chaque petit carré de blé étant entouré de pommes de terre, qui elles-mêmes sont entourées de blé. J'enfouis dans ce terrain nouvellement annexé au champ d'expériences une forte fumure de fumier de ferme, et je répandis, en outre, du nitrate de soude au printemps. Eh bien, malgré cette abondance d'engrais, le développement du blé fut très inégal; partout où il succédait aux pommes de terre, il avait acquis son développement normal, tandis qu'il était resté assez malingre là où il succédait au blé de l'année précédente. Malgré l'abondance de la fumure récente, la disposition en damier des cultures antérieures était reproduite par la hauteur différente des tiges. Quoi qu'il en soit, l'emploi d'une petite dose de nitrate de soude au printemps est en général très efficace; et comme le prix de cet engrais est aujourd'hui très bas, son épandage assure un bénéfice notable; il est d'autant plus sensible que les terres sont plus pauvres; les journaux agricoles ont rendu compte récemment de concours établis dans un grand nombre de départements sur l'emploi du nitrate de soude; presque partout il a laissé un bénéfice s'élevant de 100 à 200 francs par hectare, toute dépense d'engrais payée. Les cultivateurs très soigneux ne le distribuent pas indifféremment sur toute la surface de leurs champs; on m'a raconté qu'un très habile praticien du Pas-de-Calais revêtait, avant de parcourir ses champs de blé au printemps, une longue blouse, garnie de deux énormes poches: l'une contenait du nitrate de soude, l'autre du superphosphate; quand il rencontrait une place où la teinte jaunâtre du blé annonçait une nourriture insuffisante, il y répandait: nitrate puisé dans une poche, superphosphate dans l'autre, et disait plaisamment que c'était là une excellente méthode pour raccommoder un champ; excellente, en effet, car ses rendements dépassaient 60 hectolitres à l'hectare. Après cette dernière distribution d'engrais, il n'y a plus à intervenir; la récolte sera bonne ou mauvaise suivant que la saison sera favorable ou fâcheuse; l'abondance ou la rareté de la pluie exerce notamment une influence décisive sur la production de la paille; faible dans les années sèches, elle devient considérable pendant les saisons humides, et il est facile d'en saisir la raison. Il faut considérer les cellules à chlorophylle des feuilles comme de petites usines qui élaborent la matière végétale; elles mettent en œuvre l'acide carbonique que l'énorme quantité d'eau qu'elles renferment leur permet de saisir dans l'atmos : phère; elles le réduisent et forment avec le résidu de sa décomposition, après l'élimination de l'oxygène les sucres, la cellulose, la gomme de paille, la vasculose, toutes matières ternaires, formées de carbone, d'oxygène et d'hydrogène; ces cellules réduisent également les nitrates, qui leur sont apportés en même temps que l'acide phosphorique, la potasse, la silice, par l'eau qui constamment traverse la plante, y pénètre par la racine et s'exhale par les feuilles. Si la pluie est fréquente, le sol bien humecté, les cellules continuent longtemps leur travail, elles élaborent beaucoup de matière végétale, la plante grandit; mais il n'en va pas de même si la pluie est rare et si le sol ne fournit plus que parcimonieusement à l'énorme dépense d'eau que fait le blé; on calcule que l'élaboration de 1 kilogramme de matière sèche correspond à l'évaporation par les feuilles de 250 à 300 litres d'eau ; j'ai constaté qu'une feuille de blé exhale, en une heure d'insolation, un poids d'eau égal au sien; quand la terre, mal abreuvée par la pluie, devient incapable de suffire à cette prodigieuse consommation, la dessiccation des organes se produit, et ce sont toujours les feuilles les plus anciennes qui se dessèchent et périssent les premières; il est très rare qu'au mois de mai on ne voie pas les petites feuilles du bas de la tige, molles, flasques, vidées, flétries; si on les soumet à l'analyse, on reconnaît qu'elles ont laissé échapper la matière azotée, l'acide phosphorique, la potasse, qu'elles renfermaient au moment où, vertes et turgescentes, elles étaient encore vivantes. Il importe d'insister sur cette mort des feuilles et sur le départ des matériaux qu'elles contiennent; quand la feuille meurt, c'est une des petites agglomérations des cellules travailleuses qui disparaît; la quantité de matière élaborée sera done moins grande que si elle avait continué sa besogne, et comme la fermeture de ces petites usines est déterminée par leur dessiccation, on conçoit que, pendant les années sèches, la quantité de matière végétale formée soit restreinte, que les tiges soient courtes, qu'il y ait peu de paille. Au moment où la dessiccation commence, la matière azotée, qui forme le protoplasme, la partie vivante de la cellule, se métamorphose, prend une forme de voyage qui lui permet de traverser les membranes et d'émigrer vers les feuilles nouvelles, entraînant avec elle son cortège habituel d'acide phosphorique et de potasse. Ce transport de quelques-uns des matériaux élaborés, des feuilles du bas, vers les feuilles supérieures, va se poursuivre pendant toute la durée de la végétation, il se continue au moment de la floraison, qui sans doute, par un mécanisme dont nous ignorons le fonctionnement, ne se produit que lorsque la quantité de principes élaborés est suffisante pour nourrir les graines qui vont appa raître. Au milieu de juin, sous le climat de Paris, commence l'épiage; en pressant légèrement entre les doigts la partie supérieure de la tige, à l'endroit où elle paraît un peu renflée, on rencontre une légère résistance, elle est due à l'épi qui est entièrement formé avant de surgir au dehors; il se compose d'une tige: le rachis, qui porte les fleurs, formées de petites folioles vertes: les glumes, dont l'une se termine, dans certaines variétés, par un long appendice qui caractérise les blés barbus. Si, au moment où l'épi surgit au dehors de la tige, on entr'ouvre délicatement les glumes, on découvre à l'intérieur de la fleur, les organes essentiels; sur un petit mamelon verdâtre, rudiment du grain, se dressent deux petites aigrettes de plumes légèrement divergentes, ce sont les pistils, les organes femelles; autour d'eux, fixés à l'extrémité de fins pédoncules, se trouvent les anthères, encore fermés; ils contiennent le pollen, la poussière jaune fécondante; au moment de sa maturation les anthères s'ouvrent, le pollen tombe sur les petites plumes des pistils, bien faites pour le retenir; il y germe, envoie un long tube, le boyau pollinique, jusque dans l'ovule sur lequel sont fixés les pistils plumeux; la fécondation a lieu, le grain est noué. Toutes ces opérations délicates, si intéressantes à suivre, s'exécutent dans la fleur fermée. Quand les |