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sol, l'azote se trouve à un tel état que les plantes ne peuvent l'utiliser; c'est qu'en effet, l'humus formé de carbone, d'hydrogène, d'oxygène et d'azote, est une substance très stable, d'une décomposition lente et difficile; son inertie est la cause même de son accumulation dans le sol: s'il était soluble ou très altérable, il disparaîtrait.

Lentement, cependant, sous l'influence des ferments qui pullulent dans la terre, l'humus se brûle; son carbone s'unit à l'oxygène de l'air et s'échappe sous forme d'acide carbonique, son hydrogène forme: avec l'oxygène, de l'eau, avec l'azote, de l'ammoniaque. Bien que très soluble, celle-ci n'est pas entraînée, on ne la retrouve pas dans les eaux d'égouttement, mais elle subit une dernière métamorphose qui l'amène à une forme telle qu'elle est ou saisie par les végétaux, ou entraînée par l'eau ; l'ammoniaque devient la proie des ferments nitreux, puis nitrique: du nitrate de chaux, du nitrate de potasse apparaissent, les plantes se les assimilent et prospèrent, car de tous les engrais azotés les nitrates sont les plus efficaces.

Pour que les réserves du sol deviennent utilisables, il faut qu'elles se transforment, et cette transformation ne se produit que si la terre est aérée et humide.

La terre n'est bien aérée qu'autant qu'elle est ameublie par les instruments; mais le travail des

terres argileuses n'est pas toujours possible; sèches ou trop humides, elles sont inabordables; si même on les laboure, quand elles ne sont pas convenablement égouttées, on les transforme en grosses mottes, irréductibles par les herses ou les rouleaux, et s'aèrent mal. Or il est bien plus facile de trouver le moment opportun pour labourer, quand la terre est découverte, que lorsque le travail se place pendant la période de courte durée qui sépare une récolte de la suivante. Nost pères avaient peu d'engrais, il fallait tirer du sol tous les aliments des végétaux, et la nécessité de très bien exécuter les travaux militait déjà en faveur de la jachère nue; mais ce n'est pas là cependant la cause qui justifie complètement leur manière d'agir. Pour que les métamorphoses qui amènent l'azote du sol à être utilisable puissent se produire, il faut que la terre soit humide; or, on n'est sûr de lui conserver l'humidité nécessaire que si on la maintient nue, privée de végétaux.

Les études poursuivies à l'aide des cases de végétation de Grignon l'ont clairement démontré ; ces cases sont de grandes caisses carrées en ciment; elles ont deux mètres de côté et un mètre de profondeur; elles renferment quatre mètres cubes de bonne terre qui repose sur un lit de cailloux, au travers duquel les eaux qui ont traversé le sol s'écoulent jusqu'à une rigole centrale, qui les conduit dans de grands vases où

elles sont recueillies; à intervalles réguliers on les mesure, puis on les soumet à l'analyse.

La plupart de ces cases portent, chaque année, des plantes variées; on y cultive des betteraves, des pommes de terre, du blé, du trèfle, de la vigne, mais quelques-unes sont depuis six ans en jachère; or, tandis que pendant l'année agricole: mars 1894-mars 1895, les terres emblavées n'ont laissé couler que de très faibles quantités d'eau de drainage, les terres en jachère ont été traversées par des quantités d'eau notables, renfermant en moyenne, si on calcule pour l'écoulement d'un hectare pendant toute l'année : 76 kilogrammes 4 d'azote nitrique. Pendant l'année: mars 1895-mars 1896, les mêmes faits se sont reproduits; les terres emblavées n'ont rien laissé couler, tandis que les terres en jachère ont fourni 91 millimètres d'eau de drainage renfermant, en moyenne, pour un hectare, 110 kilogrammes d'azote nitrique. Les différences ont été encore plus marquées durant la dernière saison; on a recueilli des cases en jachère, bien que, comme les années précédentes, elles aient été privées d'engrais azotés, la valeur de 200 kilogrammes d'azote nitrique par hectare, quantité énorme, infiniment supérieure à celle qu'on a recueillie des terres emblavées (1).

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Actuellement les cultivateurs habiles fortifient leur blé avec 100 ou 200 kilogrammes de nitrate de soude distribués au printemps; ces doses renferment de 15 à 30 kilogrammes d'azote nitrique; c'est-à-dire infiniment moins que n'en produit la terre de Grignon, maintenue en jachère. La production des nitrates y surpasse, et de beaucoup, celle des terres emblavées constamment asséchées par les plantes, qui sont des appareils d'évaporation formidables.

Ainsi, les nitrates prennent naissance dans une terre en jachère; ils y sont abondants parce que la terre est aérée et humide, et, nous le répétons, cette dernière condition n'est réalisée que parce que la terre ne porte pas de végétaux, qui sans cesse rejettent dans l'atmosphère l'eau que leurs

racines enlèvent au sol.

Une partie des nitrates, formée par les terres en jachère, est perdue, entraînée par les eaux qui traversent le sol; cette perte n'est pas très forte cependant, car les drains coulent rarement pendant l'été; c'est à l'automne, au moment des grandes pluies, que les nitrates formés pendant les chaleurs de l'été sont entraînés par les eaux; or, ce moment est précisément celui des semailles du blé d'hiver, et aussitôt que le blé commence à émettre des racines, celles-ci s'emparent avidement des nitrates formés; j'ai reconnu, en effet, il y a plusieurs années, que les eaux de drainage

des terres nues étaient bien plus chargées pendant l'hiver, que celles qui coulaient de terres récemment emblavées en froment.

Aujourd'hui, bien pourvus d'engrais, nous blàmons cette pratique de la jachère, et nous l'abandonnons avec juste raison; mais n'est-il pas admirable que, par simple empirisme, à force d'observations longtemps répétées, nos pères aient su réaliser la formation des agents de fertilité les plus précieux dont ils ignoraient profondément l'existence, et qu'ils aient ainsi pallié leur manque d'engrais (1)?

Il a fallu que les avantages de laisser la terre nue fussent bien visibles pour que partout on consentit à la travailler pendant une année entière, sans lui demander de récolte; on voulait qu'elle se reposât; en réalité le travail intérieur y était au maximum puisque, sans le savoir, on y réalisait les conditions nécessaires à l'activité des ferments, qui amènent l'azote à la forme essentiellement assimilable de nitrates.

La pratique de la jachère disparaît peu à peu, elle n'a plus de raison d'être; nous faisons précéder la culture du blé de plantes assez écartées pour que le passage des instruments employés à la destruction des mauvaises herbes soit toujours

(1) Annales agronomiques, tome XXII, p. 257-515.

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