Page images
PDF
EPUB

LUTTE DE LA BETTERAVE ET DE LA POMME DE TERRE 161

variétés de distillerie que les betteraves fourragères ont à lutter, mais aussi contre les pommes de terre. Nous avons exposé dans le chapitre précédent (1) les progrès remarquables qu'a faits, sous l'impulsion de M. Aimé Girard, la culture de la pomme de terre, nous savons qu'en suivant les indications précises qu'il a données, les rendements de tubercules à l'hectare dépassent habituellement 30,000 kilogrammes et atteignent parfois 40 tonnes. Nous savons en outre que, distribuée cuite aux bœufs à l'engraissement, la pomme de terre a donné des résultats très avantageux, et on est en droit de se demander s'il ne conviendrait pas de substituer la culture des pommes de terre à haut rendement, à celle des betteraves fourragères.

Il n'est pas démontré, jusqu'à présent, qu'à poids de matière sèche égal, la pomme de terre ait des propriétés nutritives supérieures à celles de la betterave; si nous supposons qu'à poids égaux de matière sèche les deux aliments s'équivalent, on se décidera pour l'une ou l'autre culture. suivant le poids de matière sèche obtenu à l'hectare et suivant le prix de revient de cette matière sèche.

Si je prends comme exemple ce que j'obtiens au champ d'expériences de Grignon, je trouve que les variétés de pommes de terre les plus prolifi

(1) Voyez page 82.

ques me donnent de 30 à 35 tonnes de tubercules, je n'atteins pas 40 tonnes; les tubercules renferment habituellement le quart de leur poids de matière sèche, je reste donc entre 7 et 9 tonnes de matière sèche; or, avec les betteraves Globe, je puis récolter de 60 à 80 tonnes de racines, renfermant de 10 à 11 tonnes et demie de matière sèche. Dans une terre en bon état, fertilisée depuis longtemps, l'hésitation n'est pas possible, la betterave est infiniment supérieure, surtout dans les terres humides qui conviennent peu à la pomme de terre.

La betterave, il est vrai, entraîne une dépense de main-d'œuvre et d'engrais supérieure à celle qu'exige la pomme de terre, mais comme la betterave laisse le sol dans un état de fertilité infiniment supérieur à celui où il se trouve après l'arrachage des tubercules, il y a là une compensation dont il convient de tenir compte.

La betterave fourragère est donc parfaitement à sa place dans les terres arrivées à un haut degré de fertilité, et on pourrait obtenir un profit bien supérieur à celui qu'on en tire d'ordinaire, si on s'astreignait à la cultiver en lignes serrées de façon à récolter des racines de petite dimension, riches en matières nutritives.

La consommation directe de la betterave par les animaux est-elle la meilleure méthode pour l'utiliser? C'est là ce qui nous reste encore à discuter.

IV.

LA FABRICATION DE L'ALCOOL AVEC LA
BETTERAVE. DISTILLERIES AGRICOLES.

Il y a cinquante ans, la quantité d'alcool enregistré par l'administration française n'atteignait guère que 900,000 hectolitres; la fermentation de l'amidon, des substances farineuses ou du sucre des mélasses, n'apportait à la masse qu'un faible contingent de 76,000 hectolitres; la distillation du vin fournissait le reste, c'est-à-dire 824,000 hectolitres.

Tout changea quand, en 1850, la vigne fut atteinte par une des maladies qui successivement ont sévi sur elle et, à plusieurs reprises, ont failli détruire notre immense vignoble. Cette première attaque fut terrible, elle était due à un champignon parasite: l'oïdium, dont les fines ramifications couvrent d'un réseau grisàtre les feuilles de la vigne, les grains des raisins, et les détruisent. On sut bientôt, grâce aux travaux de mon ancien confrère de l'Académie, M. Duchartre, que la fleur de soufre combat victorieusement l'oïdium, mais entre une découverte de laboratoire et son application à un vignoble d'énorme étendue, des années s'écoulent. En 1852, la production de l'alcool de vin tomba de 825,000 hectolitres à 76,000; les prix s'élevèrent prodigieusement, ils dépas

sèrent 200 francs l'hectolitre; presque tout ce qu'on récolta de vin fut consommé en nature et il fallut trouver d'autres sources d'alcool; on mit en œuvre des plantes ou des produits renfermant des matières alcoolisables; des pommes de terre ou des graines, des mélasses, enfin des betteraves.

C'est de cette époque que datent les distilleries agricoles; un habile industriel, mort récemment à un àge avancé, Champonnois, créa très vite un outillage assez peu coûteux pour ne pas excéder les ressources d'une ferme de moyenne étendue, et régla la suite des opérations assez clairement pour qu'elles fussent à la portée de simples ouvriers agricoles. Pendant quelques années, soutenues par les hauts prix de l'alcool, les distilleries agricoles prospérèrent.

La transformation du sucre de la betterave en alcool comprend trois opérations successives: extraction du sucre, fermentation, distillation, que nous allons exposer rapidement.

Les betteraves sont d'abord lavées pour les débarrasser de la terre qui y reste adhérente, souvent en quantités considérables quand l'arrachage a eu lieu par un temps humide; elles sont ensuite découpées en minces rubans à l'aide de cylindres armés de petites lames disposées obliquement comme celles d'un rabot, et animés d'un rapide mouvement de rotation à l'aide d'une machine à vapeur.

Les fragments de betteraves, les cossettes, sont

arrosés d'acide sulfurique étendu; puis, elles sont conduites aux cuves de macération. Ce sont de grands cylindres en bois, posés verticalement sur une de leurs bases; ils renferment à l'intérieur deux faux fonds, percés de trous, capables de laisser passer les liquides, mais trop étroits pour que les rubans de betterave puissent les traverser; au-dessus du faux fond inférieur est pratiqué dans la paroi une ouverture hermétiquement close pendant le travail; elle permet, quand il est terminé, d'enlever les cossettes épuisées.

Les macérateurs sont au minimum au nombre de trois, mais, généralement plus nombreux, un système de tuyauterie met en communication l'un quelconque avec les six ou sept autres.

Le problème à résoudre est d'épuiser complètement les cossettes du sucre qu'elles renferment en y employant le moins de liquide possible. On envoie des liquides qui ne contiennent pas encore de sucre, sur les cossettes appauvries déjà par plusieurs lavages. Elles leur abandonnent les traces de sucre qu'elles renfermaient encore. Ces liquides s'enrichissent par des passages successifs sur des cossettes de moins en moins épuisées. Ils atteignent enfin le macérateur à cossettes fraîches. En y pénétrant, ils n'ont pas encore une teneur en sucre égale à celle du jus de la betterave, mais bientôt l'équilibre s'établit et le liquide ainsi enrichi est conduit aux cuves de fermentation.

« PreviousContinue »