intervalle, pour charmer l'oisiveté des Romains. Le jour de Pâques est une solennité qui ramène avec elles des cérémonies faites pour intéresser la curiosité la moins excitable. Nous nous réservons d'en parler ailleurs. Nous ne signalerons ici que l'illumination mer

veilleuse du dôme et de la façade de Saint-Pierre. M. Fondragon exprime en ces termes son admiration pour ce spectacle unique : « Je demeurai frappé de l'aspect de cette illumination à laquelle je ne pouvais rien trouver de comparable, lorsque, tout à coup, je visles feux remplacés ou plutôt augmentés par une autre illumination infiniment plus belle encore, et tellement éclatante, que les lampions de la première parurent alors pâles, et que la nuit sembla être remplacée par le jour.... On m'assura qu'il y avait cinq cents hommes employés à cette illumination soudaine. Ils ont chacun leur poste; au premier signal, ils saisissent leurs torches, et vont allumer les lampions dont les mèches sont préparées avec du soufre ; de sorte qu'en moins de trois minutes tout est achevé. »

Le lundi de Pâques, un feu d'artifice magnifique, appelé girandole, est tiré au château Saint-Ange. Un coup de canon est le signal qui indique le commencement du feu. Empruntons encore à M. Fondragon sa description de ce brillant spectacle auquel il assista dans un palais du cardinal Albani. << Le château Saint-Ange, noir comme la nuit, antique comme le temps, asile de la mort et du silence, devint tout à coup couronné d'une tente ou girandole lumineuse, surmontée des armes papales. Après cette décoration magique,commença une espèce de siége. Le château riposta à des attaques simulées; on entendit une vive fusillade en artifice, à laquelle l'artillerie se joignit bientôt ; une foule de bombes et de fusées éclatantes parcoururent les airs comme des météores on vit des épées flamboyantes se croiser, et d'autres artifices imiter différentes scènes d'un siége; mais la pièce la plus remarquable et la dernière, fut une pluie de feu que

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assiégés semblèrent répandre sur les assiégeans cette pluie ressemblait à une immense fontaine, dont l'eau tombait en diverses cascades autour du château, et formait un spectacle réellement merveilleux. En un mot, ce feu d'artifice, qui dura au moins une demi-heure, fut des plus magnifiques et des plus imposans; alors cet antique palais du néant, devenu un moment l'image du jour et de la vie, retomba de nouveau dans le silence et dans l'obscurité. » N'est-ce pas là toute la vie? naître, briller un instant et s'éteindre !

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Parmi les spectacles que les Romains aiment le mieux, il faut ranger celui des marionnettes. Elles ne sont pas, comme à Paris, réduites à l'ignoble famille des Polichinelles pour les plaisirs du peuple des boulevarts; elles forment un véritable spectacle, qui, tout comme un autre, a ses théâtres, ses décorations, sa musique et son répertoire. Les enfans raffolent de ce spectacle, et j'avoue, sans honte, que plus d'une fois je me suis trouvé parmi eux, prenant ma part de leur plaisir.

A Noël, les principales boutiques de confiseurs et de marchands de jouets d'enfans sont décorées de guirlandes et de clinquant. Au milieu des objets de toute sorte étalés en vente, est placée une vieille femme (quelquefois un homme joue ce rôle), aux vêtemens noirs, au -visage barbouillé de suie : c'est la befana ( Pl. 158), le fantôme, qui est descendu par la cheminée, à l'heure où paquitJésus, pour apporter des sucreries aux enfans sages, et châtier les petits mauvais sujets. Cette scène, qui n'est pas pas seulement propre à l'Italie, a lieu non-seulement dans les lieux les plus fréquentés de Rome, mais aussi dans beaucoup de maisons particulières, ce qui produit un spectacle de famille fort divertissant. Alors la befana est assise

sous le manteau de la cheminée. Quant aux grandes personnes, elles se font des cadeaux réciproques le jour de Noël, comme on fait à Paris le jour de l'an: cela s'appelle donner et recevoir la befana..

Continuons ces excursions au milieu des mœurs véritablement italiennes par une analyse rapide d'un autre plaisir auquel les Romains n'attachent pas moins de prix que les enfans n'en mettent à la célébration de la befana. Je veux parler de la danse, de cet exercice où se peignent si bien les nuances du caractère des peuples chez lesquels l'observe.

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Il y a dans les États romains plusieurs sortes de danses; mais la principale, la danse de caractère, s'appelle salterello ou saltarello: plusieurs voyageurs disent saltarella au féminin (Pl. 159). On la danse ordinairement à deux, au son de la guitare et du tambour. C'est surtout lorsqu'ils dansent à Testaccio, en présence de nombreux spectateurs, que les minenti (élégans du peuple) cherchent à lutter de grâce et de souplesse.

Le saltarello est une scène complète d'amour.En sautillant, en tournant l'un autour de l'autre, les danseurs expriment la passion qu'ils feignent d'avoir, le désir de plaire, la joie ou le chagrin, la jalousie ou le désespoir; enfin le danseur met un genou en terre pour fléchir la sua cara, qui se rapproche de lui par degrés, toujours en dansant; lorsqu'elle s'incline avec un sourire, comme pour appeler un baiser, l'amant se relève triomphant, et quelques sauts vifs et légers terminent la pantomime. Quand les spectateurs sont disposés à prendre part à la danse, dès qu'un des danseurs est fatigué, il entre dans la foule, et un autre le remplace à l'instant même : ainsi hommes et femmes, tous conti

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La Befana.

K Rouargue sc.

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