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quantités fabriquées, non plus seulement pour subvenir aux besoins de la consommation, mais pour encaisser la part d'impôt qu'on abandonnait aux fabricants?

Ce fut le dernier avis qui prévalut. La loi de 1884 fut votée.

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Cette loi reportait l'impôt, du sucre achevé à la betterave mise en œuvre. Elle prévoyait que quelques fabriques, encore mal outillées, ne se risqueraient pas à accepter cette nouvelle disposition. Elle leur accordait un déchet de fabrication de 8 pour 100. En d'autres termes, quand ces usines mettaient en vente 100 kilogrammes de sucre, on ne percevait l'impôt que sur 92 kilogrammes, on l'abandonnait au fabricant sur les 8 autres (1). Pour les usines qui en firent la demande, l'impôt porta sur la betterave; il fut calculé d'après le poids de sucre qu'on supposait pouvoir extraire de chaque tonne de racines mise

en œuvre.

Or, au moment de la discussion, on exagéra systématiquement toutes les difficultés: la pro

(1) Cette convention a été modifiée plus tard. On a accordé un déchet de fabrication de 15 pour 100, mais en frappant ce déchet du droit de 30 francs par 100 kilogrammes.

duction de la betterave riche, disait-on, était impossible en France; notre climat ne permettait pas de l'obtenir; on ne pouvait vaincre la routine des paysans, habitués à cultiver des betteraves de mauvaise qualité. Ébranlés par ces clameurs intéressées, les membres du parlement votèrent des dispositions, extrêmement favorables à la fabri

cation.

On supposa que d'une tonne de betteraves mise en œuvre, on ne pouvait extraire que 60 kilogrammes de sucre en raffiné et, comme ce sucre doit payer 60 francs par 100 kilogrammes, le fabricant devait verser 36 francs par tonne de betteraves pénétrant à l'usine. S'il ne tirait de la tonne que 60 kilogrammes de sucre, la loi nouvelle n'avait pour lui aucun avantage; s'il n'en extrayait que 40 kilogrammes, sa perte était considérable; mais, si, traitant habilement de bonnes racines, il en tirait 80, 90 ou 100 kilogrammes de sucre, il réalisait de gros bénéfices. En effet, le sucre obtenu en excès sur les 60 kilogrammes imposés n'était plus vendu 40 ou 45 francs (prix auquel les sucreries vendaient le quintal à cette époque), mais bien 100 ou 105 francs; car les 60 francs d'impôt sur les excédents étaient perçus par le fabricant lui-même. En lui accordant la totalité de l'impôt sur les excédents, la loi l'encourageait à perfectionner son outillage, de façon à extraire des racines une très forte fraction du sucre qu'elles renferment; elle le

contraignait en outre à ne traiter que des betteraves riches en sucre.

Il fallut intéresser les cultivateurs à les produire, abandonner enfin l'achat à prix fixe, source de toutes les difficultés, pour en arriver à la seule base rationnelle des marchés: à l'acquisition à prix variable avec la richesse. Ainsi qu'il a été dit déjà, la détermination de cette richesse est très facile, elle s'appuie sur la densité du jus extrait des racines.

On y emploie un aéromètre à poids constant. Toutes les personnes qui ont suivi un cours de physique élémentaire connaissent ce petit instrument, en usage dans toutes les transactions sur les liquides, dont la valeur varie avec la densité. Un tube de verre, lesté à sa partie inférieure par du mercure ou du plomb, porte à son extrémité supérieure une tige graduée en parties d'égales longueurs; on procède par tâtonnements dans le lestage de l'appareil, de façon qu'il plonge presque complètement dans l'eau distillée, et l'on marque zéro à ce point d'affleurement, et 10°, à la base de la tige, au point où elle affleure dans un liquide, rendu plus dense par l'adjonction de sel ou d'acide sulfurique et dans lequel l'appareil type, gradué d'après les indications de Gay-Lussac, marque également 10 degrés.

Les appareils les plus employés sont ainsi gradués par comparaison. L'expérience a montré.

que la densité du jus, provenant du râpage des betteraves, augmente de 1o environ pour 2 centièmes de sucre contenu dans le jus; c'est-à-dire que si l'aéromètre marque 5°, le jus renfermera 10 centièmes de sucre. Quand on atteint les densités élevées, la quantité de sucre croît plus vite que les indications de l'aéromètre; quand il marque dans un liquide sucré 8°, ce liquide renferme non pas 16 centièmes de sucre, mais plus

de 17.

Cette rapide détermination sert de base aux transactions; on convient, par exemple, que la tonne de betteraves dont le jus marquera 7o sera payée 25 francs, et en outre que le prix augmentera de o fr. 75 par dixième de degré ; de telle sorte que si le jus des betteraves d'une livraison marque 8°, la tonne sera payée 25 francs plus 7 fr. 50, ou 32 fr. 50; la convention porte également que le prix baissera de o fr. 75 par dixième de degré audessous de 7o, c'est-à-dire qu'une tonne de racines ne sera payée que 18 fr. 50, si le jus qui en provient ne marque que 6o.

Les cultivateurs, intéressés à conduire à la sucrerie des betteraves riches en sucre, les obtinrent dès la première année. Ils s'étaient refusés à les produire jusqu'alors, parce qu'ils n'y trouvaient aucun avantage. Avec des fumures moyennes, ces betteraves riches ne fournissent en effet que des rendements médiocres: 25 tonnes à l'hectare.

Cependant, quand on enfouit dans le sol 40 tonnes de fumier et des superphosphates à l'automne, puis qu'on ajoute du nitrate de soude au printemps, on atteint des récoltes de 40,000 kilogrammes; on les dépasse même dans les plaines fertiles du Nord et du Pas-de-Calais.

La condition essentielle pour obtenir des racines riches en sucre, celle qui domine toutes les autres, nous l'avons dit déjà, c'est le choix judicieux de la graine. Or, cette graine productrice de betteraves chargées de sucre, on la possède depuis longtemps; elle a été obtenue, par Louis Vilmorin, dès 1846. Il a d'abord fait choix, dans un lot de betteraves de Silésie, de racines bien conformées, coniques, allongées, d'une seule venue, sans prolongements fourchus; puis, à l'aide d'une sonde, il a extrait de ces racines, ce qu'on peut faire sans nuire à leur vitalité, de petits cylindres charnus pour les soumettre à l'analyse. Rejetant toutes les racines peu chargées de sucre, il conserva au contraire les plus riches, pour les planter au printemps; elles se couvrent de rameaux, fleurissent en juin, et en août on récolte des graines. Cellesci sont semées au printemps suivant; on ne conserve encore comme porte-graines que les betteraves qui présentent une forme parfaite et une haute teneur en sucre. On conçoit que, par cette méthode, appliquée pendant une longue suite d'années, on ait réussi à obtenir une race remar

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